L'électorat sarkozyste  :  du déni au divorce

Par Marc Crapez, chercheur en sciences politiques associé à Sophiapol (Paris X), auteur de "Un besoin de certitudes. Anatomie des crises actuelles", aux Editions Michalon.

C'est une élection décevante. Les deux principaux partis ne totalisent que 55% des suffrages. La méfiance prédomine. Et la droite n'a pas su reconnaître qu'elle a perdu. C'est d'autant plus dommage qu'elle n'a pas subi une défaite cuisante. Il était arrivé au Parti socialiste au pouvoir de ne pas franchir la barre des 15%. Mais il n'empêche que la droite a perdu sans l'admettre. Elle s'est ancrée dans le registre du déni.

Au lieu de s'adresser, les yeux dans les yeux, à sa base électorale, pour lui dire qu'elle la respecte et qu'elle a besoin d'elle, elle multiplie les échappatoires. Ce ne serait pas un scrutin significatif sous prétexte que l'abstention est forte. Il serait possible d'annuler en quelque sorte le premier tour, par un coup de théâtre au deuxième, après s'être mobilisée dans l'intervalle. Pour ce faire, les leaders de la droite se sont tournés ostensiblement vers le vote écologiste, appel du pied contrebalancé par un signal vers la droite en prononçant le mot "sécurité".

L'électeur de 2010, qui pianote sur Internet, est allergique à ce paternalisme. Ce n'est plus un électeur captif en direction duquel on jette quelques graines au cri de "petit, petit, petit"... Si le corps électoral a décidé de sanctionner la droite, on ne le fera pas changer d'avis, et encore moins en usant de démagogie. Les écologistes savent ce qu'ils veulent : s'allier aux socialistes. Quant à la remontée du Front national, certains l'attribuent au débat sur l'identité nationale. Pourtant, si le FN est passé de 8 % dans les sondages à 11% dans les urnes, ces trois points grappillés à la dernière minute sont plutôt imputables aux récents gestes progressistes de Nicolas Sarkozy : nominations d'ouverture et rapatriement d'une lycéenne. Ces gestes médiatisés ont exaspéré certains électeurs, sans en séduire d'autres qui ont eu l'impression qu'on cherchait à les courtiser par de la "com".

Trois tendances de fond émergent. Primo, beaucoup d'électeurs de droite désappointés étaient d'humeur abstentionniste. C'est souvent le désamour entre l'électeur de droite et son président de la république : papa ne m'aime plus et me préfère un autre... Secundo, l'érosion continue de la droite aux élections régionales traduit une tendance lourde de la sociologie électorale. Le découpage régional lui est défavorable parce que, schématiquement, les fonctionnaires écologistes des centres-villes pèsent davantage que les paysans gaullistes. Tertio, la droite avait mal interprété ses résultats relativement bons aux précédentes élections européennes de juin 2009. Ils ne signifiaient pas une adhésion en politique intérieure. Ils récompensaient l'action du président de la République en politique étrangère et reflétaient un scepticisme à l'endroit des socialistes qui imputaient la crise à une mauvaise nature inhérente au capitalisme.

 

Le sarkozysme avait puisé sa force en refusant le déni de réalité. Le Premier ministre avait d'ailleurs publié un livre intitulé "La France peut supporter la vérité". Ce refus du déni était la marque de fabrique du discours de Nicolas Sarkozy. Lorsqu'il était candidat à la présidence de la république, il appelait un chat un chat. Sans adhérer nécessairement à ses propositions, les électeurs étaient soulagés que Sarkozy mette fin au déni du réel.

Lorsqu'un personnage de Molière se plaint de souliers neufs qui le "blessent furieusement", son tailleur lui répond que "point du tout, vous vous imaginez cela" et se heurte à ce cri du coeur : "je me l'imagine parce que je le sens." De nos jours, certains intellectuels présentent l'insécurité comme un sentiment fictif, c'est-à-dire comme un phénomène qui se passe dans la tête des gens, mais serait dénué de base objective. C'est à ce type de déni que le président de la république avait mis fin, conformément au conseil de Raymond Aron de ne pas oublier la simple vérité que 2 et 2 font 4. C'est peut-être par manque d'audace et de lucidité, ayant brouillé son image, que le sarkozysme se trouve pris en tenaille dans la dialectique du déni et du divorce.

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Commentaires 2
à écrit le 19/03/2010 à 19:07
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La gauche et Aubry en tête sera réaliste quand elle comprendra pourquoi le Languedoc vote Frêches. Quand à Sarkosy, il s'est boboïsé et a beaucoup déçu. Le drame de la majorité silencieuse, celle qui vote démocratiquement tous les 36 du mois, c'est ...

à écrit le 19/03/2010 à 9:41
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J'approuve l'analyse, et le déni de réalité est d'autant plus cruel à un moment où la gauche, elle, la considère en face ("pour une fois" ajouteront les esprits taquins). Témoin Martine Aubry qui admet que l'élection non pas probable mais certaine de...

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