Mondialisation et inflation : le yin et le yang

La mondialisation touche presque à sa fin. La déflation des produits finis ne permet plus de compenser la hausse des produits de base. Et la hausse des salaires dans les pays émergents va revenir en boomerang dans les pays avancés.
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En 1990, les pays émergents représentaient 20% de la valeur ajoutée industrielle mondiale. A la faveur de la libéralisation du commerce mondial (la Chine demande son intégration à l'Organisation mondiale du commerce en 1994 et l'obtient en 2001), cette proportion s'est mise à croître de façon exponentielle, pour atteindre 45% en 2010, selon nos estimations.

Dans le même temps, le poids des pays émergents dans le PIB mondial est passé de 20% à 33%. Les pays émergents se sont surindustrialisés : l'industrie y a crû plus vite que leur PIB, plus vite donc que leurs revenus. Ils ont produit de plus en plus de choses qu'ils ne pouvaient s'acheter. Vue du côté des pays avancés, cette surindustrialisation s'appelle délocalisation : une part de l'industrie a été détournée des pays avancés vers les pays émergents pour livrer néanmoins les pays avancés.

Cette délocalisation industrielle est au coeur de l'évolution mondiale de l'inflation depuis vingt ans, soufflant tour à tour le froid (désinflation, voire déflation) et le chaud (inflation), dans une dialectique des contraires que les Chinois décriraient aisément sous la forme du yin (modération) et du yang (exubérance).

Le yin : la déflation des produits manufacturés. Dans une première phase (1994-2006), les pays émergents ont eu un rôle modérateur sur l'inflation mondiale (et surtout sur celle des pays avancés), en faisant baisser le coût salarial industriel mondial incorporé aux produits finis. En effet, on transférait la production de zones économiques où le coût horaire du travail était de 30 à 40 dollars vers des zones où il se situait dans une fourchette de 1 à 10 dollars. En ce sens, c'est une des explications majeures de la phase de grande modération, cette page de l'histoire économique occidentale (1994-2007) caractérisée par une inflation faible et peu volatile, dont les banquiers centraux américains et européens s'étaient à tort attribué le mérite. C'était le yin. Cette délocalisation engendrant un sous-emploi industriel chronique dans les pays avancés, elle faisait aussi pression sur l'emploi, les salaires et l'inflation domestiques. Pour entretenir la demande finale des pays avancés, il suffisait de laisser filer le crédit au secteur public (Europe, Japon) et privé (Etats-Unis), sans remords monétaristes, puisque l'inflation était faible. Ce sont là les fondements de la crise de 2008, dont les prêts "subprimes" et la faillite de Lehman ne sont que des symptômes.

Le yang : la flambée des matières premières. Mais le ver était dans le fruit : pour une même quantité de PIB mondial (exprimée en dollars) les pays émergents consomment de trois à six fois plus d'énergie que les pays avancés. On parle ici de faible productivité-matière (production par unité de matières premières), par analogie avec la productivité du travail (production par travailleur). Les pays avancés, en réaction aux crises pétrolières de 1974-1980, ont fait des efforts de productivité-matière considérables. Mais les pays émergents exportateurs sont dans une logique toute différente : l'écart des coûts salariaux avec les pays avancés est si grand qu'il permet d'être très peu regardant sur les autres coûts de production. La délocalisation a donc engendré une baisse de la productivité-matière mondiale ou, en termes plus prosaïques, une hausse du gaspillage. Il a fallu plus d'énergie et de produits de base pour la même quantité de production industrielle mondiale, entraînant une flambée des prix directement corrélée à la montée des émergents dans l'industrie mondiale.

La délocalisation étant aujourd'hui très avancée (peut-être presque finie, puisqu'elle est quasi totale dans certains secteurs), la déflation des produits finis ne permettra plus de compenser la hausse des produits de base. Les pays avancés souffrent plus que jamais d'un déficit de revenus des consommateurs, mais peinent à mobiliser l'expédient du crédit public-privé comme avant la crise. Ils poussent donc désormais bien volontiers les pays émergents à augmenter leur demande interne. On découvre ici et là que les inégalités sociales et la faiblesse des revenus des pays émergents (même corrigée des parités de pouvoir d'achat) sont extraordinaires et ne seront pas éternellement supportables (Tunisie, Egypte). Ailleurs, la surchauffe industrielle entraîne de fortes hausses salariales (Chine) et/ou des appréciations formidables de taux de change (Brésil). Tout cela va revenir en boomerang sur les pays avancés sous forme d'une hausse des produits finis. Ce sera le yang.

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