Dette : pourquoi il faut sanctionner l'Argentine

L'Argentine, qui s'est fermé l'accès aux capitaux privés par son comportement, cherche désormais à obtenir des fonds publics pour renflouer ses caisses. Mais pourquoi obtiendrait-elle des privilèges auxquels aucun pays pauvre n'a accès? Par Pascal de Lima, Fondateur d'Economiccell, Enseignant à Sciences-po Paris

L'Argentine ne veut plus honorer ses dettes. Après un défaut de paiement en 2001, elle doit toujours près de 10 milliards de dollars aux membres du club de Paris. En tant que troisième plus grande économie d'Amérique Latine, l'Argentine a pourtant les moyens de rembourser sa dette, mais elle a fait le choix d'ignorer ses créanciers, s'excluant ainsi des marchés internationaux depuis une décennie. Son comportement lui ayant donc fermé les portes des capitaux privés, l'Argentine se tourne à présent vers le secteur officiel pour renflouer ses caisses.

Une insolvabilité organisée, aucune réforme structurelle

Ainsi, en janvier Axel Kicillof, Ministre de l'économie et des finances a proposé de rembourser sa dette sur dix ans, mais à quelques conditions majeures. La première est que seulement 20% de la somme soit remboursée en liquidités et 80% par émissions obligataire, tandis que ce remboursement n'interviendra que si les créanciers investissent dans l'économie argentine et que l'ensemble de l'opération doit se faire hors du contrôle du FMI.

On ne comprend pas bien pourquoi l'Argentine s'entête. Elle a organisé son insolvabilité, par exemple en plaçant ses actifs à la BRI de Bâle, et dans le même temps, elle n'a mis en œuvre aucune réforme structurelle, élément crucial pour ouvrir des négociations avec le club de Paris. Pire encore, par une politique économique irresponsable et dispendieuse, en se reposant sur les matières premières et en choisissant de s'isoler des marchés, l'Argentine n'a pas diversifié son économie ni renforcé sa compétitivité, ce qui condamne le pays à être, selon Neil Shearing,  Chef économiste de Capital Economics spécialisé sur les marchés émergents, « au bord d'une nouvelle crise de balance des paiements ». Et pendant ce temps, la corruption demeure et Moody's a dégradé la note de l'Argentine à Caa1, au même rang que le Venezuela ou le Pakistan.

Des comptes trafiqués

De son côté, l'Argentine accuse souvent le FMI d'être responsable de la crise économique de 2001 et refuse, depuis 2006, de participer aux consultations annuelles de l'article IV (pourtant obligatoires pour tous les membres). A cela s'ajoute un signal de défiance fort envers le FMI envoyé par les pouvoirs publiques  en utilisant en 2006, ses maigres ressources en devise étrangère pour payer par anticipation les 9,8 milliards de dollars de sa dette au FMI (au taux privilégié de 4,6%), avant de remplir ses caisses par l'émission d'obligations en dollars à des taux deux fois plus élevés. A la limite vis-à-vis du FMI chacun a son point de vue.

Mais le pire c'est que dans le même temps, l'Argentine n'a eu de cesse de trafiquer ses comptes en renvoyant les statisticiens indépendants de l'INDEC, en menaçant des économistes et en interdisant les estimations divergeant des chiffres officiels. C'est pourquoi l'Argentine est devenue le premier pays censuré par le FMI pour ne pas avoir fourni des données exactes sur son inflation et sa croissance. Ça c'est quand même un problème.

Des choix absurdes de politique économique

Si l'Argentine se trouve en défaut de paiement depuis plus de dix ans, elle le doit à ses choix absurdes de politique économique. Au bout d'un moment on ne peut pas toujours céder à tout, il faut un cap, une borne à ne pas dépasser quand même et il est absolument certain que si le club de Paris cède à l'Argentine, alors que sa légitimité est déjà aujourd'hui contestée par les marchés financiers et les puissances émergentes, il perdra le crédit qu'il lui reste encore et incitera ses futurs débiteurs à adopter le même comportement que l'Argentine. Il serait dommageable que le cas de l'Argentine gâche le long travail du club de Paris, qui, depuis près de cinquante ans, a négocié, sur la base de ses principes, des centaines d'accords avec 90 pays endettés, sur un montant de plus de 470 milliards de dollars.

Membre du G20, et des privilèges que n'obtient aucun pays pauvre

Comment justifier que l'Argentine, pays pourtant membre du G20, obtienne des privilèges auxquels n'ont pas droit les pays pauvres lourdement endettés qui, eux, pourraient réellement les nécessiter ? Malgré l'absurdité de cette position, la France soutient ardemment l'Argentine, au grand dam de certains des principaux créanciers du pays, comme le Japon et l'Allemagne qui détiennent les deux tiers de la dette argentine et qui exigent un paiement des dettes sous surveillance du FMI et uniquement en liquidités.

Mais la France, hôte du Club de Paris, cherche à forcer un mauvais accord et prend le risque de s'isoler diplomatiquement. Son rôle historique devrait plutôt être au contraire de renforcer la stabilité financière internationale et de condamner tout comportement contraire aux règles internationales car il est impératif que toute restructuration de dette souveraine soit ordonnée, souple et transparente. En effet, si une entorse devait être faite à ce principe de bon sens, d'autres Etats du monde pourraient y voir une promesse d'impunité en matière d'emprunt et seraient tenter d'escroquer à leur tour d'éventuels prêteurs.

