Hauts fonctionnaires : une gestion des ressources humaines qui se rapproche du secteur privé

Par Sylvie Trosa, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et chargée de mission à la Cour des Comptes.

Il est beaucoup question aujourd'hui du malaise des cadres, de leur mal être dans un univers à la fois anonyme où ils sont interchangeables et compétitifs (1), qui les empêche de nouer des solidarités fructueuses pour atteindre des résultats collectifs. Pourtant on parle peu de la gestion des dirigeants publics, comme si la fonction publique, nonobstant le fait de rassembler presque le tiers de la population active, était indifférente à la création de la richesse nationale. Eux aussi sont touchés par la démotivation d'une gestion trop bureaucratique et valorisant l'individu au détriment du collectif. (2)

Partout, dans les pays de l'OCDE, l'image d'une fonction publique comme simple exécutant des directives du politique, anonyme elle aussi, non gérée, acceptant un rôle peu valorisant en contrepartie de la sécurité de l'emploi s'effrite. Par quel nouveau contrat définissant les droits mais aussi les devoirs des hauts fonctionnaires remplacer ce modèle de la machine administrative ? Ce sera le débat central du colloque organisé par les huitièmes "Rencontres internationales de la gestion publique", qu'organise à Bercy l'institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) les 25 et 26 mai, en présence d'André Santini, secrétaire d'Etat à la fonction publique.

La refondation des cadres

C'est à une véritable refondation de la fonction publique française que l'on assiste ces dernières années. De nombreux chantiers ont été ouverts, de nombreuses réformes sont d'ores et déjà mises en ?uvre. Sont concernés par cet ambitieux mouvement des sujets aussi divers que le recrutement des fonctionnaires, la promotion de la diversité, le dialogue social, le pouvoir d'achat des agents de l'Etat, la mobilité et les parcours professionnels... De réelles avancées ont été obtenues dans la plupart de ces domaines.

Un grand nombre de démocraties, généralement membres de l'OCDE, ont elles aussi, parfois bien avant nous, profondément réformé leurs administrations publiques. Plusieurs d'entre elles ont estimé qu'une modernisation en profondeur de l'Etat passait par un rapprochement des modes de gestion des services publics de ceux en vigueur dans les entreprises privées. Peu connaissent l'effort de professionnalisation entrepris par les directions des ressources humaines dans le secteur public, qui, en adoptant des démarches managériales, se rapprochent des pratiques des entreprises voire parfois même deviennent des modèles. L'efficience de la fonction ressource humaine est désormais précisément mesurée et évaluée par des indicateurs précis.

Surtout les innovations sont encouragées. Ainsi une innovation dans maint pays anglo saxon est-elle de conserver des échelles de recrutement mais basées sur des critères précis et pas seulement la culture générale ou technique (en Australie les qualités de management des personnels constituent la moitié des critères de recrutement et d'avancement) mais en même temps, de développer des métiers, basés sur des compétences. Au Royaume-Uni un haut fonctionnaire est désigné par métier et est chargé, en réseau avec tous les ministères, de définir les compétences nécessaires à ce métier (la finance, le métier de gestionnaires des ressources humaines, ou de l'immobilier, ou de la planification stratégique).

A partir de ce travail des formations qualifiantes sont offertes au personnel, un site web dédié à chaque métier existe permettant de trouver toutes les informations pertinentes et de poser toute question. La Suède a été pionnière en ayant depuis 1965 une agence de requalification des fonctionnaires permettant la mobilité de ceux dont le métier est devenu obsolète.

Une autre innovation décisive est celle de la personnalisation des parcours de carrière : si l'on veut conserver et motiver un cadre de valeur encore faut-il lui ouvrir des perspectives, et répondre à des attentes qui peuvent être différentes d'un individu à l'autre. Le cadre a accès à des conseils, un coaching, des formations adaptées à ses attentes et à celles de l'employeur public. Les contrats d'emploi (qui se surajoutent au statut) peuvent prévoir des modalités de travail et de rémunération différents selon les aspirations (équilibre vie professionnelle/vie familiale, meilleure acceptation des temps partiels ou de deux personnes sur un poste etc).

Enfin, nombre d'Etats (par exemple l'Italie) sont devenus conscients qu'une politique de diversité activement soutenue était une clé de la réussite de l'encadrement, parce qu'elle permet une fonction publique plus semblable à la société et apporte une diversité d'approches et d'expériences, mieux à même de résoudre des problèmes et d'atteindre des résultats.

Faire plus et autrement, être mieux géré et considéré

Ces exemples ne visent qu'à montrer combien les transformations sont profondes. Il est demandé plus à l'encadrement supérieur, de maîtriser la technicité de son métier mais également de manager. Il doit être mobile, se requalifier car aucune compétence n'est stable sur 40 ans de carrière. En contrepartie il doit pouvoir accéder aux moyens de ces obligations nouvelles, être conseillé, aidé, formé.

Le tableau qui semble se dégager est celui d'un univers où le secteur privé et le secteur public ont beaucoup à apprendre l'un de l'autre, car si les finalités ne sont pas les mêmes, les modes de gestion et les innovations peuvent se rapprocher. En même temps et là est le paradoxe les contraintes spécifiques des dirigeants publics ne font que s'accroître. Le poids qui pèse sur les dirigeants publics aujourd'hui est lourd. Ils doivent tout à la fois être les garants de l'intérêt général et de la bonne qualité du service rendu à l'usager, disposer de solides compétences professionnelles particulièrement en matière de management des équipes, mettre en ?uvre dans un climat social parfois délicat les réformes légitimement décidées par l'autorité politique, atteindre les objectifs ambitieux qui leur sont fixés en termes de performance...

Le tout dans un contexte particulier car ces dirigeants se trouvent au croisement de deux logiques, celle du court terme et du résultat tangible qui anime normalement les élus politiques et celle du temps long de l'expertise administrative et des politiques publiques dont les effets ne s'apprécient que sur la durée. Pour autant, la lourdeur de la fonction ne doit pas nécessairement conduire à la sacraliser. Elle est avant tout une fonction au service des citoyens. Comment donner stabilité et autonomie à des cadres dirigeants responsables tout en rassurant le politique sur sa capacité à voir ses choix mis en ?uvre ? De nombreux pays ont approfondi cette question (Royaume-Uni, Suède, Danemark).

Gageons que ce colloque approfondira ces questions.

 

(1) Dupuy F., La fatigue des élites, Paris, Seuil, 2005
(2) OCDE, Enquête sur la gestion des ressources humaines, Paris, 2004

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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