Interventions troublantes sur les changes

Même coordonnées, les interventions sur les marchés des changes n'ont jamais démontré leur efficacité. En revanche, elles ont largement politisé le débat sur les taux de change, en fonction des intérêts de chaque pays. Le Japon en a fait les frais dans les années 1980. Et les États-Unis mettent aujourd'hui la pression sur la Chine.

L'intervention unilatérale du Japon pour faire baisser le cours de sa monnaie marque un tournant dans l'évolution de la nature de la crise financière, des difficultés des banques au désordre monétaire. L'initiative japonaise, suivie par le Brésil et la Corée du Sud, a tout de suite donné lieu à controverse. Les Américains ont dénoncé une politique de change prédatrice. Les Européens l'ont perçue comme la première étape d'une série de dévaluations compétitives. Il faut remonter aux années 1980 pour trouver une intervention de même nature. À l'époque, son efficacité a été clairement mise en doute. Le rapport de Philippe Jurgensen, commandé dans la foulée du sommet de Versailles de 1982, ambigu dans ses conclusions, précisait néanmoins que les interventions visant des objectifs contraires fondamentaux économiques étaient contre-productives. Les Américains y ont vu la preuve de l'inutilité des interventions sur les marchés des changes. Les Européens, les Français en tête, parvinrent à une conclusion opposée, à savoir qu'une action pouvait se justifier pour stabiliser les taux de change.

L'intervention la plus vigoureuse eut lieu quelques années plus tard, entre l'accord du Plaza de septembre 1985 et l'accord du Louvre en février 1987, pour déprécier le dollar. Mais en fait, la dépréciation du billet vert avait commencé bien avant la réunion du Plaza. Et les accords du Louvre évoquèrent des « zones cibles », des « parités de références » autour d'un taux central et la possibilité de nouvelles vagues d'intervention coordonnée. Ces accords ne furent pas seulement un échec. Ils furent également rendus responsables de l'émergence d'un débat politisé sur les taux de change dans lequel chaque pays favorisait ses propres intérêts. Les États-Unis, en particulier, exercèrent de très fortes pressions sur le Japon en faveur d'une politique plus expansionniste, ce qui alimenta une énorme bulle financière, dont l'éclatement semble avoir été la cause directe de la décennie de stagnation, la « décennie perdue », du pays. Depuis, un consensus émergea au Japon sur le fait que les pressions extérieures avaient contraint le pays à adopter une position dangereuse, et en fin de compte destructrice.

Le cas du Japon trouve un écho dans les polémiques actuelles. Alors que les États-Unis font pression pour que la Chine réévalue le renminbi, les économistes américains tentent de justifier cette position en avançant des exemples de pays excédentaires qui ajustèrent leur taux de change en adoptant des politiques plus expansionnistes. La contribution la plus étonnante à ce débat provient du FMI, qui présente l'ajustement des taux de change des pays excédentaires comme « généralement bénéfique ». Ces recommandations du FMI seront perçues par la Chine comme une invitation faite par les États-Unis de suivre le Japon dans ce qui revient à un suicide économique.

Compte tenu de l'état de l'économie mondiale, ce message n'est pas très constructif. Une approche un peu plus sophistiquée est nécessaire. Après tout, la vraie leçon des années 1980 est qu'exercer des pressions en faveur d'ajustements des taux de change et de politiques monétaires et fiscales plus flexibles n'est pas la solution, surtout quand la Chine, comme le Japon hier, doit faire face à un déficit budgétaire considérable.

Et avec le développement des marchés des changes, la capacité des banques centrales à intervenir sur les taux de change par le biais d'interventions avait énormément diminué.

Nous risquons aujourd'hui d'oublier cet enseignement fondamental. Toutes les discussions autour du taux de change ont ainsi conduit le Premier ministre japonais, Natao Kan, et le président français, Nicolas Sarkozy, à commencer à croire qu'eux aussi pourraient essayer d'influer sur les taux de change. Le problème est que les banques centrales mondiales ne l'entendent pas de cette oreille. L'obsession politique concernant l'amélioration du régime des changes revient à une invitation faite aux investisseurs privés de spéculer en pariant contre les banques centrales qui subissent des pressions politiques pour influencer le taux de change. Les banquiers n'en feront qu'à leur tête, et les politiciens devront, à contrecoeur, se résigner.
 

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