Inégalités : arme fiscale contre arme libérale

Les Français sont demandeurs de justice sociale. Si la gauche insiste sur l'arme fiscale, la droite cherche des solutions libérales, pour vaincre le sentiment d'appauvrissement des classes moyennes.
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A gauche, on l'aborde déjà de front, en réclamant une nouvelle donne fiscale et un plus grand investissement de la sphère publique. A droite, on l'évite pour l'instant, du moins dans les discours officiels. Mais nul ne doute que le sujet des inégalités sera au coeur de la campagne électorale, en vue de l'élection présidentielle. Car, tous ceux dont le métier est d'ausculter les Français le soulignent, ceux-ci sont demandeurs d'une plus grande justice sociale. Ils ne s'accommodent pas de la montée des écarts de revenus.

On sait que, suivant en cela l'évolution américaine, les plus hautes rémunérations ont fortement progressé au cours des années 2000, en France. Mais, souligne-t-on à droite, les rémunérations les plus basses ont, elles aussi, augmenté. L'unification, par le haut, des différents Smic a dopé le salaire minimum. Si, à droite, les experts minimisent donc la réalité d'un creusement des écarts de revenus, ils admettent la montée d'un sentiment d'inégalité. Surtout au sein des classes moyennes. Ce sentiment se focalise sur le logement. Car, alors que les Français dits moyens estiment avoir vocation à devenir propriétaires, l'envolée des prix de l'immobilier rend ce rêve souvent impossible. Cette incapacité à accéder à la propriété suscite un véritable sentiment de déclassement. "Il y a là un marqueur de pauvreté", remarque-t-on à droite. Comment redonner du pouvoir d'achat à ces classes moyennes, surtout celles relevant de la catégorie dite inférieure ?

A gauche, le thème de la réforme fiscale est revenu en force. Avec un objectif principal énoncé clairement, notamment par François Hollande : redistribuer du revenu aux plus modestes. En termes plus crus et moins technocratiques, prendre aux riches pour redonner aux pauvres, via des hausses d'impôt frappant les premiers. Le Parti socialiste préconise en outre de nouvelles dépenses publiques, notamment en faveur de l'éducation, pour "combattre les inégalités à la racine", selon l'expression fétiche de Dominique Strauss-Kahn. Cette idée, professée de longue date par l'actuel directeur général du FMI, de ne pas se focaliser uniquement sur la redistribution des richesses, mais de lutter contre les inégalités dès leur formation, aussi bien à l'école que dans l'entreprise, rencontre de fait un succès croissant au PS.

A droite, on balaie du revers de la main cette solution de l'intervention fiscale et de la dépense publique. Au contraire, on entend redonner du pouvoir d'achat, non pas par l'intervention de l'Etat, mais par la libéralisation de l'économie. Notamment au sujet du logement, premier facteur de perte de pouvoir d'achat. Pour faire remonter celui-ci, il s'agirait de faire baisser les prix de l'immobilier en augmentant l'offre de logements. Comment ? Les experts proches de l'exécutif caressent l'idée d'une simplification drastique du Code de l'urbanisme, susceptible d'être votée dans la foulée d'une victoire électorale. Ainsi, les possibilités de construction seraient démultipliées, d'où la baisse des prix. Et du pouvoir d'achat supplémentaire donné aux Français. Seront-ils convaincus par une telle proposition ?

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Romain Rancière, professeur associé à l'École d'économie de Paris
La montée des inégalités, cause profonde de la crise financière

Aux États-Unis, les salariés pauvres ne peuvent plus financer leur consommation par l'endettement. D'où le risque de tensions.

En quoi la crise financière et la montée des inégalités ont-elles eu, aux États-Unis, partie liée ?

