L'impossible austérité généralisée

Les pays du sud de l'Europe multiplient en vain les plans d'austérité budgétaire. A la différence de pays en difficulté ayant réussi à rétablir leurs finances publiques (Suède, Canada...), ils ne peuvent pas mettre en œuvre des politiques monétaires expansionnistes et sont victimes d'un environnement économique défavorable.
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La baisse de la dépense publique relance-t-elle la croissance économique ? Bien évidemment, assurent nombre d'économistes libéraux, qui prônent avec force et constance des politiques d'austérité budgétaire. Même s'ils n'ont pas, c'est certain, valeur de preuve, les exemples actuels de la Grèce et du Portugal sont loin de conforter cette thèse. Plus les gouvernements y multiplient les plans de redressement des finances publiques, fondés notamment sur des coupes claires dans les crédits budgétaires, plus l'économie s'effondre. Et, avec elle, les recettes fiscales. Il faut, alors, remettre sur le métier un nouveau plan d'austérité, censé rétablir la situation, mais qui provoque en fait une nouvelle dégradation de l'économie et une chute supplémentaire des recettes. En attendant le plan suivant...

Ce processus, véritable cercle vicieux, qui risque de mener l'Europe dans le mur, a été analysé de longue date, par Keynes. Mais l'échec des politiques de relance, au cours des années 1970, a provoqué un tel rejet du keynésianisme qu'on a, trop vite, jeté le bébé avec l'eau du bain keynésien, rangeant au magasin des accessoires usagés toutes les théories du maître de Cambridge, au motif que certaines de ses préconisations n'étaient plus adaptées.

A l'appui de leur thèse, les partisans de la rigueur mettent souvent en avant les spectaculaires exemples de redressement budgétaire que sont la Suède et le Canada, au milieu des années 1990. Comparaison n'est pas raison, disait le professeur Barre. D'abord, ces pays, effectivement confrontés à une dégradation insoutenable de leurs finances publiques, ne se sont pas livrés à des coupes claires et sauvages dans leurs budgets, contrairement à une idée couramment admise. Au bout de cinq ans, on a pu constater simplement un gel des dépenses publiques (en monnaie constante, une fois l'inflation déduite), comme en attestent les données de l'OCDE.

Ensuite, ils ont accompagné leur redressement budgétaire de politiques monétaires particulièrement expansionnistes. Elles ont alimenté le crédit et provoqué une dévaluation de leurs monnaies. La couronne suédoise et le dollar canadien ont chuté d'au moins 20%, par rapport aux grandes devises. D'où un regain considérable d'exportations, source de croissance. Par définition, Grèce et Portugal ne peuvent pas jouer ainsi sur leur monnaie... Enfin, ces plans de redressement sont intervenus dans un environnement économique international plutôt favorable, qui a conforté ces exportations.

C'est là, aussi, que le bât blesse, concernant les pays du Sud de l'Europe. S'ils étaient les seuls à pratiquer l'austérité, leurs politiques auraient une petite chance de réussir. Mais le fait que toute l'Europe ait décidé de mettre en oeuvre des politiques budgétaires restrictives, avec, à la clé, une croissance plutôt faiblarde, leur ôte cette lueur d'espoir.

Dans une étude à paraître (*), trois économistes de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) analysent l'impact des politiques d'austérité. Tout dépend du niveau de ce que les experts appellent le "multiplicateur" : comme Keynes l'avait mis en évidence, l'injection de dépenses publiques dans une économie à hauteur de 1 point de PIB provoque, in fine, une relance bien supérieure à ce montant, car la nouvelle dépense est source de revenus supplémentaires, qui sont eux-mêmes dépensés, provoquant d'autres hausses de revenus, etc. C'est l'effet multiplicateur, qui joue aussi à l'inverse : les coupes budgétaires ont un impact économique restrictif supérieur à leur montant initial. L'ampleur de cet effet dépend des circonstances. Grosso modo, une politique, pour être efficace, doit aller contre le cycle économique (elle doit être restrictive en cas de surchauffe, et relancer dans un contexte de marasme).

Cela n'est pas le cas actuellement en Europe : l'austérité accentue la faiblesse de la croissance et ne permet pas le rétablissement budgétaire. Alors que "les économies avancées se situent comme actuellement en bas de cycle [...], les multiplicateurs budgétaires sont élevés et les effets récessifs des politiques d'austérité seront forts", affirment les auteurs de l'étude. Et de souligner : "L'impact de la restriction budgétaire sera d'autant plus fort que la situation conjoncturelle est dégradée, que les cycles économiques dans les pays partenaires sont proches, que ces politiques budgétaires sont synchronisées, et que les marges d'action de la politique monétaire sont restreintes."

(*) "Petit Précis de politique budgétaire par tous les temps : les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle", par Jérôme Creel, Eric Heyer, Mathieu Plane, revue de l'OFCE.

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