Lire entre les lignes de la conformité

Par Jean-Christophe Duhamel, de l'Université de Lille 2, et Björn Fasterling, Legal Edhec, l'Edhec Business School.

La publication du rapport de l'Afep et du Medef relatif à l'application de son propre code de gouvernement d'entreprise était attendue. L'organisation représentative des entreprises estime que "le suivi des recommandations de gouvernement d'entreprise par les sociétés concernées continue de s'améliorer", et constate, sur un an, de "réels progrès accomplis dans la prise en compte des recommandations du code". Dans un document de soixante pages, le rapport relate des taux de conformité impressionnants, ce qui tendrait à démontrer l'acculturation des sociétés cotées françaises aux principes de "bonne conduite".

Une équipe de chercheurs lillois, dans le cadre d'un projet de recherche financé par l'Agence nationale de la recherche (TIDCG, ANR-07-ENTR-O12), s'est précisément intéressée aux déclarations de conformité des sociétés du SBF 120 pour 2008 . Ces déclarations correspondent à la technique dite du "comply or explain", qui consiste pour une société à choisir un code de bonne conduite de rattachement, et à déclarer les écarts éventuels aux préceptes qu'il contient.

Cette technique de transparence est une nouveauté en droit des sociétés français. D'origine communautaire (dir. n° 2006/46/CE), elle fut consacrée par la loi du 3 juillet 2008. Le "comply or explain" est assimilé à un mécanisme simple et efficace pour l'investisseur, évitant une information trop narrative et difficile à démêler. Notre méthode consiste à apprécier la mesure dans laquelle les déclarations de conformité sont confirmées, ou infirmées, par d'autres informations disponibles sur la société. Il s'agit alors de s'émanciper de la tendance au "box ticking" du "comply or explain", c'est-à-dire de la conformité promotionnelle, de la communication performative.

L'essentiel, pour le rapport Afep/Medef, aurait été de présenter sa méthode permettant d'atteindre cet objectif. Il n'y a pas lieu de jeter un doute généralisé sur les déclarations des sociétés du SBF 120, mais à tout le moins d'admettre que la connaissance émerge de l'interrogation, non de la contemplation. La présentation de la méthode est précisément cruciale pour comprendre les résultats, qui deviennent plus légitimes. Le rapport Afep/Medef ne rentre pas dans les détails, se limitant à énoncer que "les statistiques établies [...] l'ont été sur la base des informations présentées dans les rapports annuels et/ou documents de référence", ce qui a abouti à l'élaboration de "fiches standardisées soumises aux sociétés concernées afin d'obtenir leur approbation quant à l'exactitude des données collectées..."

Ce rapport Afep/Medef, dont on pourra se demander s'il ne fait pas dans une certaine mesure double emploi avec le rapport annuel de l'AMF sur le gouvernement d'entreprise, décrit en somme la qualité de la communication des sociétés. Il s'agit de déterminer dans quelles proportions certaines informations sont présentes, et dans quelles proportions les sociétés déclarent appliquer les préceptes du code. On ne sait si le rapport a su dépasser les limites inhérentes à la technique du "comply or explain".

D'abord, il est difficile d'interpréter l'étendue des déclarations de conformité ; existe une présomption de conformité bénéficiant à la société dès lors qu'elle opère un rattachement à un référentiel de gouvernance, présomption qui tombe seulement si des points de non-conformité sont soulevés par la société elle-même. En cas de silence de la société, il faut la considérer compliant. Cette présomption est plus ou moins assumée, au gré de formules parfois alambiquées telles que "ces recommandations s'inscrivent dans la démarche de gouvernance d'entreprise de la société"... Mais même lorsque la conformité déclarée n'est pas ambiguë, reste la question difficile de la réalité des pratiques déclarées, voire du sens à conférer aux déclarations.

Il existe plusieurs moyens d'analyser l'effectivité des déclarations de conformité. Pour l'essentiel, il s'agit de s'interroger sur d'éventuelles contradictions, approximations ou insuffisances internes aux documents de référence des sociétés. Nous avons ainsi relevé que 22 sociétés sur 111 au sein du SBF 120 présentent d'évidentes non-conformités structurelles, alors qu'elles bénéficient d'une présomption de conformité en l'absence de leur part de déclaration contraire. Mais la connaissance de l'effectivité des pratiques se confronte à des difficultés bien plus importantes. Que faire lorsque la connaissance est rendue impossible par les portes hermétiques des conseils d'administration ? Que faire lorsque le précepte est d'ordre subjectif, déontologique, telle que l'incantation à la diligence de l'administrateur ? Il faut se borner à la confiance, et non à la connaissance.

Cette confiance trouve son corollaire dans l'éthique individuelle des dirigeants et de ceux en charge de les contrôler. Or, combien de temps encore faudra-t-il asséner, avec Me Soulez Larivière, que la transparence n'est pas une vertu, mais un outil au service de la vertu, autant que le secret ? Si la transparence n'est pas une vertu en elle-même, la charge positive qu'elle véhicule trouve pourtant une explication dans ses présupposés effets prophylactiques.

Parce que la transparence place sous le regard de tous, il faut compter sur l'autorégulation morale des comportements. Cette autorégulation par une transparence systémique est-elle seulement viable dans ce système amoral (mais non immoral) qu'est le capitalisme ? Le grand scepticisme évoluant sur les rémunérations des dirigeants n'est-il pas là au contraire pour nous montrer que les scandales évoluent malgré la transparence, voire que la transparence peut être mère du scandale dans des contextes de crise de confiance et de regain de défiance... ?

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