Sortir de la caricature sur la mondialisation

L'Europe doit-elle adopter des mesures protectionnistes face à ses concurrents ? Le marché européen est-il trop ouvert aux biens et services des autres continents ? Le débat des 7èmes Rencontres de l'entreprise européenne organisées par Roland Berger Strategy Consultants, HEC et La Tribune a rassemblé, mardi soir aux Beaux-Arts à Paris, des personnalités éminentes du monde économique : Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE, Laurence Parisot, présidente du Medef, et quatre chefs d'entreprise passionnés par le défi de la ré-industrialisation de l'Europe : Louis Gallois, président d'EADS, Henri Lachmann, président de Schneider, Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et, à ce titre, président du Fonds stratégique d'investissement, le fonds souverain français ; et enfin François Quentin, patron de Huawei en France, groupe chinois de télécommunications.
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En introduction du débat, Stéphane Albernhe, Managing Partner de Roland Berger, a rappelé à juste titre que l'Union européenne (UE) dégage un solde commercial excédentaire si l'on ne prend pas en compte ses importations d'hydrocarbures. "Freiner l'accès au marché européen aux pays émergents pourrait entraîner des rétorsions de leur part, notamment de la Chine", avertit-il. Dès lors, selon lui, une des questions est de savoir "si un protectionnisme raisonné est encore possible sans déclencher des mesures de représailles".

Pour l'OCDE et son secrétaire général, Angel Gurría, "ériger des barrières protectionnistes serait, pour les entreprises, se tirer une balle dans le pied". D'après un rapport de l'organisation pour le G20, de telles mesures auraient "un effet négatif sur la croissance et l'emploi, non seulement dans les pays exportateurs mais aussi importateurs".

Face à cette solution "en trompe-l'oeil", les économies doivent plutôt procéder à "des réformes structurelles", comme celle du marché du travail, ce qui permettra de "résorber les déséquilibres économiques mondiaux". "Il ne faut pas démondialiser mais remondialiser, mieux mondialiser, avec davantage de multilatéralisme", estime Angel Gurría.

Pour la présidente du Medef, Laurence Parisot, il faut sortir du tableau noir dépeint pour la mondialisation. Elle détruit certes mais "recrée de la valeur", non seulement en termes de PIB par habitant, en progression tant dans les pays industrialisés qu'émergents, mais aussi selon l'indice même du développement humain élaboré par l'ONU, en hausse. La tentation protectionniste est, pour elle, un dangereux saut dans l'inconnu : "Quand on commence à se fermer, il est de plus en plus difficile de revenir en arrière et, une fois dans des logiques conflictuelles, des choses peuvent nous échapper."

Si pour Louis Gallois, CEO d'EADS, le protectionnisme n'est pas non plus la solution, l'issue est plutôt dans l'application des règles, voire la réciprocité à laquelle se rallie actuellement l'UE. Il rappelle, par exemple, que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a "de très grandes difficultés à faire appliquer les règles qu'elle édicte". François Quentin, président de Huawei France, souligne que son groupe, géant chinois des télécoms, est tout à fait favorable à plus de règles, "à renforcer la propriété intellectuelle sur les marchés mondiaux" : "Nous sommes le troisième déposant de brevets au monde et avons déjà poursuivi en justice des concurrents chinois."

Archaïsmes français

Pour Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, le discours sur la mondialisation est souvent caricatural. "Quand Schneider Electric produit en Chine, un quart des composants viennent de France où ils créent des emplois", indique-t-il. "La désindustrialisation de la France est surtout due à la France elle-même", explique-t-il, énumérant ses causes, de "l'archaïsme du dialogue social" à "la financiarisation des entreprises" en passant par "le problème de la coopération des grandes firmes avec les PME-PMI".

Côté industrie, "il y a désormais une réelle prise de conscience en France" des difficultés du secteur, dit Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, rappelant que la part de l'industrie dans le PIB français est désormais moitié moindre que celle de son voisin allemand (16 % contre 30 %).

