Pendant la crise, les travaux doivent se poursuivre

Par Gilles Moëc, économiste chez Bank of America (Londres).

La juxtaposition d'une implosion de la sphère financière et d'une récession mondiale va probablement mettre sur la défensive les partisans des réformes structurelles en France. Pour les tenants de l'immobilisme, qui mettent dans le même sac finance globalisée, "maximisation de la valeur pour l'actionnaire" et libéralisation du marché du travail, la crise de Wall Street est une divine surprise. Leur voix pourrait porter d'autant plus loin que, dans un réflexe d'urgence d'ailleurs compréhensible, l'attention des gouvernants risque de se porter davantage sur les moyens de relancer à court terme l'économie que sur l'amélioration du potentiel de croissance. Pourtant, le besoin d'une action résolue sur les structures de l'économie reste entier. La France perdait du terrain vis-à-vis de ses principaux partenaires bien avant le déclenchement de la crise des subprimes.
Pour le moment, la France a échappé aux deux trimestres consécutifs de baisse du PIB qui définissent techniquement une récession. Il serait toutefois malvenu de célébrer une nouvelle forme d'exception française. Au total, depuis le début de 2008, le PIB n'a progressé que d'un très médiocre 0,25% en France, contre 0,4% en Allemagne et 0,85% aux Etats-Unis, pourtant l'épicentre de la crise actuelle. Le chômage a frappé 48.000 personnes de plus en août et septembre en France, alors qu'il continue de reculer en Allemagne. Les enquêtes de conjoncture suggèrent que la France est en "territoire récessif" depuis la fin de l'été.
Si le déclenchement de la récession actuelle s'explique d'abord par des chocs externes, la croissance française s'essoufflait depuis plusieurs années. Pour spectaculaires que soient un baril de pétrole à 140 dollars ou un euro à 1,60 dollar, l'attention ne doit pas se détourner des causes structurelles de fragilité de l'économie française. Ni la vigueur de l'euro ni la hausse des prix du pétrole ne peuvent complètement expliquer la détérioration du commerce extérieur français. En excluant les échanges énergétiques, la balance commerciale française est systématiquement déficitaire depuis le début 2007. Ce déséquilibre a atteint 0,7% du PIB à l'été 2008, le niveau le plus élevé depuis 1991. L'appréciation de l'euro n'est par construction pour rien dans le ralentissement des exportations françaises vers les pays de l'union monétaire, passées d'une progression de 7,7% en 2006 à 3,1% en 2007 en dépit d'un rythme de demande inchangé.
La France n'a pas su tirer suffisamment profit de la mondialisation, au contraire de l'Allemagne. L'industrie allemande a massivement investi dans les pays à bas coût. Elle a pu réorganiser ses circuits de production et affronter la concurrence internationale. La France n'a pas suivi : rapporté au PIB, le stock d'investissement dans les zones émergentes est deux fois plus élevé en Allemagne qu'ici. Contrairement aux prédictions des Cassandre qui, y compris en Allemagne, dénonçaient une « économie de bazar », l'emploi manufacturier allemand, après une baisse de 9% entre 2000 et 2005, a recommencé à progresser depuis 2006. En France, il s'est contracté de 13%, sans discontinuer, entre 2000 et 2008. L'expérience allemande démontre que l'insertion dans la mondialisation n'est pas défavorable à l'emploi local.
Par ailleurs, la performance française à l'exportation a souffert d'un différentiel de croissance des coûts salariaux défavorable. Contrairement à une conviction bien établie dans l'opinion publique française, le pouvoir d'achat des salariés s'est plutôt bien tenu en France par rapport à la plupart des autres pays européens. Le salaire réel moyen a progressé de 10,8% depuis 2000 en France, contre 3,7% en Allemagne et 1,5% en Italie.
Le corollaire de ce dynamisme des revenus salariaux en France a été la progression tout à fait convenable de la consommation des ménages jusqu'à ce que le choc pétrolier vienne y mettre un coup d'arrêt brutal. Toutefois, au-delà de cet "accident de parcours", le maintien d'un rythme élevé de croissance des revenus n'est pas assuré. A long terme, les salaires réels ne peuvent pas augmenter plus vite que la productivité. Or, les gains de productivité horaire sont lents en France. Depuis 2000, ils ont atteint 1,1% par an, contre 1,3% en Allemagne et 1,8% aux Etats-Unis.
Il n'y a pas de formule magique pour relever le rythme de progression de la productivité. Toutefois, un consensus se dégage autour d'un effet particulièrement nocif d'une trop grande rigidité des marchés. Une réglementation excessive du marché du travail, ou encore les barrières à l'entrée et les rentes de situation sur certains marchés de biens ou de services peuvent conduire les entreprises à retarder les innovations techniques.
La France s'est intégrée dans les années récentes dans le mouvement général de libéralisation de l'économie. L'attitude plus ouverte qu'escompté des syndicats lors de la dernière négociation sur la refonte des conditions de licenciement, suggère que l'opinion publique est maintenant plus réceptive à la nécessite d'une réforme de fond du "modèle français". La récente remise à plat, sans conflit majeur, de la législation sur les implantations commerciales et les relations distributeurs/producteurs, va également dans le bon sens. Il ne faudrait pas que cet élan se brise sur la récession.

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