Cultures des villes portuaires : construire la résilience

A l'occasion de la 16e conférence mondiale des villes et des ports, qui se tiendra au Québec (Canada) du 11 au 14 juin 2018 (*), la Tribune publie une série d'articles sur ce thème. Aujourd'hui, comment l'histoire des rapports des villes avec leur port et son activité est riche d'enseignement. Par Carola Hein, professeure et présidente du département d’Histoire, Architecture et Urbanisme à l’université de Delft, Pays Bas.
Vue du port de Hambourg.
Vue du port de Hambourg. (Crédits : Reuters)

La dimension spatiale spécifique aux villes portuaires résulte des associations étroites entre l'eau et la terre, entre les navires et les immeubles, entre les populations et le commerce lointain. Les splendides cartes historiques détaillées compilées dans l'atlas «Villes du Monde» édité par Georg Braun à la fin du 16e siècle, et agrémenté des gravures de Franz Hogenberg, illustre la manière dont les navires pénétraient au cœur des villes telles qu'Amsterdam, Venise, ou Londres, établissant le lien entre le centre des villes avec leurs entrepôts multifonctionnels traditionnels et leurs bâtiments publics, et le port et la mer.

Ces cartes illustrent la relation intime entre les villes portuaires et les hommes dans leur capacité à commercer et à faciliter les transports. Cette interaction spatiale s'exprime par le truchement d'une certaine culture qui permet aux villes portuaires d'ajuster leurs structures de gouvernance, leurs processus politiques, leurs modes de vie, ainsi que leurs espaces physiques afin de prendre en compte les conditions locales et mondiales changeantes. Cette adaptabilité répétée peut également expliquer leur résilience étonnamment forte, définie ici comme la capacité à se relever rapidement de diverses formes de chocs, y compris, parfois, des désastres naturels ou causés par l'Homme. Dans ce registre, après la seconde guerre mondiale, les reconstructions de villes portuaires telles que Hambourg ou Amsterdam en sont de remarquables exemples.

Un état d'esprit local collectif

Mais pourquoi les villes portuaires sont-elles à ce point, adaptables ? Il me semble que cette résilience est au moins en partie liée à la culture de la ville portuaire, un état d'esprit local collectif, ancien et persistent, qui soutient le développement du port. Cet aspect est spécifique à chaque ville, mais par essence on le retrouve dans d'autres villes portuaires. Cette culture de ville portuaire facilite l'acceptation et la promotion locale de changements à grande échelle dans et autour du port, même ceux qui entrent en conflit avec les valeurs et les modes de vie de certains segments de la population. Parfois, cette culture et cet état d'esprit conduisent à célébrer les résultats de la destruction et de la reconstruction, interprétant ces éléments comme la démonstration d'une capacité spécifique à surmonter l'adversité et à se lancer dans un processus de transformation. Suite à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco du quartier unique des entrepôts et des bureaux de Hambourg en 2015, la population locale a enfin accepté et même soutenu et loué le redéveloppement urbain, y compris le déplacement d'une partie de ses citoyens.

 Plus que la simple célébration d'une identité maritime

Les bateaux modernes n'entrent plus dans le cœur des villes, mais une prise de conscience collective des défis auxquels les ports et les villes sont confrontés est particulièrement importante en ces temps où le changement climatique et la montée du niveau des mers mettent à rude épreuve la capacité d'adaptation de villes portuaires actuelles, de Houston à Dalian. Une telle culture de ville portuaire est plus que la simple célébration, souvent commercialisée, d'une identité maritime. La réhabilitation des fronts de mer, les ports-musées, les festivals nautiques, ou les parade de bateaux de croisière sont juste quelques exemples de tentatives contemporaines de création d'images de marques pour des événements maritimes. Mais la création d'image de marque unilatérale ou l'utilisation de vestiges maritimes historiques à des fins touristiques, comme cela est le cas pour l'explosion des escales croisiéristes, ne servent souvent qu'un groupe limité et peuvent conduire au déplacement d'autres citoyens. En fait, les passagers de navires de croisières ne vivent qu'une partie de l'histoire des villes portuaires modernes, qu'ils la connaissent ou non. Pour ces visiteurs, les fronts de mer réhabilités ne constituent que les vitrines d'une partie soigneusement sélectionnée et organisée d'une structure urbaine plus complexe. Une narration plus vaste est nécessaire pour construire une résilience locale et pour relever les futurs défis.

Une évaluation et une promotion de la culture de la ville portuaire

Pour promouvoir la ville portuaire du futur, nous devrons sans doute rassembler des citoyens de différents secteurs, et procéder à une évaluation et une promotion soigneuse de la culture de la ville portuaire. La connaissance des conditions locales et de l'engagement de la société civile doit reposer sur une profonde compréhension des conditions locales et des besoins et opportunités d'un port et de la région à laquelle il appartient. Les écoles, les installations culturelles et les musées peuvent contribuer à ce que les résidents et les touristes apprennent sur les relations ville-port et l'histoire qui a façonné une zone spécifique. Lorsque des enfants déambulent dans une ville, ils en découvrent des quartiers, des bâtiments, des noms de rue, ou des événements, et dans les villes portuaire ces éléments sont souvent liés à des événements maritimes. Dans les conversations avec leurs parents et d'autres adultes, ils construisent leur mémoire de ces environnement, qui influencera leur appréciation durable du l'endroit où ils vivent, leur comportement comme citoyens de villes portuaires, et leurs votes aux élections. Raconter l'histoire d'une ville portuaire - son passé, son présent, son futur, ses bâtiments et sa population - contribue fortement à la création de cultures des ports. Des acteurs spécialisés tels que les autorités portuaires, les autorités locales, les historiens de l'architecture on redécouvert l'écriture comme méthode permettant d'éduquer un plus grand public et de nourrir les narrations d'un port et d'une ville. D'autres écrivains et artistes ajoutent des romans, des poèmes, des tableaux, ou des films, élargissant l'imaginaire maritime du public. L'internet facilite la dissémination de ces commentaires par le biais de différents domaines et différents groupes linguistiques. Chaque acteur crée une image spatiale et temporelle de la ville portuaire, image qui ne représente qu'un fragment de la vraie ville ; ensemble ils démontrent la complexité des interactions entre le port et la ville et créent une culture locale du port.

Besoin de stratégies collaboratives

Les villes portuaires ont besoin de stratégies collaboratives pour traiter leurs urgences mutuelles. Les infrastructures sont construites pour durer : les quais, les rues, les routes, les voies ferrées, et même les aéroports prennent des décennies pour s'inscrire définitivement dans le paysage et le façonner. De la même manière, il a fallu des décennies pour élaborer des valeurs culturelles en adéquation avec une pensée collective à long terme qui continueront à nous guider. Imaginer de nouvelles relations port-ville autour d'ambitions collectives, d'échanges technologiques et la planification d'alliances, représente une fondation importante pour l'élaboration d'un futur résilient pour les villes portuaires, focalisé sur la justice environnementale, l'équité sociale et un lien fructueux entre l'industrie et les citoyens des villes portuaires du monde.

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