F. P. W.
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Peut-on encore produire en France ?

L'industrie française a des atouts dont, au premier chef, le soutien récent des pouvoirs publics. Mais des obstacles quasi culturels demeurent, tel le manque d'entreprises de taille moyenne.

"En France, on n'aime pas l'industrie, la désindustrialisation vient d'abord de là." Ce propos désabusé d'Henri Lachmann signe-t-il la condamnation de l'Hexagone à ne devenir qu'une grande entreprise de services, un simple parc d'attractions ? Augustin de Romanet comme Louis Gallois ou même François Quentin ne le croient pas. Certes, comme le rappelle Augustin de Romanet, la part de l'industrie dans le PIB a fortement reculé depuis vingt ans, passant de 24 % à 16 % de la valeur ajoutée, alors qu'elle progressait au contraire en Allemagne (grimpant de 26 % à 30 %). Mais, souligne-t-il immédiatement, une prise des conscience des pouvoirs publics a eu lieu. Des instruments de soutien ont été mis en place. Et de citer les pôles de compétitivité, qui montent en puissance, les états généraux de l'industrie, et le Fonds stratégique d'investissement, dirigé par Augustin de Romanet, doté de 20 milliards d'euros.

Louis Gallois approuve, qui ajoute à cette liste le grand emprunt et le crédit d'impôt recherche, que Henri Lachmann juge "excellent". La France "a des atouts, comme une grande culture de l'innovation, elle dispose d'un écosystème de qualité", souligne François Quentin. Alors, d'où vient le problème ?

Henri Lachman met en avant les obstacles d'ordre culturel, "l'absence totale de solidarité entre grandes et petites entreprises" qui explique la faiblesse du nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI, entre 250 et 5.000 salariés).

Différences d'état d'esprit

"Les Allemands chassent en meute, alors que les Français font figure de combattants solitaires." Il existe des "racines historiques", avance Augustin de Romanet. "Dans le Saint Empire romain germanique, il y avait 600 princes. Chacun avait deux buts de guerre : avoir une très belle université et le maximum d'entreprises pour assurer ces recettes fiscales." En France, on ne compte que 750 ETI industrielles, non dépendantes de grands groupes.

Surtout, alors que les chefs d'entreprise allemands ne songent qu'à développer leur entreprise au profit de la future génération, les Français pensent avant tout à la vendre. "Quand je vois de jeunes ingénieurs qui ont créé leur boîte, ils ne songent qu'à ça", dit Henri Lachmann. I. B.

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Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE

Malgré les budgets serrés actuels, il faut maintenir les services pour l'emploi et soutenir les jeunes au chômage, sinon il y aura des indignados partout.

Pendant longtemps, les pays de l'OCDE ont représenté 70 % du PIB mondial, maintenant ils ne sont plus que 60 % de l'économie mondiale, une part qui va encore s'amenuiser. Cela peut nourrir des réflexes de repli dans les pays industrialisés, voire à une démondialisation. Ce serait une réponse erronée, et même suicidaire, alors que l'économie mondiale a besoin de plus de coopération et de coordination. Il ne faut pas succomber aux sirènes du protectionnisme (...). Dans les pays de l'OCDE, 45 millions de personnes sont au chômage ; avant la crise, ils n'étaient que 31 millions. Ce sont notamment ces jeunes qui manifestent aujourd'hui dans les rues de Rome à New York. Aussi, malgré les budgets serrés actuels, il faut maintenir les services pour l'emploi et soutenir les jeunes au chômage, sinon il y aura des indignados partout.

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Laurence Parisot, présidente du Medef

Combien de Français savent que l'Union européenne est la première puissance économique mondiale, devant les États-Unis ?

La mondialisation est souvent présentée comme n'ayant eu que des effets pervers, et elle serait plus destructrice de richesse que créatrice. Elle détruit, mais elle recrée aussi de la valeur. La meilleure réponse dans la mondialisation est de rester compétitifs.

