François Fillon de retour des enfers

Chaque semaine, Hélène Fontanaud, journaliste au service France de "La Tribune", propose son regard sur la politique française. Un point de vue décalé pour prendre la mesure des stratégies, des idées et des jeux de pouvoir avant la prochaine élection. Aujourd'hui, François Fillon ou la tentation de l'Élysée.

L'enfer de Matignon est rarement pavé de bonnes intentions. La vie des institutions étant ce qu'elle est, quand on est Premier ministre, on est presque automatiquement conduit à penser à la marche suivante, la dernière, celle qui ouvre les portes du palais de l'Élysée. Ce qui serait de bonne guerre pour François Fillon, qui avait préconisé en 2006 la suppression du poste de Premier ministre, poussant jusqu'au bout la logique d'une présidentialisation du régime. "Président Fillon", a d'ailleurs titré récemment un hebdomadaire au milieu des rumeurs qui font de l'ancien député de la Sarthe le futur Chirac d'un Sarkozy-Giscard, chez qui le "bling-bling" aurait succédé à l'éclat des diamants centrafricains.

Il aura suffi d'une petite phrase lâchée dans un reportage qui lui était consacré le 26 septembre sur France 2 pour hisser François Fillon au premier rang de ceux qui peuvent incarner l'alternative au président sortant à droite. "Nicolas Sarkozy n'a jamais été mon mentor. J'ai fait alliance avec lui, j'ai choisi de l'aider à être président de la République et je m'en félicite tous les jours", a déclaré le chef du gouvernement.

Il y a chez François Fillon un mélange détonant de pudeur et d'orgueil qui l'a sans doute empêché de préciser qu'il n'avait connu qu'un seul mentor, Philippe Séguin, l'apôtre véhément du gaullisme social, qui fut l'un des maîtres d'oeuvre de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle de 1995. Le premier président de la Cour des comptes est décédé le 7 janvier. François Fillon, submergé par l'émotion, avait alors rendu hommage à celui qui l'avait "pris sous son aile".

 

Une autre petite phrase du reportage de France 2 - inopportunément coupée au montage - permet de comprendre que François Fillon sait son temps compté à Matignon. Une fois les réformes "mises en oeuvre", explique le Premier ministre, "il peut y avoir en fin de quinquennat une période où on se recale par rapport aux objectifs de l'élection présidentielle et où on peut imaginer que le président de la République ait besoin de changer de Premier ministre et de gouvernement".

 

D'où la tournée des adieux entamée par un François Fillon "décontracté" en Polynésie, provocateur vestimentaire à Brégançon, moqueur à la télévision quand il lâche, dans une allusion transparente à Nicolas Sarkozy, qu'il y a des gens qui "mériteraient d'être plus discrets". "Moi, je me force pour être moins discret", ajoute-t-il dans un rare éclat de rire. Et les élus de l'UMP, qui l'avaient affublé du sobriquet "Courage Fillon" lorsqu'il était ministre du Travail de Jean-Pierre Raffarin, commencent à le regarder d'un autre oeil. À commencer par le président du groupe UMP de l'Assemblée, Jean-François Copé, qui voit s'installer un nouveau rival.

"Fillon, combien de divisions ?" ironise-t-on pendant ce temps du côté du chef de l'État. Car, si la différenciation par petites touches reste dans le domaine du possible pour François Fillon, il lui serait aujourd'hui, mais peut-être aussi demain, difficile de vouloir incarner la "rupture" avec un président dont il a été pendant plus de trois ans le "collaborateur" (terme qu'il déteste) loyal et souvent muet. Les fidèles de Nicolas Sarkozy soulignent que le Premier ministre tient sa popularité - toutefois en recul dans les dernières enquêtes d'opinion - du fait que, en s'exposant sans cesse depuis 2007, le chef de l'État l'a préservé et déchargé de la responsabilité de mesures difficiles.

Et que serait donc le "fillonnisme" si le Premier ministre se lançait dans une offensive politique après son départ de Matignon ? On devine une sorte d'aspiration à incarner un Churchill français, appelant ses compatriotes au sang et aux larmes de la rigueur nécessaire. On perçoit aussi ses réticences concernant l'idéologie sécuritaire du chef de l'État.

Pour la gauche, la messe est dite. "Fillon s'émancipe à 56 ans... S'il s'émancipait des contenus des politiques, on y verrait là quelque chose de nouveau", mais le Premier ministre "dit, de manière peut-être plus polie, les mêmes choses que Sarkozy", a accusé le porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon. Le divorce de "la carpe et du lapin" prendra du temps.

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