Conjurer le décrochage technologique de l'Europe : l'urgence d'agir

OPINION. Les entreprises européennes sont de plus en plus distancées par les entreprises américaines et dans certains secteurs par les entreprises chinoises. Un écart qui s'explique par le retard technologique. Pourtant, il existe des pistes à explorer pour le combler. Par Clarisse Magnin Directrice générale de McKinsey France, et Eric Hazan, directeur associé senior de McKinsey.
(Crédits : Reuters)

L'Europe occupe aujourd'hui les avant-postes de la transition écologique et de l'inclusion sociale. Quel que soit l'indicateur choisi, le Vieux Continent ressort en première position à l'échelle mondiale sur les enjeux de développement humain, de qualité de vie, de parité, de mobilité sociale ou encore d'environnement.

Pourtant, dès lors que l'on compare les dynamismes économiques des zones géographiques, l'Europe ne fait plus la course en tête et les entreprises européennes sont de plus en plus distancées par leurs homologues américaines et chinoises, d'abord sur le plan technologique, mais aussi économique.

Des dépenses R&D inférieures de 40%

L'Europe ne manque pas de champions d'envergure mondiale. Cependant, année après année, ceux-ci subissent une érosion de leurs performances relatives. Entre 2014 et 2019, leur chiffre d'affaires a progressé 40% plus lentement que leurs homologues américaines, leurs dépenses en R&D ont été inférieures de 40%, leur rentabilité en retrait de 20%, et leurs investissements de 8%.

Ce différentiel s'explique en grande partie par un retard technologique croissant sur les États-Unis, et, dans certains secteurs, sur la Chine. Un écart qui se creuse aujourd'hui dans une dizaine de domaines technologiques déterminants - parmi lesquels l'intelligence artificielle (IA), l'automatisation ou les biotechnologies - qui vont déterminer la compétitivité de tous les secteurs. Par exemple, dans la 5G, la Chine capte près de 60 % des financements externes, les États-Unis 27 %, l'Europe seulement 11 %.

L'exemple du secteur automobile

Si l'Europe ne rétablit pas sa compétitivité technologique, elle risque de perdre ses bastions sectoriels et in fine de mettre en danger le financement de l'excellence socio-environnementale de son économie. L'automobile en fournit l'illustration frappante : alors qu'elle est un domaine d'excellence de l'Europe, ce sont des voitures américaines qui ont réalisé à ce jour 70 % des kilomètres parcourus par des véhicules totalement autonomes.

Notre déficit technologique n'a rien d'irrémédiable. Il nécessite néanmoins d'agir plus vite, plus fort et plus collectivement. D'autant plus que combler l'écart dans ces technologies permettrait au continent européen de créer 2.000 à 4.000 milliards d'euros de valeur ajoutée par an d'ici 2040, soit six fois le volume d'investissements requis par la transition vers la neutralité́ carbone à horizon 2050.

Créer un régime réglementaire virtuel

Pour parvenir à cet objectif, il est crucial de créer un marché intérieur suffisamment unifié pour offrir aux champions nationaux basés en Europe les mêmes chances que les acteurs chinois et américains. Une voie intéressante pour l'UE consisterait à créer en son sein un régime réglementaire virtuel (un « 28e État européen ») applicable aux entreprises européennes de croissance pour pallier l'hétérogénéité des normes nationales.

En parallèle, il sera impératif de renforcer l'accompagnement des dynamiques d'innovation. La création d'une « DARPA » européenne permettrait notamment aux États membres de mutualiser leurs efforts pour soutenir des projets de R&D à grande échelle et haut niveau de risque en lien avec les grands défis mondiaux. Certes, l'Europe dispose d'un pré-figurateur, l'EuroHPC, mais il est sans commune mesure avec la puissance de la DARPA : le différentiel de budget est de 24 entre les 2 organismes.

Mettre l'accent sur le capital humain

Les entreprises devront quant à elles mettre l'accent sur le capital humain pour répondre aux besoins massifs d'adaptation de compétences : 1,4 million d'emplois dans les nouvelles technologies et 2,4 millions d'emplois dans la soutenabilité sont nécessaires pour mener à bien les transitions technologique et environnementale.

Berceau des premières révolutions industrielles, l'Europe, et la France en particulier, dispose de nombreux atouts pour mener cette bataille. Elle doit au plus vite capitaliser sur ces derniers pour défendre son rang technologique et ainsi redonner de la vigueur à sa trajectoire de croissance et de prospérité.

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Commentaires 4
à écrit le 06/10/2022 à 18:25
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Ouf la France a déjà pris les devants en supprimant les mathématiques au lycée ! On a choisit cette situation elle n'est pas arrivée par hasard.

à écrit le 06/10/2022 à 15:20
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Savoir faire plus avec moins c'est déjà une innovation, cela va dans le sens de "la sobriété et de la résilience" et non, vers la compétition stérile dans une "politique de l'offre" ! ;-)

à écrit le 06/10/2022 à 11:49
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article de McKinsey. on sait tout de suite que c'est du vent. comment on peut faire l'apologie des pays qui sont de loin le plus responsables du réchauffement climatique (Carbon Brief, 05/10/2021) et dont la situation économique/sociale est si ma...

à écrit le 06/10/2022 à 10:01
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Il y a tout lieu d'être pessimiste, car la cause du retard est dans la mentalité européenne : toujours plus de régulations, toujours moins de liberté d'innover. Il est d'ailleurs révélateur que la solution proposée au manque d'innovation soit un "rég...

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