Jusqu'où va l'intelligence des villes portuaires smart ?

A l'occasion de la 16e conférence mondiale des villes et des ports, qui se tiendra au Québec (Canada) du 11 au 14 juin 2018 (*), la Tribune publie une série d'articles sur ce thème. Aujourd'hui : comment la révolution numérique qui a permis d'améliorer considérablement l'efficience des ports dans la compétition mondiale peut contribuer à augmenter le bien-être des populations qui vivent dans les villes portuaires. Par Michele Acciaro, directeur du département logistique et professeur agrégé de logistique maritime à l’université Kühne Logistics à Hambourg (Allemagne).
Michele Acciaro.
Michele Acciaro. (Crédits : DR)

Il ne se passe pas un jour sans que l'on nous vante les bienfaits sociétaux de la numérisation. Nous pouvons trouver notre chemin dans une ville au moyen de nos téléphones mobiles, nous pouvons nous affranchir des documents imprimés, nous tenir informés des évènements du monde où que nous nous trouvions sur cette terre et communiquer presque gratuitement à distance avec nos familles et nos amis. Toutefois, certains impacts des processus de numérisation de nos sociétés sur nos existences sont, bien que moins visibles, certainement tout aussi conséquents.

L'essence même de la mondialisation

Nonobstant les différences significatives entre pays et régions du monde, nos modes de vie contemporains seraient inimaginables sans la mobilité globale qui les accompagne et qui constitue l'essence même de la mondialisation. Les transports sont omniprésents comme en témoignent les milliards d'automobiles, d'avions, de deux roues, navires et autres moyens de transport à notre disposition. Et que dire des mouvements de biens et marchandises - matières brutes ou produits finis - qui transitent par nos infrastructures de transport ? La majorité du fret se déplace de manière quasi invisible et la plupart d'entre nous ne prenons conscience de cet état de chose que lorsque nous voyons un camion sur une route ou un navire quittant un port, ou de manière moins agréable lorsque nous subissons les inconvénients d'un embouteillage ou les vicissitudes d'une grève.

Les ports sont des catalyseurs du développement local

Les ports offrent de nombreux services aux villes, en améliorant leur connectivité, en permettant aux biens et aux personnes de se déplacer, et en contribuant à la qualité de vies des habitants. L'optimisation de l'efficience constatée au cours des dernières décennies est sans précédent et les possibilités offertes par exemple par les conteneurs maritimes ont notablement contribué à l'accélération de la croissance et à la réduction des coûts de transport. De plus, les ports sont des catalyseurs du développement local. Ainsi, le port de Hambourg, représente 268.689 emplois en Allemagne, dont 155.562 dans sa zone métropolitaine. Le Port de Vancouver peut se vanter d'être à l'origine de 115.300 emplois, 4,5 milliards d'euros en salaires, et une contribution de 7,6 milliards d'euros au PIB du Canada. A cela, il faut ajouter qu'une grande partie des volumes d'échanges internationaux - environ les trois-quarts bien qu'il soit difficile d'estimer les chiffres actuels - se font par transport maritime.

Ces résultats impressionnants obtenus par les ports sont le fruit du développement d'activités complexes et de structures de gouvernance en adéquation avec les exigences de haute efficience des systèmes de production mondialisés. L'amélioration de l'efficience ne se fait pas au même rythme dans tous les pays du monde, particulièrement dans les pays en développement où les chaînes logistiques manquent d'efficacité, mais on peut toutefois considérer que les efforts entrepris pour reformer et améliorer les activités portuaires ont porté leurs fruits.

La concurrence se renforce entre les ports

Trois aspects ont joué un rôle important dans cette évolution : la dérégulation, la concurrence et la technologie, trois forces toujours en action. De nombreux ports dans le monde se convertissent en entreprises et l'implication du secteur privé dans cette industrie semble maintenir sa croissance. De plus, la concurrence se renforce entre les ports, dans la mesure où l'amélioration de leurs infrastructures dans l'arrière-pays offre de plus en plus de choix aux propriétaires des marchandises. Finalement, la technologie et plus spécifiquement les technologies intelligentes jouent un rôle de plus en plus important en stimulant la compétitivité portuaire.

