Contribution des Certificats d'Economies d'Energie à la réduction de la précarité énergétique  : attention, danger !

OPINION. L'Etat a créé en 2016 des CEE dits "précarité" qui obligent les fournisseurs d'énergie à financer un certain volume d'investissements dans des logements occupés par des ménages modestes. Si le dispositif a fonctionné, les opérations "à un euro" ont toutefois induit des effets pervers. Explications. Par Matthieu Glachant, Victor Kahn, François Lévêque, Mines Paris-PSL, et Amélie Darmais, Université Paris Dauphine-PSL.
Contrairement à la subvention publique MaPrimeRénov' financée par l'impôt, les primes CEE sont financées par les fournisseurs d'énergie, EDF, Engie, et TotalEnergies en tête.
Contrairement à la subvention publique MaPrimeRénov' financée par l'impôt, les primes CEE sont financées par les fournisseurs d'énergie, EDF, Engie, et TotalEnergies en tête. (Crédits : Reuters)

La forte inflation des prix de l'énergie exacerbée par la guerre en Ukraine vient aggraver la précarité énergétique dans laquelle vivent près de 4,5 millions de ménages en France. Elle diminue leur pouvoir d'achat, mais aussi leur santé comme le montre un nombre grandissant de travaux de recherche pointant les conséquences sanitaires de la vie dans un logement mal chauffé. La rénovation énergétique des logements occupés par des familles modestes et les politiques publiques pour la promouvoir constituent plus que jamais des nécessités absolues.

Un rôle de premier plan

Le dispositif des Certificats d'Economies d'Energie (CEE) joue un rôle de premier plan dans le financement des travaux de rénovation des logements. On estime ainsi qu'environ 2,5 milliards d'euros d'aides ont été versés aux ménages ayant réalisé des travaux en 2019. Contrairement à la subvention publique MaPrimeRénov' financée par l'impôt, les primes CEE sont financées par les fournisseurs d'énergie, EDF, Engie, et TotalEnergies en tête. Ces derniers répercutent ensuite le coût des primes dans le prix de l'énergie, soit une augmentation de 3% à 4% du prix du gaz, de l'électricité ou des carburants. Le dispositif associe donc une subvention et une quasi-taxe sur l'énergie, créant ainsi une double incitation à la réduction de la consommation d'énergie.

Cette combinaison est susceptible d'aggraver la précarité énergétique et les inégalités économiques. En effet, si tous les ménages subissent l'augmentation du prix de l'énergie induite par les CEE, seuls ceux réalisant des travaux de rénovation énergétique perçoivent des primes. Or, faute de liquidités, les ménages les plus modestes ont plus de difficultés à investir que les autres. Ils sont donc susceptibles de financer via la hausse de leur facture énergétique les travaux de rénovation énergétique réalisés par les ménages aisés.

Multiplication des opérations « à un euro »

Pour limiter ce risque, l'Etat a créé en 2016 des CEE dits "précarité" qui obligent les fournisseurs d'énergie à financer un certain volume d'investissements dans des logements occupés par des ménages modestes. En complément, il a introduit des bonifications pour cette même catégorie de travaux. Les bonifications ont été fortement renforcées en 2019 dans le cadre des opérations dites « coup de pouce isolation » et « coup de pouce chauffage », d'où la multiplication des opérations « à un euro » annulant le reste à charge de l'investissement pour les ménages.

A court terme, ces réformes ont produit l'effet escompté. D'après nos estimations, en prenant en compte les primes reçues et l'augmentation de la facture énergétique, le dispositif a induit en 2019 un bénéfice net de 700 millions d'euros pour les 25 % de ménages les plus modestes, tandis qu'il coûtait 400 millions d'euros aux 50 % des ménages les plus aisés.

Si les CEE « précarité » font sens, les « Coups de Pouce » ont toutefois généré des effets pervers qui ont conduit l'Etat à supprimer l'essentiel des bonifications à compter du 1er janvier 2022. Leur première conséquence est d'avoir affaibli l'impact énergétique du dispositif. C'était attendu : le régulateur a choisi d'inciter les fournisseurs à offrir des primes très généreuses, en réduisant l'ambition de leurs obligations, puisque les bonus obtenus ne récompensent aucune économie d'énergie réelle. Une incitation suffisamment forte pour générer un phénomène comparable à une « ruée vers l'or », attirant de manière désordonnée de nombreux acteurs vers les travaux éligibles à ces bonifications, y compris des entreprises aux pratiques commerciales douteuses et responsables de malfaçons.

Des obligations « précarité » qui ne sont plus contraignantes

Surtout, ce boom des opérations « à un euro » limite aujourd'hui la contribution des CEE à la réduction de la précarité. Les travaux bonifiés réalisés de 2019 à 2021 ont en effet généré un stock de CEE « précarité » utilisable par les fournisseurs d'énergie aujourd'hui et dans les années qui viennent pour justifier du respect d'une part significative de leur obligation sans avoir à soutenir de nouveaux travaux. On estime que ce stock correspond à 40% de l'obligation « précarité » fixée sur la période 2022-2025.  Autre conséquence, le prix d'un CEE « précarité » sur le marché des certificats est égal à celui d'un CEE classique, ce qui signale que les obligations « précarité » ne sont plus contraignantes. En d'autres termes, le dispositif produirait le même effet sur la précarité si l'on supprimait l'obligation de réaliser une part des rénovations chez les plus modestes. Il est revenu à la logique qui prévalait avant l'introduction en 2016 des CEE « précarité ».

D'aucuns proposent de remettre des pièces dans la machine en réintroduisant des bonifications « Coup de Pouce ». L'expérience nous en a montré les limites, notamment l'augmentation d'un stock de CEE « précarité » utilisés plus tard pour ne pas réaliser de travaux. Si l'on souhaite lutter contre la précarité, utilisons l'outil qui vise directement ce résultat. Rehaussons les obligations de réalisation de travaux éligibles aux CEE « précarité ».

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