Et la première chose à faire est d'être conscients de notre force : combien de Français savent que l'Union européenne est la première puissance économique mondiale devant les États-Unis ? Nos difficultés actuelles sont moindres que celles de l'Amérique, à savoir leur incapacité à recréer de la croissance, une dette privée très élevée. Nous devons toutefois mener des réformes structurelles. En France, nous avons mené celle des retraites, la prochaine grande réforme à mener est celle de l'assurance maladie.

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Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric

La mondialisation n'a pas provoqué la désindustrialisation, c'est l'inverse : la désindustrialisation a ouvert nos frontières.

Si les Français n'acceptent pas la mondialisation, c'est parce que nous n'avons pas fait la pédagogie des faits. Il faut expliquer qu'un produit vendu en Chine contient souvent 30 % de composants venant d'Europe.

Ce n'est pas la mondialisation qui a provoqué la désindustrialisation en France, c'est l'inverse : la désindustrialisation a ouvert nos frontières. C'est un phénomène essentiellement français. Nous manquons, nous souffrons d'une absence de vision à long terme, et d'une financiarisation beaucoup plus forte qu'en Allemagne, voire qu'en Grande-Bretagne.

Quant à la régulation de la concurrence en Europe, on nous oblige à vendre des actifs à des concurrents parce qu'on détient 40 % du marché dans une région de France, c'est absurde.

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Louis Gallois, PDG d'EADS

Si on se contente de dire "la mondialisation, c'est bien", l'opinion publique risque de nous conduire vers des leaders proposant de mauvaises solutions.

Le problème avec la mondialisation, c'est qu'elle a beaucoup de mal à faire respecter les règles qu'elle érige. Le plus gros contentieux devant l'OMC, c'est celui entre EADS et Boeing. Il date de 2004 ! Il faut, à l'OMC, une capacité à gérer ces règles qui soit bien plus efficace. Deuxième impératif, la réciprocité. Cela peut être dangereux, car la tentation est de se faire justice soi-même. Mais une entreprise voyant que l'on pille ses brevets, ou qui s'aperçoit qu'elle est concurrencée par une autre qui fait travailler les enfants, ne peut avoir qu'une réaction de protectionnisme. La Commission européenne est en train, peu à peu, d'adhérer au principe de réciprocité. Elle réfléchit aux modalités d'application. Si on ne fait rien, si on se contente de dire "la mondialisation, c'est bien", l'opinion publique risque de nous conduire vers leaders proposant de mauvaises solutions.

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Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

Le sujet majeur, c'est celui de l'Europe ? A-t-elle les moyens de son destin ? Poser la question, c'est un peu y répondre.

Le sujet majeur, c'est celui de l'Europe. A-t-elle les moyens de son destin ? Poser la question, c'est un peu y répondre. Dans un grand nombre de domaines, nous n'avons pas de politique européenne. Nous avons une politique de la concurrence qui interdit la fusion Schneider-Legrand, avant que cette décision soit finalement cassée par la cour du Luxembourg, alors qu'il faudrait une politique commerciale commune, une politique de change... Le moment venu, il faudra bien avoir un discours en matière de change, alors que le Sénat américain a voté une loi - qui, certes, ne sera pas votée par la Chambre des représentants -, loi disposant que les pouvoirs publics peuvent décréter des droits de douane dans tel ou tel secteur quand le yuan chinois est trop faible. La vraie question est celle du leadership européen...

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François Quentin, président de Huawei France

Nous sommes le troisième déposant mondial de brevets et avons déjà poursuivi des concurrents en justice, chinois notamment.

Je ne suis pas le Chinois de service. Huawei existe depuis vingt ans et réalise 70 % de son chiffre d'affaires hors de Chine, et le groupe est possédé par ses employés. Nous sommes pour une régulation transparente, annoncée et nous sommes également pour la réciprocité : nos concurrents sont très implantés en Chine. Les firmes françaises ont 600.000 salariés en Chine, les entreprises chinoises seulement quelques milliers en France. Nous sommes pour des règles, pour renforcer la propriété intellectuelle sur les marchés mondiaux. Nous sommes le troisième déposant mondial de brevets et avons déjà poursuivi des concurrents en justice, chinois notamment. C'est pourquoi nous sommes ravis d'aller vers plus de régulation.

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