Vers une collaboration des parties prenantes villes-ports plus bénéfique  ?

A l'occasion de la 16e conférence mondiale des villes et des ports, qui se tiendra au Québec (Canada) du 11 au 14 juin 2018 (*), la Tribune publie une série d'articles sur ce thème. Aujourd'hui : un suivi de la perception des communautés locales est nécessaire pour mieux comprendre pourquoi la plupart des autorités ou organismes de gestion portuaire sont confrontés à des difficultés lorsqu'ils souhaitent obtenir des licences d'exploitations ou plus largement le soutien de parties prenantes des communautés. Par Michaël Dooms, professeur agrégé d’économie à Solvay Business School de l’université de Bruxelles (Belgique)
Michaël Dooms.
Michaël Dooms. (Crédits : DR)

Les autorités portuaires et les villes situées à proximité de ou autour des ports partagent une longue histoire de développement économique et social commun. Nombre de chercheurs en économie et en histoire sociale ont produit d'abondants travaux sur ces sujets. Souvent, les développements portuaires et principalement leurs projets d'expansion, notablement au cours de la seconde moitié du 20e siècle, ont obligé les communautés locales environnantes à faire de grands sacrifices se traduisant dans certains cas par des expropriations foncières (perte de terres agricoles, de patrimoine bâti), ou parfois par des déménagements purs et simples. Généralement, de telles décisions émanent «d'en haut», à savoir de comités de fonctionnaires et d'élus politiques, la plupart du temps à l'échelon national, avec pour justification générique l'intérêt économique au profit de tous.

A partir des années 1950, la croissance portuaire fut considérée comme une indispensable évolution (sauf lors de la crise pétrolière des années 1970 et de quelques autres chocs mineurs), créant ainsi un état d'esprit - voire une culture - « expansionniste » alimenté et justifié par l'argument des emplois locaux et de la croissance du bien-être.

La construction de murs entre les parties prenantes devant les tribunaux

Toutefois, à la fin des années 1980, apparut une tendance avançant des arguments contraires aux développements et activités portuaires à proximité ou autour de zones à forte densité de population. Ce phénomène perdure et se renforce. Des considérations environnementales et sociales plus élargies gagnent en dynamique, étayées par une législation plus sévère et de portée plus générale, à laquelle les parties prenantes portuaires - organismes de gestion et acteurs des écosystèmes associés - doivent se conformer. En conséquence, de nombreux projets de développement portuaire ont été soit retardés soit carrément abandonnés pour des questions environnementales. La raison principale en est que dans les processus de planification et de prises de décision manque l'inclusion non seulement des éléments ci-dessus dans les études de faisabilité mais également des parties prenantes favorables à ces critères socio-environnementaux.

Souvent, l'abandon du projet intervient après un litige prolongé opposant les groupes d'intérêt locaux (voire des citoyens sur une base individuelle) et les organismes de gestion portuaire ou même les autorités locales, litige portant sur l'attribution de permis de construire ou de plans de gestion foncière. De telles situations ne font que détériorer davantage les relations entre les parties prenantes. Cela peut conduire à la création d'un « mur » entre ces entités, parfois dans le cadre d'une culture de «litige-indemnisation», littéralement comme des barrières érigées entre les ports et les zones résidentielles des communautés locales.

Les héritages historiques ne suffisent pas, bien au contraire...

Il est intéressant de noter qu'en dépit de programmes d'indemnisation/atténuation et de nombreux efforts structurels visant à une approche de planification plus inclusive de la part des autorités portuaires, la situation reste inchangée dans les villes, régions et même pays quand bien même leurs fortunes se sont érigées sur les infrastructures portuaires et maritimes. Les exemples abondent : à Panama, la « Panama Canal Authority» rencontre une virulente opposition (cf. panamasos.com) à ses projets de développement portuaire le long du canal ; à Anvers (Belgique), le mouvement « Doel 2020 » porte devant les tribunaux son opposition continue à la planification foncière ; à Vancouver (Canada) le groupe d'intérêt APE s'oppose encore et toujours à une nouvelle extension portuaire. Et pourtant, le port d'Anvers est considéré comme le leader de la transformation durable, pour preuve sa reconnaissance sur la scène internationale et les prix obtenus pour son rapport de durabilité certifiée GRI reposant sur les contributions de plus de 40 parties prenantes. Dans le même esprit, Vancouver est reconnu comme appliquant les meilleures pratiques de cohabitation entre un tissu habité urbain dense et un environnement portuaire multifonctionnel, sans oublier un rapport transparent et impressionnant sur la durabilité. Dans le cas de Panama, le canal n'est rien moins que la raison d'être du pays. En conséquence, de nombreux développeurs portuaires et urbains se révèlent impuissants et se retrouvent dans l'impossibilité de déconstruire le « mur » et de lancer un « pont » vers les communautés locales.

