Et vous, avez-vous le sentiment d'avoir effacé la crise ?

Par Stéphane Soumier, rédacteur en chef de BFM Business
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Dix fois j'ai dû poser la question la semaine dernière, face aux résultats des grands groupes enfin solides, aux perspectives enfin durables : avez-vous le sentiment d'avoir effacé la crise ? La question est stupide, pavlovienne. J'ai mis quelques jours à m'en rendre compte. Il a fallu, pour le réaliser, qu'un mythe vienne s'asseoir dans le studio : Maurice Tchenio venait confirmer qu'il passait la main. Je sais que beaucoup d'entre vous ne le connaissent pas. Il a pourtant transformé le monde. Parmi les pionniers d'une des industries les plus puissantes des dix dernières années : le private equity.

À l'origine, il y a quarante ans, l'idée était belle : faire le lien entre les entreprises et l'argent. Inspirer confiance grâce à des équipes de gestion exceptionnelles, attirer les fonds d'investisseurs qui veulent diversifier les risques, repérer les entreprises avec les potentiels de croissance les plus importants, marier les deux, et fabriquer de magnifiques histoires de croissance. Un conte de fées. Un conte de fées qui a pu tourner au cauchemar. Parce que les équipes ont beau être exceptionnelles, elles commettent des erreurs, et qu'on a voulu parfois tenir les engagements de rentabilité sur le dos des entreprises, de leur avenir et des salariés. Mais le plus souvent, parce que ces équipes exceptionnelles ont atteint de tels niveaux d'excellence, trouvé de tels gisements là où personne ne les attendait, que les têtes ont tourné, qu'on a perdu la raison, qu'on a cru que le plomb devait forcément se changer en or.

Vous l'avez compris, l'histoire du private equity, la montée en puissance d'une industrie qui gère sans doute aujourd'hui plus de 1.000 milliards de dollars à travers la planète, c'est aussi l'histoire de notre crise collective. D'ailleurs, il y a deux ans, on commençait à regarder cette histoire comme un cyclone en formation sur les mers tropicales. Maurice Tchenio pense aujourd'hui sincèrement que le danger est écarté. La Bombe Oubliée (LBO, l'autre nom du private equity) n'explosera pas.

En revanche, les réflexions qui suivent font exploser ma question pavlovienne. Car il n'est pas question d'effacer quoi que ce soit dans ce que veut faire maintenant le fondateur d'Apax. Il veut juste tirer les leçons des transformations en cours : "La crise a accentué les besoins des plus fragiles et les États ne pourront pas y subvenir, le privé doit s'en occuper." Il monte une nouvelle aventure de venture philanthropy, avec un cahier des charges (aider les personnes défavorisées à retrouver l'autonomie financière par l'éducation et par l'emploi), des équipes de gestion et une capacité sans égale à lever des capitaux. Il veut surtout des résultats. Il veut pouvoir les mesurer, établir des process, trouver de l'efficacité. On pense évidemment aux initiatives de Bill Gates et Warren Buffett, à cette nouvelle philanthropie que décrit à merveille la sociologue Virginie Seghers. Est-ce qu'on a pris la mesure de ce que vont amener, en matière de transformation de la planète, les dizaines de milliards de dollars, et surtout l'exigence et la compétence extrêmes de ces businessmen sans égal ? Et si c'était la nouvelle histoire capitaliste de cette décennie, à l'égal de ce que fut celle du private equity ?

Vous avez peut-être entendu Michel Rocard récemment, il vend un livre d'entretiens qu'il a réalisés avec Alain Juppé. Je le trouve souvent passionnant dans sa posture de vieux sage : "Nous vivons la crise d'une forme d'organisation sociale et économique qui s'appelait le monétarisme et dont les paradigmes de base étaient faux. Quelques nouveaux prix Nobel alternatifs ces dernières années n'ont pas encore construit de références suffisantes pour quelque chose de vraiment solide, alors on tâtonne." Les tâtonnements de Maurice Tchenio m'ont enthousiasmé. On n'efface pas une crise, elle vous transforme.

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