Un semestre dans la tête de Marc Fiorentino

Les mois de février, mars et avril sont un printemps économique et boursier avant l'heure. Mais ce printemps ressemble fort à un mirage et les signes d'un retournement sont déjà bien visibles. Alors, suivez le conseil de Marc Fiorentino, "Sauvez votre argent !".
Copyright Reuters

"Sauvez votre argent !", c'était le conseil tonitruant donné dans son livre sorti le 20 janvier 2011 (éditions Robert Laffont) par le gourou Fiorentino aux Français. Succès immédiat et mérité. Car, en janvier 2011, les marchés broient du noir : la crise financière semble ne pas vouloir finir mais à l'époque ce n'est pas le port du Pirée mais les banquiers irlandais qui sont la source de toutes les inquiétudes. Si l'on relie les commentaires de ce début d'année 2011, on mesure à quel point le pire semblait certain à la majorité des analystes. Pourtant, au cours du premier semestre 2011, les thèses les plus pessimistes vont basculer.

Les mois de février, mars et avril sont un printemps économique avant l'heure. Les indicateurs PMI - indice des directeurs d'achat - atteignent un sommet en Allemagne au cours de l'enquête d'avril auprès de chefs d'entreprise, battant les consensus les plus optimistes. L'inquiétude collective sur les pays méditerranéens retombe - sans qu'aucune nouvelle information ne le justifie vraiment - tandis que l'Irlande disparaît peu à peu de la une des journaux économiques.

Alors qu'importe si les agences de notation poursuivent des dégradations de notes souveraines : 3 février (Tunisie) ; 7 mars (Grèce) ; 10 mars (Espagne) ; 5 mai et 5 juillet (Portugal), etc. Et qu'importe également si le pétrole (brut coté à New York) atteint 114 dollars dans les tout derniers jours d'avril, record absolu depuis l'été 2008 ? Les plus rationnels écartent la question de l'inflation et de ses conséquences sur la demande globale d'un revers de main. Et c'est dans une indifférence générale que la Banque centrale européenne est la première à relever ses taux d'intérêt directeur en avril. Même la terrible catastrophe japonaise ne suscite que quelques inquiétudes sur la provision de pièces détachées pour les filières automobiles américaine et européenne...

Printemps également pour les marchés financiers : le CAC 40 grimpe de 8% entre le 1er janvier (3.804) et le 1er mai (4.105). L'euphorie convient à tellement de monde à la fois : le gouvernement américain à qui on ne demande pas de comptes sur l'absence de reprise de l'emploi ; l'Union européenne sans aucun plan B pour la Grèce ; et évidemment les acteurs des marchés financiers qui voient les bénéfices grossir à vue d'oeil sans - de nouveau - s'interroger sur la cohérence de ce rally avec la reprise économique.

Printemps économique ou mirage financier ? Je penche malheureusement pour la seconde hypothèse. Non pas que la reprise économique mondiale ne soit pas en route : si l'on regarde l'Asie par exemple, la production industrielle y est 30% au-dessus de son niveau de 2008. Mais, contrairement aux messages un peu rapides délivrés entre février et avril 2011, cette reprise n'a pas du tout atteint sa maturité en Europe et aux Etats-Unis. En matière de production industrielle, par exemple, le décrochage par rapport à début 2008 - trois ans plus tard ! - est toujours de ? 8% en zone euro et aux Etats-Unis. Et ne parlons évidemment pas de l'Italie, de l'Espagne ou de tous les pays surendettés. Curieusement, ces chiffres sont brusquement redécouverts par les marchés à compter de début mai 2011, moment où les indices boursiers retombent, où l'on s'interroge de nouveau sur la pertinence de la politique monétaire américaine et surtout sur la situation des dettes souveraines des pays d'Europe du Sud, au premier rang desquels la Grèce.

D'où vient l'erreur d'appréciation ? D'autant plus impardonnable qu'en mars 2011 la conjoncture s'est déjà retournée. Et ce qui sera une lente prise de conscience au cours du deuxième trimestre pouvait déjà être analysé à ce moment-là. Dès février, la Chine craint une surchauffe incontrôlée des liquidités, et réagit en relevant ses taux directeurs, opération qu'elle a renouvelée depuis. Sur le terrain des devises, c'est le dollar qui se déprécie tant face à l'euro qu'au yuan. Quant aux prix des matières premières, leur envolée est déjà actée et ses conséquences dans les chiffres de prix de production mondiaux.

D'ailleurs, comment prétendre qu'il s'agit d'une surprise ? Décidément les marchés "n'ont rien appris, ni rien oublié". Les bulles constituées avant la crise économique sur les marchés immobiliers et financiers - en partie déplacées dans les dettes publiques - n'ont absolument pas disparu ; elles vont sans doute mettre des années à se dégonfler. Des années de croissance molle au mieux dans les pays de l'OCDE pour avaler la masse nominale qui n'a pas de contrepartie dans l'économie réelle. Il faudra que les taux d'intérêt directeurs de la Réserve fédérale soient relevés bien avant que ces bulles ne disparaissent. Autrement dit, à un moment ou à un autre, beaucoup d'intervenants vont perdre beaucoup d'argent. Soit par ajustement rapide mais brutal ; soit par ajustement doux mais très long. Et, même si beaucoup ont intérêt à laisser croire que le seul problème se situe en Grèce, beaucoup d'argent reste à perdre aussi sur les autres marchés obligataires et financiers. C'est évidemment ce qui se cache derrière les débats autour de la fin du QE2 américain. C'est surtout ce qui se cache derrière la volatilité des marchés financiers au cours du semestre qui vient de s'écouler.

Autrement dit, six mois après, Marc Fiorentino a toujours raison. Le conseil qu'il donnait reste le meilleur : sauvez votre argent ! Il semble d'ailleurs encore plus sage et pertinent qu'il y a six mois car, à force de non-dits et de pseudo-solutions de plans d'austérité, les marchés se dirigent en seconde moitié d'année 2011 vers un saut... dans le vide.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.