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Commentaires 21
à écrit le 19/06/2014 à 13:17
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Excellente analyse de M. de Lima - je le rejoins sur ses conclusions concernant la politique totalement déconnectée de la réalité, des responsables politiques en Argentine. A l'image des personnes physiques, qui doivent honorer leurs engagements fina...

à écrit le 19/06/2014 à 11:40
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Article effectivemen délirant. Les choix de politique économique des années 90 (tout privatiser, arrimer sa devise au dollar) le furent sur conseil des institution financières internationales, M. De Lima oublie de le dire. Bien entendu l'Argentine n...

à écrit le 18/06/2014 à 21:22
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Il faut interdire aux banques de créer de la monnaie, en prêtant largement plus que leurs fonds propres, et lorsqu'elles ont des problèmes d'exiger que les états les sauves. Ce système ne pas durer, sauf si on supprime la démocratie, mais vous réco...

à écrit le 18/06/2014 à 19:20
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Les dirigeants de ce pays sont des gaspilleurs depuis longtemps . Donc , normal de ne plus rien prêter à des gens qui se moque du monde . La France a tort de défendre ce pays mendiant . Appamée

à écrit le 18/06/2014 à 18:18
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On ne sera pas d'accord avec le fait de sanctionner l'Argentine. Ce pays a été pillé par une astuce monétaire énorme. La bonne question est : où est passé l'argent volé aux argentins ? Le monde occidental dans sa globalité a accepté de financer une c...

à écrit le 18/06/2014 à 17:14
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Bravo l'argentine, continuer votre bras de fer avec cette mafia financière internationale et ne laissez pas des personnes comme l'auteur de cet article dicter votre conduite. Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées..

à écrit le 18/06/2014 à 16:43
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C'est dommage que ceux qui ont organisé le vol des subprimes et la bulle internet en 2001 ne soient pas poursuivi...Mais là, il s'agissait certainement de gens respectables....

à écrit le 18/06/2014 à 15:59
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Le gouvernement soutiens l'Argentine parce qu'une partie importante, gauche et droite, du pays veut faire identique : ponctionner l'argent des autres puis leurs faire un bras d'honneur. Et il sait qu'un jour, il ne pourra peut-être plus leur dire non...

à écrit le 18/06/2014 à 15:17
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Ben oui, l'Argentine experimente une bonne solution qui visiblement inspire nos politiques Francais: au lieux de rembourser ou de renegocier notre dette, anulons-la tout simplement, et sortons du Monde de la finance. Le reve pour tout le monde, on po...

à écrit le 18/06/2014 à 14:35
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Article délirant d'un des derniers croyant de l'idéologie néolibérale qui n'a plus rien à voir avec le libéralisme (lisez Catherine Audard)....... Ces gens pensent sérieusement que tout est permis pour 'faire de l'argent" Mais monsieur Pascal de Lima...

à écrit le 18/06/2014 à 13:51
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Le cas de l'Argentine préfigure exactement ce qui va arriver à la France et bien d'autres. L'Argentine a arrimé sa monnaie au dollar pour attirer des capitaux étrangers( la classe politique corrompue a privatisé en masse ); mais les investisseurs on...

le 18/06/2014 à 14:24
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L'Argentine a fait faillite, comme toujours dans son histoire, parce que le peuple a voté pour des politique d'embauche massive de fonctionnaire, de solidarité à fond, de distribution de "l'argent des riches" et toutes ces conneries de Services Publi...

à écrit le 18/06/2014 à 12:52
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Hhmm. tiens, au fait. La Tribune, vous qui êtes expert en la matière. Pour l'Equateur, comment ça s'est passé, leur répudiation de dette ..?? Car pour trouver des infos, sur le net, c'est impossible.

à écrit le 18/06/2014 à 12:51
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C'est a ces choix là que l'on reconnait qu'un pays désire rester souverain, sans doute après s'être fait gruger par la finance! Dans quelle monnaie est libellée la dette? Tant que le pays existe les ayant droit seront remboursé un jour ou l'autre!

à écrit le 18/06/2014 à 12:49
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Cela donne envie de se renseigner sur ce "club de paris"... Je crains le pire. Sinon, en effet, si l'on ne peut plus menacer correctement quelqu'un par la dette, où va-t'on...?

à écrit le 18/06/2014 à 12:48
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Niveau de raisonnement effrayant. Ou comment on arrive a justifier la speculation sans morale au detriment du people argentin au nom de principes que ce Monsieur serait bien en peine d'expliquer.

le 18/06/2014 à 13:31
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Bonjour, Vous n’avez pas lu l’article attentivement, je disais juste que : 1. Une dette peut être illégitime, mais il y a des limites, elle ne peut l’être indéfiniment, non ? 2. On peut ne pas aimer le FMI, d’ailleurs, il a souvent fait de mauv...

le 18/06/2014 à 14:28
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"au nom de principes que ce Monsieur serait bien en peine d'expliquer. " -Etat de Droit -Respect des contrats

à écrit le 18/06/2014 à 12:46
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La France - enfin, cœur qui parlent en son nom -préparent probablement le terrain pour le jour ou elle sera dans la situation duel argentine. Insolvable.

à écrit le 18/06/2014 à 12:00
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Sauf que cela fait parti du risque de prêter à un Etat. Et hormis l'utilisation de la force (militaire), personne ne pourra contraindre l'Argentine à payer si elle ne le veut pas.

le 18/06/2014 à 14:26
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"Sauf que cela fait parti du risque de prêter à un Etat" Adolf Hitler, Berlin, 1933 ?

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