L’État n’est pas le problème, l’État est la solution

L’État pourrait-il faire davantage pour lutter contre le chômage ? L'économiste Michel Santi en est persuadé, mais la finance y serait très défavorable... Explications.
Michel Santi

Laissons-nous aller quelques instants à la théorie du complot qui nous indiquerait que le monde de la finance et des dirigeants d'entreprises sont contre le plein emploi. L'intervention de l'État est pourtant capable de résorber efficacement le chômage parmi nos populations. À travers des investissements publics, comme la construction ou la réfection d'écoles, d'hôpitaux ou de routes. À travers des prestations sociales, des subventions accordées aux produits de première nécessité, voire une diminution de la taxation directe de certains foyers fiscaux et des PME, à travers une réduction de la TVA...

Autant de mesures qui, conjuguées selon un calendrier judicieux et ciblées selon un dosage rationnel, sont susceptibles d'opérer une décélération substantielle du chômage. Il va de soi que cette majoration du revenu des ménages pauvres et moyens bénéficierait en tout premier lieu à la consommation, c'est-à-dire aux entreprises et donc, en définitive, à leurs directions générales ainsi qu'à la finance pourvoyeuse de crédits.

L'emploi, un danger pour la finance

Celles-ci sont cependant farouchement opposées à ce type de reprise économique redevable à l'État, comme elles luttent avec véhémence contre tout accroissement des prestations sociales - en dépit des retombées favorables sur leurs propres entreprises et sur la bonne tenue du système financier. En réalité, ce sont des motifs idéologiques qui alimentent la vindicte du grand capitalisme et de la haute finance à l'encontre de l'accroissement du rôle de l'État dans la vie publique ainsi que dans l'activité économique.

Il leur importe peu que le plein emploi puisse être rétabli par cet interventionnisme étatique, comme ils balaient d'un revers de main ce gonflement subséquent de leurs propres bénéfices suite à cette action étatique, si le prix à payer consiste pour eux en une perte de contrôle sur l'économie et sur les pouvoirs publics.

Une variable d'investissement

La finance - qui, aujourd'hui, détient toutes les clés de notre prospérité - s'oppose en effet à l'usage des déficits publics pour stabiliser et relancer nos économies, car elle est consciente que le retour de l'État signerait son arrêt de mort.

Selon elle, l'emploi ne saurait être qu'une variable de l'investissement privé dans l'économie : il s'améliore en cas de reprise de la confiance et se doit d'être revu sans état d'âme à la baisse en fonction du recul de la production et de la régression des financements consentis aux acteurs économiques. Le plein emploi - ou, à tout le moins, l'amélioration substantielle du chômage - n'est donc nullement la priorité des financiers qui y voient au contraire un danger pour la bonne marche de leurs affaires.

Les employeurs aussi sont contre le plein-emploi

Dans le grand circuit financier et patronal, l'employé et le salarié sont effectivement des pions - ou des poids morts - à avancer et à reculer - voire à jeter - selon la profitabilité de l'entreprise et la stratégie des investisseurs. Tandis que dès lors que la valeur travail est sacralisée, le salarié devient un "empêcheur de tourner en rond"…

Par ailleurs, il tombe sous le sens que les employeurs sont - au moins intuitivement - contre le plein emploi qui inverserait un rapport de force qui ne serait subitement plus en leur faveur. Cette confiscation de tous les pouvoirs a de facto fait glisser notre monde de l'impérialisme des États à celui de la finance, tout en modifiant au passage profondément nos valeurs, car les repères ont tous été violentés dès lors que dignité et respect ont été ôtés au travail, pourtant ciment de nos sociétés.

Repenser le rôle de l'État dans la vie économique

Il convient donc de repenser l'État et de réfléchir à l'accentuation de son rôle dans la vie économique, en ayant constamment à l'esprit le sens du devoir de ce même État vis-à-vis de ses citoyens ainsi que ses propres limites. S'il est exclu de destituer une oligarchie financière pour la remplacer par une autocratie politique, la crise actuelle doit néanmoins forcer à une refondation ou à un re-calibrage du rôle éminemment protecteur et régulateur de l'État.

Keynes nous répèterait que, loin d'accomplir ce que les "individus font déjà", l'État devrait se mettre à faire "des choses qu'il ne fait pas du tout actuellement". Quoi qu'il en soit, l'État devra "faire partie de la solution".

 

*Michel Santi, économiste franco-suisse, conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. "Finance Watch". Vient de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience".     

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