Ces développements technologiques sont induits par une tendance durable initiée dans les années 1980 par l'échange de données électroniques et un meilleur suivi des navires. Au cours des deux dernières décennies, l'automatisation des ports s'est répandue, avec Rotterdam ouvrant la voie en 1993, suivie par Hambourg en 2002 puis de nombreux ports asiatiques. La prochaine vague de la numérisation interviendra probablement grâce aux données massives (big data). Les applications d'automatisation avancée dépendent des capteurs à distance et des informations en temps réel. De tels développements vont probablement améliorer l'efficience du système, raccourcir les délais, réduire les erreurs humaines et ouvrir la voie à des transports plus rapides, plus fiables et moins onéreux.

Un réseau de transport transparent

Certains vont jusqu'à envisager un système dans lequel le mouvement des marchandises interviendra dans un réseau de transport transparent tout comme pour les données, dans ce que l'on appelle l'internet des objets et grâce à ce développement, associé aux progrès de l'intelligence artificielle, une partie des réseaux de transport pourrait fonctionner de manière autonome. Cet engouement est justifié car de tels systèmes pourraient s'avérer être le seul espoir en vue de gérer la complexité des mouvements de marchandises dans des villes sans cesse grandissantes, particulièrement lorsque la croissance doit aller de pair avec la réduction de la consommation de ressources naturelles et les contraintes imposées par plus de demande pour des transports visant plus de sûreté, de sécurité et de durabilité.

Il est intéressant de noter que beaucoup a été fait pour que les ports soient efficients certes, mais toutefois de nombreux nouveaux défis émergent visant à ce que les villes portuaires restent vivables et que les niveaux de vie des populations s'améliorent. La concurrence et la dérégulation ne peuvent guère contribuer au maintien d'un tel équilibre, et dans un contexte mondial caractérisé par l'absence de mécanismes efficaces de gouvernance internationale, les nouvelles technologies sont souvent présentées comme la panacée pour garantir le développement durable.

Contribuer au bien-être de la société

Il y a certainement là un élément de vérité et les possibilités offertes par les nouvelles technologies sont substantielles. L'utilisation des réseaux intelligents pour favoriser le recours aux énergies renouvelables en est un exemple positif et les « blockchains » - la technologie derrière les devises numériques - peuvent contribuer à la résolution du problème de la traçabilité des produits, permettant aux consommateurs de faire des choix durables. Cependant, beaucoup reste à faire pour garantir que les technologies « intelligentes » seront mises en œuvre en vue de contribuer au bien-être de la société.

Le temps est venu de nous intéresser aux limites des systèmes portuaires et de déterminer le bien-fondé de la course aux développements technologiques visant l'optimisation de l'efficience opérationnelle alors que les coûts de transport et de logistique sont déjà extrêmement bas. N'est-il pas plus urgent de trouver des moyens d'utiliser ces nouvelles technologies afin de mieux appréhender la complexité associée à la réduction des externalités économiques que nous nous imposons et que nous faisons subir à notre planète ? La question n'est pas de savoir si les technologies « intelligentes » vont avoir un impact sur les villes portuaires, mais si la société est suffisamment intelligente pour assurer que la mise en œuvre de ces technologies bénéficie à tous ceux qui vivent dans les villes portuaires, et ne contribue pas seulement à l'avènement d'une sorte d'hyper-productivité. Sans un débat ouvert et sincère traitant de ces questions, rien ne pourra être fait dans notre monde globalisé pour empêcher que les technologies dites intelligentes manquent l'occasion qui leur est offerte d'agir comme instrument de changements qui comptent.

(*)

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