Dettes souveraines  : pour une nouvelle approche des crises

La crise actuelle des dettes publiques n'est pas une crise comme les autres : elle affecte cette fois les économies développées. Or, toutes ne sont pas dans la même situation. Ainsi l'approche classique dite du "risque pays" n'est plus pertinente ; les données gouvernementales ne sont pas toujours fiables et les mécanismes complexes de refinancement des États changent la grammaire de ces crises. L'interprétation des informations domine.

Les crises de la dette publique ne sont pas des événements nouveaux. Depuis la faillite mexicaine de 1982 et ses extensions aux pays voisins, les épisodes de perte brutale de crédibilité financière se sont succédé dans de nombreux États du monde. Certains pays, tels l'Argentine et la Russie, ont même subi plusieurs crises successives au cours d'une période récente. Les États n'étant pas des banques, les distinctions classiques entre les liquidités et la solvabilité ne leur sont pas applicables. Les analystes ont ainsi construit le concept de "risque pays" pour mieux appréhender ses manifestations.

La crise actuelle, qui frappe certains pays de la zone euro, marque une rupture et entraîne une remise en cause d'outils analytiques forgés sur la base de ces expériences antérieures. Elle affecte exclusivement, pour la première fois, des économies occidentales développées. En outre, elle tire son origine moins des montants des dettes publiques elles-mêmes que des conditions de leur financement sur les marchés financiers. Ses conséquences, enfin, frappent l'ensemble des titres des places financières indépendamment de leur localisation.

Ces premiers constats permettent d'évacuer plusieurs idées reçues. L'examen des ratios utilisés pour repérer ces situations contredit l'hypothèse d'une crise générale des "Piigs" (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne). Si l'on s'en tient aux chiffres d'Eurostat, la dette publique grecque rapportée au PIB est plus proche de celle de l'Italie que de celle du Portugal ou de l'Irlande. L'Irlande, en revanche, affiche un déficit public record évalué dans les mêmes termes, bien supérieur à celui du Portugal et même peut-être à celui de la Grèce. Il est vrai que la balance des paiements de l'Irlande n'est que légèrement déficitaire et sa balance commerciale est excédentaire, à l'inverse de la situation espagnole, où la part de la dette publique sur le PIB est inférieure à celle de la France. Si, par conséquent, ces différents pays paraissent aujourd'hui menacés, la crise, qui atteint, ou risque d'atteindre chacun d'eux, sera singulière.

Ces indicateurs macroéconomiques sont-ils aujourd'hui vraiment efficaces pour analyser ces crises et comprendre leurs liens ? Il est permis d'en douter pour deux raisons. La première réside dans la fiabilité variable des données gouvernementales dont dépendent ces statistiques macroéconomiques. Le cas de la Grèce, sans doute extrême, avec son économie souterraine, est instructif. La seconde raison tient à l'étiologie de ces crises. C'est à l'occasion du refinancement des dettes publiques sur les marchés que des phénomènes inquiétants se sont manifestés. Ils ont mis au grand jour les ressorts de mécanismes de financement complexes, au travers notamment des CDS ("credit default swap"), lorsqu'ils fonctionnent sur une très grande échelle.

La rencontre de cette insuffisante lisibilité des indicateurs macroéconomiques avec les exigences d'information de marchés engendre des situations inédites dans la grammaire traditionnelle des crises de paiements publiques. Les théoriciens de la décision distinguent ici l'ambiguïté du risque. Les informations recueillies par les acteurs financiers sur les risques de défauts de paiements des pays soupçonnés sont incomplètes et contradictoires. Elles sont, pour cette raison, porteuses d'équivoque.

Des travaux récents d'économie comportementale et de "neuroéconomie" ont montré que le cerveau humain redoutait l'ambiguïté. Pour y échapper, les opérateurs financiers se raccrochent fébrilement aux nouvelles informations disponibles, afin de construire mentalement leurs anticipations. Ce contexte explique, en partie, la surprenante volatilité de ce marché de dettes souveraines. Il permet aussi de comprendre l'impact exceptionnel des changements opérés, ou seulement annoncés, dans les notations des agences sur les comportements de professionnels de la finance pourtant aguerris. Plutôt qu'une évaluation du risque, ces informations se trouvent interprétées comme des signaux prémonitoires. On saisit mieux comment s'enclenche alors un véritable cercle vicieux de l'information. Par-delà les mesures politiques et institutionnelles énergiques qu'imposent ces crises, il est aujourd'hui urgent de réfléchir, en amont, sur les ressorts de leurs déclenchements avec les nouveaux outils d'analyse proposés par les neurosciences.

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