L'analyse d'Erik Izraelewicz  : la tragédie grecque

« This time is different. » Cette fois-ci, c'est différent. Lundi dernier, Thierry Breton, l'ancien ministre des Finances, brandissait, aux rencontres « La Tribune »-BFM, le dernier livre de l'économiste américain Kenneth Rogoff. Dans ce livre, le professeur de l'université de Havard montrait que, dans l'histoire - huit siècles sont étudiés ! -, on trouvait toujours de bonnes raisons pour assurer, à chaque crise de la dette, que la situation du jour n'était pas comparable aux situations passées. On en dira aujourd'hui de même, pour la Grèce et la France. Entre les deux pays, rien à voir, tout est différent. La crise de la dette grecque mérite pourtant d'être observée avec attention par la France - et par d'autres États, sans doute. À partir du moment où la dette s'emballe, il devient difficile pour un pays de conserver, voire de retrouver la maîtrise de son destin. Une crise de crédibilitéLa Grèce et la France ne sont, bien sûr, pas comparables. La Grèce est un petit pays, la France, un grand. La Grèce a une économie très dépendante de quelques secteurs - le tourisme, l'agriculture, quelques industries aussi ; la France dispose d'une économie diversifiée. La Grèce souffre d'une administration instable et minée par la corruption; ce n'est pas le cas, on le sait, de la France. Exemple : la statistique grecque n'a jamais eu la qualité et l'indépendance de la statistique française. Bref, rien de commun entre les deux pays si ce n'est qu'ils sont désormais membres, l'un et l'autre, d'une même union monétaire, qu'ils se sont engagés aussi l'un et l'autre à respecter un certain nombre de critères ? ceux du Pacte de stabilité et de croissance, notamment. La Grèce est aujourd'hui plongée, comme l'a expliqué cette semaine à Davos son Premier ministre, le socialiste Giorgos Papandréou, dans une grave crise de crédibilité. Elle a du mal à trouver des financements pour éviter la cessation de paiements. Elle est obligée de payer très cher l'argent qu'elle emprunte sur les marchés ? là où l'Allemagne s'endette à 3,2 %, la Grèce doit accepter de le faire à près de 7% ! À l'origine de cette crise, il y a la dérive des finances publiques du pays. Là encore, on dira qu'avec la France, tout est différent. Le déficit aurait approché à Athènes les 13 % du PIB l'an dernier ; il n'est que de 8,5 % environ en France. La dette publique pèserait près de 120 % du PIB en Grèce là où elle ne serait « que » de 80 % du PIB en France. La dégradation des comptes publics y est donc bien plus avancée. Risque d'engrenageLe gouvernement grec, installé aux manettes depuis octobre, a pris le taureau par les cornes. Son programme d'austérité est peut-être moins violent que celui adopté par l'Irlande il y a un an, il n'en est pas moins drastique. Mais tout le problème des autorités d'Athènes aujourd'hui, c'est de retrouver la confiance et la crédibilité qu'elles ont perdues - auprès de l'opinion publique nationale, des marchés financiers internationaux et des autres pays européens aussi. Là où entre la France et la Grèce ce n'est pas aussi différent, c'est bien dans ce risque d'engrenage, dans cette perte de crédit. Une fois que la boule est lancée, que la dette se gonfle, il est difficile de l'arrêter. Tout n'est plus alors aussi différent. Quand un pays affiche, comme la France de ces dernières années, une certaine insouciance à l'égard de sa dette, il prend le risque de laisser la boule s'emballer. La France regarde aujourd'hui de loin la tragédie grecque. La conférence sur les finances publiques de cette semaine, à Paris, n'a pas vraiment donné l'impression que la France avait tiré les leçons de ces crises à répétition que la grande récession a engendrées dans le monde. Elle devrait pourtant y être plus attentive.
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