Cellules souches : la France est en train de rater le rendez-vous

La recherche sur les cellules souches est un enjeu majeur des prochaines décennies et la compétition mondiale pour la maîtrise de ce pilier de la médecine du XXIème siècle (aux côtés de la génomique) débute aujourd'hui. L'émergence de ces technologies nous confère des responsabilités éthiques majeures. Le malthusianisme technologique au nom des bons sentiments et de l'éthique ferait prendre un retard irrattrapable à l'Europe et à la France dans les technologies du vivant, qui seront la première industrie mondiale au XXIème siècle, estime Laurent Alexandre, docteur en médecine.

Aux Etats-Unis, après huit ans d'interdiction imposée par le président George W. Bush sous la pression des lobbies religieux, Barack Obama, son successeur, vient d'autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires. En France, une partie de l'avenir de notre pays va se jouer lors de la révision de la loi bioéthique, à la fin de cette année. Va-t-on suivre le président Obama ? Ou continuer à sacrifier notre avenir industriel en maintenant des restrictions à la médecine régénérative, révolution thérapeutique qui approche à grands pas ?

Les cellules souches ont la possibilité de se différencier en cellules adultes et donc de former des tissus et des organes nouveaux (c?ur, pancréas, tissu cérébral, foie...), aptes à remplacer les organes défaillants. Schématiquement, il en existe trois types : les cellules souches provenant de l'embryon, que l'on peut obtenir à partir d'embryons surnuméraires et qui ont un pouvoir régénérateur maximal ; les cellules souches existant chez l'adulte, récupérées dans différents tissus (ou dans le sang du cordon ombilical, à la naissance), qui ont des potentialités plus limitées même si on peut espérer à moyen terme leur conférer un potentiel équivalent aux cellules embryonnaires, en les reprogrammant ; enfin, les IPS ("induced pluripotent stem") qui sont des cellules souches produites à partir de cellules humaines banales reprogrammées par thérapie génique en cellules souches, et différenciées ensuite en cellules des organes que l'on veut régénérer.

Cette dernière technologie est très séduisante, mais son utilisation pourrait comporter des risques cancéreux liés à la phase de reprogrammation. Toutefois, les travaux récents du chercheur américain James Thomson, publiés récemment dans la revue "Science", laissent entrevoir la possibilité de reprogrammer des cellules humaines banales sans utiliser de vecteurs viraux et donc de développer cette technologie avec moins de craintes que dans le cas des IPS.

Les cellules souches vont faire progressivement passer la médecine d'une logique de réparation à une logique de régénération. La maîtrise d'une telle médecine régénérative est une perspective réaliste à l'horizon de l'année 2015.

Les grands fléaux médicaux comme le diabète et les maladies cardio-vasculaires, qui touchent des millions de Français, pourraient trouver ainsi une réponse radicale, évitant les multiples complications de ces pathologies. De puissantes armes contre les pires maladies humaines devraient être accessibles dès la décennie 2010-2020 : l'utilisation conjointe de la génomique et des cellules souches représente un potentiel médical méconnu mais révolutionnaire.

Il ne s'agit pas, pour autant, de minimiser les effets secondaires possibles des cellules souches, notamment des cellules IPS : leur innocuité devra être vérifiée avant la généralisation des traitements (sauf peut-être pour les pathologies mortelles à très court terme pour lesquelles les patients ne peuvent pas attendre).

Quoi qu'il en soit, l'émergence de ces technologies nous confère des responsabilités éthiques majeures. Le débat démocratique doit être organisé pour entendre les oppositions religieuses et/ou conservatrices, mais ne doit pas conduire pour autant à sacrifier ces technologies. Malheureusement, la réforme de la loi bioéthique risque fort d'être envisagée selon le seul axe éthique, en oubliant les enjeux industriels qui s'avèrent majeurs. Notre pays peut-il cesser de concentrer toute son énergie sur les secteurs du passé pour se tourner vers la préparation du futur ?

Au nom des bons sentiments et de l'éthique, le malthusianisme technologique ferait prendre un retard irrattrapable à l'Europe, en particulier à la France, dans les technologies du vivant, qui seront la première industrie mondiale au XXIe siècle. L'avance française dans le domaine de la génomique a été volontairement détruite, pour d'obscures raisons bureaucratiques, par les instituts publics de recherche vers 1993-1995. On oublie trop souvent que la génomique industrielle a été inventée à Evry (Essonne), par les équipes du Généthon...

Mais les blocages mis en place par la recherche publique, après la réalisation par le professeur Daniel Cohen de la première carte du génome humain, ont permis aux Américains, sous la houlette du biologiste Craig Venter, de nous rattraper, puis de nous marginaliser dans cette technologie essentielle. Pouvons-nous nous permettre de passer une nouvelle fois à côté d'une révolution technologique et laisser à nos enfants, outre une montagne de dettes, un tissu économique absent des segments porteurs ?

Le principe de précaution, qui laisse le champ libre aux industriels de la zone Asie-Pacifique préparant l'avenir pendant que nous subventionnons les secteurs condamnés, est d'une logique suicidaire.

Nous ne pouvons laisser l'avenir de nos enfants entre les mains des partisans du mouvement "Décroissance, frugalité et écologie", sauf à accepter notre vassalisation par les puissances montantes de l'Asie... et la création d'une médecine régénérative offshore réservée aux plus riches. Le lobby de l'avenir doit se réveiller !

Il faut investir avec détermination ce segment crucial pour la santé et la prospérité des générations futures. Mais aussi, dès à présent, développer des biobanques et stocker préventivement le sang du cordon des nouveau-nés, pour ne pas priver nos descendants des potentialités des cellules souches les plus aisément accessibles.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Monsieur, J?ai lu votre article sur les cellules souches dans la Tribune du 8 avril et j?ai été scandalisé. Ainsi, vous regretteriez que « la réforme de la loi bioéthique soit envisagée selon le seul axe éthique, en oubliant les enjeux industri...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Monsieur, (je n'ose vous appeler confrère) Votre article dans la Tribune est d'une nullité désarmante. Avec vos perspectives de cellules souches embryonnaires, vous nous affirmez que demain on rasera gratis. J'a perdu un fils de la myopathie il y a...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.