Lionel Zinsou : "Être banquier d'affaires en Afrique, c'est une mission de service public"

Dans ce troisième volet issu d'un long entretien que le coprésident d'AfricaFrance a accordé en exclusivité à La Tribune à l'occasion des Rencontres Africa 2016, Lionel Zinsou relève l'importance stratégique, pour la croissance de l'Afrique, du développement du capital humain. Exceptionnellement, il revient aussi sur son expérience récente de Premier ministre du Bénin.
Alfred Mignot
Lionel Zinsou, ex-Premier ministre du Bénin et coprésident de la Fondation AfricaFrance.

LA TRIBUNE - AfricaFrance a placé la formation parmi les priorités de son action, au motif qu'une croissance forte est très gourmande en ressources humaines, et d'autant plus si elle doit durer trente ans... Où en êtes-vous de votre action en faveur de la formation ?

LIONEL ZINSOU - Cela dépasse la question de la formation, ce sont de réelles préoccupations de développement du capital humain qui nous animent. Avec l'université du Cap, l'Institut supérieur de management de Dakar et Sciences-Po Paris, nous avons lancé le programme certifiant LeAD Campus - Leaders pour l'Afrique de demain. La première promotion, lancée en avril, est composée de 25 jeunes dirigeants, des trentenaires à haut potentiel qui vont vivre ensemble une expérience de formation au leadership, d'échanges, de voyages, de confrontation d'expériences culturelles différentes, - car on n'a pas une même vision du monde au Cap, à Dakar et à Paris. Programme déployé en présentiel et en télé-enseignement, LeAD Campus a pour objectif de former des managers capables d'intégrer, dans les pratiques de leurs entreprises ou organisations, les enjeux de croissance et de développement durable du continent africain.

Nous pensons  que cette expérience novatrice fera des émules car, vous savez, une croissance à 5 % nous place déjà en situation de surchauffe. Imaginez que la France passe de 1,5 % à 3 % de croissance, on se retrouverait dans la situation de 1998-2000, lorsque  toutes les promotions de toutes les écoles étaient embauchées avant la fin des études, car à 3 % vous êtes déjà en tension sur le marché de l'encadrement.

En fait, on n'a jamais assez de ressources humaines pour soutenir une croissance de 5 %. Et si vous visez les 8 %, donc un rythme à la chinoise, vous avez besoin d'accomplir un effort exceptionnel de formation de compétences.

Dans cette perspective, nous développons aussi un autre programme, avec le CIAN (le Conseil français des investisseurs en Afrique, ndlr) qui, dans un certain nombre de pays, fait de la gestion prévisionnelle de l'emploi et travaille à identifier les besoins, avec les systèmes de formation professionnelle. Car, comme d'ailleurs en Europe, on n'a pas une très bonne adéquation entre les besoins des entreprises et ce que le système scolaire et universitaire produit comme compétences. Il faut donc que les entreprises complètent les formations, ou qu'en tout cas elles les pilotent, en anticipant les besoins et en les communiquant aux responsables de la formation professionnelle. Par exemple, nous avons de grandes faiblesses de compétences dans plusieurs secteurs -  mécanique, informatique industrielle, géologie, médecine, tourisme... - qui présentent de forts potentiels de développement.

C'est dans cet esprit, et parce qu'ils ressentent ce besoin,  que "les patrons des patrons" venus à Paris participer à Africa 2016 se sont réunis la veille au soir à l'occasion de la conférence AfricaFrance. À cette occasion, nous avons annoncé le lancement en décembre prochain de notre première cohorte de Young Leaders Africa, car on a besoin de gens encore un peu plus jeunes que nos trentenaires du LeAD Campus, et qui développent entre eux des liens, un peu sur le modèle des Young Leaders du World Economic Forum. Cela me paraît correspondre à une attente : des jeunes européens passionnés d'Afrique, j'en rencontre tous les jours ; dans le même temps, les responsables d'universités et de grandes écoles disent qu'ils observent de plus en plus d'intérêt et de passion chez des cadres de haut niveau que l'on est en train de former vers l'Afrique, tandis que chez les Africains, on constate qu'ils souhaitent travailler très tôt avec leurs jeunes homologues européens.

Tout cela, c'est plus que de la formation, c'est de l'initiation au leadership, la création d'un esprit commun... Ce qui me rassérène le plus, c'est que beaucoup d'innovateurs de cette génération de Millenials africains se connaissent entre eux...  Je le vois, j'ai des enfants de trente ans, qui sont en Afrique où ils font des choses innovantes, et j'observe qu'avec les réseaux, ils se connaissent, ils sont parfois amis avant de s'être rencontrés, ils se passionnent pour les entreprises des uns et des autres. Dans un continent de 30 millions de kilomètres carrés et d'un milliard et cent millions d'habitants, il y a une solidarité extraordinaire de la génération des innovateurs d'aujourd'hui. Nous, à AfricaFrance, nous voulons contribuer à la renforcer encore et à l'intégrer avec ce qui se passe en Europe.

