On n'arrête pas une ambition industrielle avec une affaire d'espionnage

Par Stéphane Soumier, rédacteur en chef de BFM Business.
Copyright Reuters

Que n'aurait-on pas dit ? Si cela avait été l'inverse, le coeur des déclinologues aurait battu son plein ! Si vous êtes dans le secteur, vous avez suivi l'affaire. Si vous êtes consommateur occasionnel d'informations économiques, vous ne le savez pas. Rien dans le 20 heures, pas une déclaration de ministre vantant ce succès formidable de l'industrie automobile française, s'interrogeant avec une ironie calculée sur la pertinence du modèle choisi par les Allemands. Bref, pas un mot dans le grand public, et pourtant... pourtant, la semaine dernière, c'est bien le puissant Daimler qui a demandé à son partenaire Renault de voler à son secours : "nous avons besoin d'un partenaire supplémentaire dans l'électricité et l'électronique", avouait son directeur de la recherche et du développement dans la presse allemande, et ce partenaire, c'est Renault. En fait, Daimler doit faire des Smart électriques.

La réalité, c'est que Daimler n'est pas capable de les faire. Il faut vraiment prendre la mesure de ce qui est en train de se passer dans le secteur. En gros, vous avez trois ans pour développer un nouveau modèle. Là, c'est peut-être l'ensemble des modèles qui doivent changer en trois ans. La vraie complexité, c'est que personne ne le sait vraiment. Personne n'est en mesure d'évaluer la masse et la qualité de la demande sur le véhicule électrique. Alors il faut faire des paris - des paris à plusieurs milliards d'euros. Vous le savez, Carlos Ghosn a fait ce pari pour Renault, il y a bientôt trois ans. Cet accord avec Daimler aurait dû être célébré comme une formidable première victoire. Quel que soit l'état de la demande, on tenait le premier indice qu'elle avait toute les chances de converger vers Renault. Un pas de géant pour s'imposer comme LE spécialiste du secteur. D'autant que, dans la même semaine, Renault pouvait annoncer l'arrivée en Europe de véritables offres commerciales de rupture, et prenait à nouveau de l'avance.

Je ne sais pas si vous êtes familier du modèle Better Place, lancé par un génial ingénieur israélien, Shai Agassi, modèle auquel Renault s'est associé très tôt. L'idée est d'offrir des voitures électriques à autonomie illimitée. Bien sûr, c'est un argument marketing. L'autonomie illimitée se résume à couvrir un pays de stations de recharge. L'idée de génie, c'est qu'on ne recharge pas la batterie justement, ce serait trop long ; un dispositif automatique la change en moins de cinq minutes et ce, 24 heures sur 24. Vous n'avez strictement rien à faire, c'est encore moins compliqué qu'un plein d'essence. D'ailleurs, pour vous rassurer totalement, on vous installe une station de recharge dans votre garage au moment où vous achetez la voiture (si vous voulez poursuivre jusqu'au bout, je ne sais pas combien vous dépensez en essence, mais le kilométrage illimité Better Place coûte 399 euros par mois). Au départ, tout cela était pensé pour un tout petit pays, en l'occurrence Israël. Mais la grande victoire pour Renault, à la fin de la semaine dernière, c'est que le déploiement était annoncé en Europe, au Danemark. Bien sûr, ce n'est pas encore la France, mais on se rapproche.

Vous n'en avez pas entendu parler ? J'ai oublié de vous préciser que le communiqué de Renault était tombé jeudi dernier. Quelques heures avant, l'AFP avait publié cette dépêche qui faisait l'effet d'un tremblement de terre dans l'entreprise : "la DCRI (le contre-espionnage) n'a pour l'heure mis au jour aucune trace d'espionnage". Je voulais juste vous permettre de prendre la mesure de l'invraisemblable gâchis que pourrait provoquer cette affaire. Même si fondamentalement je n'y crois pas. L'impulsion donnée est trop forte, la victoire trop proche. On n'arrête pas la marée avec une serpillière, disait un célèbre général américain, on n'arrête pas une ambition industrielle avec une sombre histoire d'espionnage incontrôlée.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.