L'anti-tournant de la rigueur ?

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« Nous avons gagné, politiquement ! » Dans la bouche de Benoît Hamon, ministre délégué à l?Économie sociale et solidaire et à la Consommation, certes, mais aussi l?un des ténors de l?aile gauche du PS, la déclaration vaut la peine de s?y arrêter. Gagné quoi ? La bataille de la réorientation de l?Europe vers la croissance, entamée par François Hollande dès le jour de son élection, et qui s?est conclue par le délai de deux ans concédé par Bruxelles pour réduire le dé?cit public de la France sous les 3%.

D?un point de vue strictement macroéconomique, Benoît Hamon a raison. En décalant à 2015 l?objectif des 3% pour la France, l?Europe lui accorde un mini-plan de relance budgétaire qui ne dit pas son nom. Le raisonnement est assez simple à suivre: un point de réduction du dé?cit structurel coûte environ 1,5 point de croissance, dans une estimation fondée sur les chiffres d?avril du FMI sur la période 2008-2013 pour tous les pays européens. Le dérapage du dé?cit français en 2014 serait de 0,8% selon la Commission européenne. Pour le réduire, il aurait fallu diminuer d?au moins 1point de PIB le dé?cit structurel (car la baisse de la croissance entraînera aussi un dé?cit conjoncturel). Le retour à marche forcée à 3% de dé?cit dès 2014 aurait donc coûté 1,5 voire 2point(s) de croissance l?an prochain, provoquant une nouvelle récession. Insupportable pour le pays, alors que pour le moment la France «limite» les dégâts avec une croissance nulle en 2012 et 2013.

De ce point de vue, François Hollande a donc gagné et ce délai (qui reste à confirmer lors du conseil européen, même si on voit mal l'Europe faire machine arrière) va jouer comme une sorte de mars 1983 à l?envers, comme un anti-tournant de la rigueur, même si le président a bien compris qu?il ne fallait pas en pro?ter pour relâcher la pression sur les dépenses publiques, qui vont commencer à diminuer en euros courants l?an prochain. Que l?on en soit condamné à faire de «l?austérité à l?envers» pour relancer la croissance en dit long sur l?absence de politique économique en Europe !

Mais si Bruxelles et l?Allemagne, en renâclant, se sont résolus à accorder ces deux ans de répit, c?est bien parce que la France fait peur. L?Allemagne surtout craint que la France ne l?entraîne dans sa chute, provoquant une crise cataclysmique à laquelle l?euro ne survivrait pas. Tout le problème d?Angela Merkel est de vendre cette solidarité de fait à son opinion publique alors que son parti, la CDU, et surtout les libéraux du FDP, dénoncent le laxisme français, et qu?un parti anti-euro vient bousculer l?élection allemande.

D?où le discours très pro-européen de François Hollande lors de sa conférence de presse, qui a lancé une initiative en tout point conforme aux attentes allemandes: un gouvernement économique européen pour coordonner les politiques ?scales et sociales, nommé pour une période longue; une Europe de l?énergie (dont on a vu lors du mini sommet mercredi 15 mai la gestation difficile); un plan pour l?emploi des jeunes, qui ne mange pas de pain, mais bute sur l?absence de budget européen; et, en?n, rien moins que l?union politique. Le mot est lâché, mais son contenu fait encore débat. Car si l?Allemagne a une vision très allemande du fédéralisme, c?est-à-dire d?une Europe qui ressemble à l?Allemagne et à ses Länder, fondée sur le principe de subsidiarité, la France, par effet de miroir, a une vision très française de l?union politique, fondée sur le principe de solidarité. C?est sans doute pour cela que François Hollande est le seul dirigeant européen à continuer de croire aux eurobonds et à la mutualisation de la dette.

 

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