Russie : qui ne paie pas ses dettes s'appauvrit

Par Eric Sanitas, président de l'Afiper, Association fédérative internationale des porteurs d'emprunts russes (www.afiper.org).

Depuis les années 1990, la Russie a massivement puisé aux sources des marchés internationaux : emprunts émis par l'Etat mais aussi et surtout par le secteur privé ou paraétatique. Aucune de ces émissions n'aurait été possible si les émetteurs n'avaient obtenu au préalable auprès des agences de notation de crédit une sacro-sainte note dite "investment grade", condition indispensable à l'obtention de crédits internationaux.

L'usage dit du "plafond souverain" interdit aux agences d'attribuer à aucun émetteur d'un pays donné une meilleure note que celle attribuée au gouvernement du pays en question. De ce fait, aucun émetteur russe n'aurait pu emprunter un seul centime si l'Etat russe n'avait été lui-même noté "investment grade".

C'est pour cette seule raison que depuis son retour sur les marchés les agences refusent obstinément de prendre en compte le défaut de paiement de la Fédération de Russie sur les emprunts émis par l'Etat russe avant 1917. Car contrairement à une idée fausse trop souvent et trompeusement répandue en France, ces emprunts ne sont pas remboursés et leur paiement incombe à la Fédération de Russie en vertu de la règle universellement reconnue de la succession des Etats, comme cela a été par ailleurs rappelé dans les attendus de trois arrêts successifs du Conseil d'Etat en 2003 et en 2004 ainsi que dans diverses communications écrites de M. Sarkozy et de Mme. Lagarde en 2007 et 2008.

L'autisme des agences, qui choisissent d'ignorer les conclusions des tribunaux, d'un gouvernement et des créditeurs, pour ne tenir compte que des fausses informations communiquées par le débiteur, était possible du fait que leur activité n'était pas règlementée et que leurs notes se voyaient conférer le caractère juridique de simples opinions éditoriales n'engageant pas leur responsabilité.

Les enquêtes récentes de part et d 'autre de l'Atlantique l'ont démontré, les principales agences (qui depuis les années 1970 sont payées par les émetteurs des produits qu'elles notent) attribuent souvent des notes "investment grade" à des produits financiers médiocres afin de préserver leur chiffre d'affaires. Car franchement : quel émetteur accepterait de payer des centaines de milliers, voire des millions de dollars, pour le plaisir de se voir attribuer une mauvaise note dont l'effet immédiat serait de le priver de toute source de crédit ?

L'ineptie de ce modèle (feriez-vous confiance au guide Michelin si 80% de son chiffre d'affaires provenait des restaurants qu'il évalue ?) sauterait aux yeux d'un enfant de quatre ans mais reste encore ignorée des autorités.

Ce conflit d'intérêts, identifié comme une cause primaire de la crise, a malgré tout conduit les autorités à règlementer l'activité des agences, tant en Europe qu'aux Etats-Unis où plusieurs procédures à leur encontre sont en cours ; et bien que le règlement voté par le parlement européen le mois dernier soit très insuffisant, il fournira un commencement de cadre permettant aux centaines de milliers d'épargnants français (plus de 316.000 selon le recensement de 1999) mais aussi européens (Belges, Hollandais,...) de demander des comptes aux agences qui en persistant à noter la Fédération de Russie "investment grade" continueraient à ignorer sciemment des éléments vérifiables et pertinents comme:
? la réalité des faux en écritures publiques commis par les autorités russes dont la comptabilité ne mentionne pas - donc dissimule - l'existence d'un passif certain, liquide et exigible.
? l'absence avérée de volonté de payer, bien que ce critère de volonté de payer soit mis en avant par les agences comme primordial en matière de notation d'émetteurs souverains.

En juin 2008 l'Association fédérative internationale des porteurs d'emprunts russes (Afiper) qui rassemble 1.600 épargnants spoliés a présenté une pétition officielle au parlement européen visant à obtenir la prise en compte par les agences de notation de tels éléments. Et le parlement vient de demander une enquête préliminaire à la Commission européenne sur ce sujet dont les conclusions, à la veille des élections européennes, fourniront un éclairage sans complaisance sur la volonté des autorités de créer les conditions du retour de la confiance.

Depuis la chute de Lehman Brothers les Etats renforcent le capital d'institutions fragilisées, apportent leur garantie aux dépôts des épargnants et aux opérations de crédit interbancaires, et deviennent les garants de dernier ressort. Et pour se financer ils seront de plus en plus nombreux à recourir à l'emprunt, dans un contexte concurrentiel accru.

Ainsi, loin de constituer une anomalie historique, le problème lancinant de la notation des émetteurs souverains en défaut de paiement non résolu - c'est le cas de nombreux Etats: la Russie bien sûr, mais aussi la Chine, la Turquie, la Grèce, et d'autres - est aujourd'hui d'une brûlante actualité.

Car au vu des manquements récents, qui fera confiance à une agence qui note de manière identique tel émetteur notoirement défaillant et tel autre scrupuleusement respectueux de ses obligations contractuelles ?

Si la Russie veut emprunter en 2010 comme elle le projette elle devra être notée "investment grade". Mais dans le nouveau cadre règlementaire européen, les agences pourront-elles continuer à tromper le public en lui attribuant une telle note si elle ne conclut pas un accord avec ses créanciers préexistants ? Nous avons bien l'intention de ne pas les laisser faire.

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Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Nous ne pouvons qu'approuver l'article de l'A.F.I.P.E.R dans la Tribune de ce jour, concernant les agences de notation. D'autant que la Russie s'était engagée en 1996 à restituer les biens réclamés par des États membres du Conseil de l' Europe. Ell...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La Chine volerait-elle au secours des porteurs de titres russes ? Peut- être initiées pour se prémunir d'un risque des bonds américains,les propositions réglementaires de la future agence de notation chinoise vont bien au-delà des propositions europ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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je ne sais pas qui a rédigé cet a rticle , mais il y a plein de question qui ressort; déjà le titre n'est pas cohérent. la Russie par le non paiement de ses dette nee doit pas s'appauvrir mais logiquement s'enrichir. Or si on pai pas nos dettes , on ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Article intéressant, ma foi? Ah, nos bons vieux emprunts russes! C?est que nous allions presque les oublier? En tous cas, je viens de contrôler (je travaille chez un broker), la Russie est effectivement notée investment grade (au moins chez S&P et ch...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Ce que vous annoncez est hallucinant et certainement vrai. Y?a pas que la Russie, la Chine qui ne reconnait pas ses dettes (gouvernements précédents) avec les millions d'obligations émises (France, Belgique, Etats-Unis, Allemagne, etc...) qu?elle n?a...

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