Utiliser la même ressource ?

Toutefois, nous considérons qu'il existe un cadre substantiel permettant de mieux comprendre et de mieux inclure les parties prenantes locales dans les processus décisionnels de développement et de gestion portuaire. En cas d'échec, d'importants projets de transformation susceptibles d'améliorer la durabilité urbaine et portuaire seraient condamnés à l'abandon : projets d'économie circulaire, projets CSC et CCU, projets d'énergie propre, etc.

La clef à de meilleures relations réside dans l'utilisation par les ports et par les communautés des mêmes ressources que celles qu'utilisent les groupes d'intérêt des ports et des communautés locales pour faire entendre leurs voix : les technologies de l'information et de la communication (TIC). Ces technologies et les média sociaux associés, ont permis aux groupes d'intérêt locaux de s'organiser avec plus d'efficacité, d'élargir la portée de leurs actions, d'accroître leur influence politique et de puiser des éléments d'inspiration, de soutien et de connaissance dans le monde entier à un moindre coût. Des gouvernements eux-mêmes profitent de cette dynamique et apportent leur soutien à des réseaux mondiaux de recherche et de partage de connaissances (cf. l'Atlas de la justice environnementale (the Environmental Justice Atlas) qui bénéficient du soutien de programmes de recherche de l'UE au profit de groupes d'action environnementaux locaux contre toutes sortes de projets contestés partout dans le monde. Un nombre croissant d'autorités municipales et locales adoptent activement ces nouvelles technologies pour définir leurs politiques, via des plates-formes telles que Citizenlab.co.

Donc, nous sommes convaincus qu'une approche plus élaborée et commune pour un suivi de la perception des communautés locales (ou même de parties prenantes plus élargies) permettra d'obtenir des réponses supplémentaires afin de mieux comprendre pourquoi la plupart des autorités ou organismes de gestion portuaire sont encore aujourd'hui confrontés à des difficultés lorsqu'ils souhaitent obtenir des licences d'exploitations (ou plus largement le soutien de parties prenantes des communautés). Un certain nombre de grands ports, tel qu'Anvers, ont engagé des étapes concrètes bien que limitées. Ils suivent les évolutions et publient désormais, dans leurs rapports publics semestriels sur la durabilité, les tendances des perceptions des parties prenantes sur la base d'enquête portant sur un échantillon de mille personnes environ.

Des avocats aux « big data »...

Néanmoins, il reste beaucoup à faire, y compris le développement d'outils permettant de mieux suivre et dialoguer avec les parties prenantes, sur la base d'indicateurs de performances et de processus sous-jacents définis et approuvés par toutes les parties. Pas plus «qu'un homme n'est une île», «aucun groupe d'intérêt local» n'est une île (cf. l'exemple de l'Atlas de justice environnementale) ; d'où la conclusion logique «qu'aucun port urbain n'est une île», avec comme conséquence inévitable que toute harmonisation d'un développement port-ville doit reposer sur une collaboration accrue au niveau global dans l'élaboration d'une part, d'outils basés sur la technologie financièrement efficiente du cloud et, d'autre part, d'un environnement propice à la production d'informations et de connaissance. Ainsi, il sera possible de mieux appréhender les aspects importants des relations complexes entre les ports et les communautés de citoyens, indépendamment de la taille de ces entités.

Nous sommes convaincus que seule l'utilisation des big data évitera le recours aux avocats !

(*)

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