Monsieur le Premier ministre, quel enseignement essentiel avez-vous tiré de votre expérience à la primature du Bénin ?

LIONEL ZINSOU - Si vous posez la question à l'économiste, c'est combien il est urgent d'activer tout ce qui n'est pas l'État, parce que l'État à lui seul ne soutiendra pas la croissance pendant trente ans - et d'ailleurs, sauf exception, ce n'est pas aux États que l'on doit cette bouffée de croissance que l'on vient de connaître pendant quinze ans.

L'État a certes un pouvoir d'influence, de réglementation, de facilitateur... mais il n'est pas l'opérateur de la vie économique, ce n'est pas possible.

Jusqu'ici, on a confié beaucoup trop de choses aux États. Aujourd'hui, on cerne mieux son rôle de facilitateur, mais les administrations n'ont pas été conçues dans cette optique. Elles vont donc devoir faire des réformes très importantes pour devenir des facilitateurs de la vie des vrais opérateurs que sont les entreprises, les collectivités, les associations.... Donc si vous voulez, être , cela apprend la modestie sur ce que l'on peut attendre de l'État - ou pas.

Si vous posez cette fois la question au citoyen engagé, je dirais qu'il y a des sujets de satisfaction. Par exemple, l'Afrique commence à participer sérieusement à la gouvernance mondiale. On entend sa voix. À la COP21, elle a obtenu des avancées que l'on n'avait jamais connues, par exemple en matière de facilités pour l'électrification, dont l'insuffisance constitue un véritable goulot d'étranglement qui entrave développement.

Vous pouvez préciser ?

LIONEL ZINSOU - À la COP 21 ont été grosso modo mis en place les moyens de financer l'initiative africaine pour les énergies renouvelables, avec notamment un programme spécial que l'UE va annoncer, de dons et de subventions pour l'accès de tous à l'électricité en Afrique. Nous avons aussi obtenu beaucoup plus de ressources pour le fonds vert, des synergies avec Power Africa des États-Unis, avec aussi l'annonce de Energy for Africa de la Grande-Bretagne... Il y a eu une série d'engagements concrets, si bien que les premiers projets d'une grande liste - et dont le financement est déjà en place au moment où nous parlons - vont commencer à s'exécuter avant la fin de l'année... Parce qu'elle l'a négocié, parce qu'elle a été extrêmement présente, parce qu'elle a montré combien elle a été affectée par le changement climatique, l'Afrique est enfin considérée. La COP22 de Marrakech en apportera la confirmation (1).

Donc la satisfaction du citoyen engagé qui a la chance de devenir Premier ministre, c'est qu'en termes de gouvernance mondiale, l'Afrique est maintenant présente : l'Afrique peut agir, influencer, négocier, obtenir. Le citoyen engagé est donc plus heureux que l'économiste.

On dit que vous avez l'ambition de créer un fonds dédié au Bénin ?

LIONEL ZINSOU - Plus modestement, je crée une société de conseil et je vais en effet essayer de lever en Europe un fonds dédié à l'Afrique, et donc aussi à mon pays, le Bénin. D'ailleurs, même si mes premiers clients se trouvent  pour l'instant ailleurs, j'établirai mon camp de base à Cotonou, la capitale du Bénin.

Vous tiendrez donc cette promesse... de futur candidat à la future présidentielle béninoise ?

LIONEL ZINSOU - On a l'honneur de servir comme élu si l'opinion publique, les forces vives du pays, le sentent ainsi. Se présenter a une élection, avec une chance d'être élu, se mérite, ce n'est pas un droit. Mon métier a été d'enseigner de l'économie puis de financer du développement. C'est ce que je sais faire. Les deux tâches me semblent aujourd'hui servir l'intérêt général. Car la question du financement de l'économie africaine est une urgence. Être banquier d'affaires en Afrique, c'est aujourd'hui une mission de service public.

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1 - Ségolène Royal, Présidente de la COP 21, a présenté mardi 20 septembre à New York, devant les Nations unies, une liste de 240 projets concrets d'énergies renouvelables en Afrique à engager sans délai. Destinés à contribuer à l'installation de 5,7 GW d'énergies renouvelables, ces projets bénéficient d'ores et déjà d'un financement de 4,5 milliards d'euros, ndlr.

Propos recueillis par Alfred Mignot

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