Les idolâtres de la finance doivent céder la place

Dani Rodrik est professeur d'économie politique à la John F. Kennedy School of Government de l'université de Harvard.

Ces dernières décennies, le rôle des banques centrales a crû avec l'expansion des marchés financiers. Même si elles n'ont pas été formellement conçues pour cela, ces institutions sont devenues les garantes de l'équilibre de ces marchés. Leur échec est apparu sous un jour cru lors de la débâcle des crédits immobiliers à risque. Avec la nouvelle règle du jeu proposée par Barak Obama, la Fed aura davantage de responsabilité, car elle devra éviter les crises financières et veiller à ce que les banques ne prennent pas de risques inconsidérés.

Dans cette tâche, le précédent président, Alan Greenspan, a parfaitement échoué en raison sans doute de son aveuglement sur les excès des marchés. Son "petit défaut" - comme il l'a lui-même baptisé par la suite - l'a rendu myope aux dangers des innovations financières des titans de Wall Street. Ce reproche peut être adressé à Bernanke, puisqu'il était membre du conseil des gouverneurs sous la présidence de Greenspan (2002-2005).

Le président de la Fed exerce une influence quasi mondiale par son action en matière de politique monétaire, mais aussi par ce qu'il dit. Il impose en effet la référence sur laquelle se règlent les responsables politiques de la planète. Comme régulateurs, Greenspan et Bernanke voyaient leur action limitée par leur crainte de Wall Street. Ils pensaient que ce qui est bon pour Wall Street est bon pour l'Amérique. Avec la crise, cela va changer, même si Bernanke reste en place. Mais ce dont le monde a besoin, c'est d'un président de la Fed instinctivement sceptique à l'égard des marchés financiers et de leur valeur en terme social.

Car les milieux financiers croient en certains mensonges :

- les marchés déterminent le prix adéquat pour répartir le plus efficacement possible le capital et les autres ressources. Il y a de bonnes raisons d'en douter : les dysfonctionnements des marchés sont trop nombreux pour que les prix générés permettent une bonne allocation des ressources ; il y a conflit d'intérêts entre propriétaires des capitaux et dirigeants des banques et des firmes financières ; l'asymétrie de l'information entre vendeurs et acheteurs de produits financiers fait que ces derniers peuvent être facilement abusés ; la garantie implicite ou explicite de bénéficier d'un plan de sauvetage en cas de difficulté entraîne une trop grande prise de risques. Les grandes entreprises financières qui servent d'intermédiaire mettent en danger tout le système quand elles analysent mal les risques et prennent une mauvaise décision. Les prix fixés par les marchés peuvent donc fournir des indications erronées;

- les marchés financiers disciplinent les gouvernements. Cette affirmation est manifestement fausse. Quand c'est l'euphorie, ils ne sont pas en effet en position de discipliner un emprunteur, encore moins un gouvernement bien noté en matière de crédit. Il suffit de voir les nombreux pays émergents qui ont pu emprunter sans difficulté sur les marchés internationaux, avant que n'éclate une crise des paiements. Souvent, les marchés ont laissé des gouvernements irresponsables faire une course aux emprunts qui ne pouvait que mal se terminer. Quand la discipline du marché se fait sentir, c'est trop tard car la situation est trop grave;

- l'expansion des marchés financiers est foncièrement positive. C'est faux. En matière financière, la mondialisation était supposée permettre aux pays pauvres et sous-capitalisés de bénéficier de l'épargne des pays riches. Elle était censée favoriser le partage des risques. Aucune de ces attentes ne s'est vérifiée. Avant le crash financier, le capital s'est en effet déplacé des pays pauvres vers les pays riches, ce qui n'était pas en soi une mauvaise chose, les gros emprunteurs (en termes nets) sur les marchés internationaux tendant à avoir une croissance plus faible. Avec la mondialisation financière, la volatilité des marchés émergents a augmenté, en partie du fait des crises financières fréquentes engendrées par les déplacements de capitaux;

- l'innovation financière contribue à améliorer la productivité et le bien-être économique. A nouveau, c'est faux. Supposons que nous ayons demandé cinq ans auparavant des exemples d'innovations financières réellement utiles. La réponse aurait consisté en une liste interminable d'instruments liés au crédit immobilier, supposés permettre à des acheteurs de financer des acquisitions qu'ils n'auraient pu réaliser autrement. Nous connaissons aujourd'hui à quoi cela a conduit.

La réalité est sans doute plus proche de ce que pense Paul Volcker : les distributeurs automatiques de billets de banque sont bien plus utiles qu'un produit issu de l'ingénierie financière.

Pendant trop longtemps, ce sont les idolâtres de la finance qui ont mené l'économie de la planète. Le temps est venu qu'ils cèdent la place aux sceptiques.

Copyright : Project Syndicate, 2009.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Que Dieu vous entende! Mais ce n'est pas gagné...

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