D'un côté, les riches sont devenus de plus en plus riches, et ils se sont trouvés à la recherche d'opportunités de placements, de nouveaux actifs. À l'autre bout de l'échelle, les moins aisés ont eu besoin de s'endetter pour continuer à consommer. Les deux catégories se sont donc trouvé un intérêt commun. Les riches avaient besoin que l'économie continue à croître et, donc, que la consommation augmente de façon continue. Si la consommation s'arrête, le risque existe d'une suraccumulation du capital, au sens marxiste du terme. Quant aux « pauvres », ils voulaient maintenir leur niveau de consommation alors que leurs revenus réels baissent. Ils ont donc recours à l'endettement. S'est donc mis en place un processus de recyclage, l'argent des riches finançant la consommation des pauvres, mais en leur imposant de s'endetter. Les gouvernements ont laissé faire, car ils voulaient permettre aux pauvres de maintenir leurs moyens de consommer, faute de quoi ils auraient pu se retourner contre l'État.

Peut-on dire que les plus fortunés, par leurs poids croissant, ont pu influer les politiques, poussant à la dérégulation financière ?

En fait, il faut remonter plus loin. La montée des inégalités, dans les années 1980, a été liée à une série de dérégulations. Les gouvernements américains ont contribué alors à la perte de pouvoir syndical, ce qui a pesé sur les salaires. Dans un deuxième temps, est apparue la nécessité du recyclage financier. Ce qui est clair, c'est que la montée des inégalités a été la cause profonde de la crise financière.

Comment sortira-t-on de cette situation ?

Par une réduction des inégalités. Mais la tâche est difficile. La pression est forte, contre toute limitation des hauts revenus. Obama n'a pas vraiment remis en cause les « tax cuts » de George Bush qu'il voulait, initialement, revoir. Les salariés pauvres devront adapter leur consommation à la réalité de leurs revenus. Il est donc possible que des tensions sociales apparaissent.

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Tony Atkinson, professeur à l'université de Cambridge
Pour une taxation commune des riches dans tous les pays de l'OCDE

Spécialiste des inégalités, Tony Atkinson suggère un taux d'impôt maximum porté à 50 %, dans tous les pays de cette zone.

La crise récente a-t-elle pesé sur les hauts revenus ?

Il est trop tôt pour en juger. Les données harmonisées nous manquent beaucoup, sur ce sujet. S'agissant des comptes nationaux, nous disposons de statistiques comparables, nous pouvons rapidement comparer l'évolution des PIB, mais ce n'est pas le cas s'agissant des revenus. Les délais sont importants. On peut penser que la diminution des plus-values, en 2008, a pesé sur les revenus des riches. Mais, semble-t-il, ils ont très vite regagné du terrain, si l'on en juge par les classements internationaux réalisés par la presse, tels que celui de « Forbes ». Par ailleurs, on constate un développement du « Welfare », même aux États-Unis où, contrairement à ce que l'on croit, il existe des allocations chômage. Cela contribue à réduire les inégalités.

Ces inégalités ont-elles eu un impact sur la croissance ?

Leur véritable impact a été le développement de l'injustice sociale. Il est difficile de démontrer un autre effet.

Comment diminuer les inégalités ?

Le meilleur instrument, c'est l'augmentation des impôts, du taux marginal d'impôt sur le revenu.

Jusqu'où est-il possible d'aller dans les hausses d'impôts ?

Pour éviter l'évasion, la fraude, le taux de 50 % me paraît raisonnable, un maximum. Surtout, il faudrait instituer une « world taxe authority » (autorité fiscale mondiale), qui mettrait en place une taxation globale des riches, avec des règles communes, un taux maximum commun de 50 %. Les riches y gagneraient en obtenant une moindre incertitude fiscale sur les règles en application. Les gouvernements ont réalisé d'importants progrès dans la transparence, l'information, sur des sujets comme le terrorisme. Pourquoi pas en matière fiscale ?

Faut-il convaincre tous les pays ?

On pourrait commencer par les grands pays industriels, l'OCDE. Même les Européens, à eux seuls, constitueraient un groupe de pression. Voyez la Suisse. Ils ont évolué.

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