Digital Market Act : pour une régulation numérique efficace en Europe

OPINION. Le projet de législation européenne visant à avoir un cadre harmonisé pour réguler les plateformes numériques, notamment les GAFA, comporte quelques imprécisions qu'il est urgent de clarifier. (*) Par Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, membre du Conseil scientifique de la Fondapol.
Laurence Daziano.

La France prépare activement sa présidence de l'Union européenne, qui lui reviendra au premier semestre 2022. Parmi les sujets qui figurent dans ses priorités, le Digital Market Act (DMA) occupe une place de choix, à l'heure où les ministres de l'Economie français, allemand et néerlandais ont formulé une série de propositions en vue de renforcer ce texte (EUR-Lex - 52020PC0842 - EN - EUR-Lex (europa.eu)).

Le DMA est un projet de législation européenne qui doit permettre de disposer dans l'ensemble des pays de l'Union du même cadre harmonisé pour réguler de façon ex ante (c'est-à-dire a priori, avant que ne soient constatées d'éventuelles pratiques problématiques) les plateformes numériques, notamment les GAFA. Le projet de règlement semble néanmoins poser un certain nombre de questions, parmi lesquelles deux points majeurs posent de sérieuses difficultés et nécessitent d'être améliorés.

Imprécision de nombreuses dispositions

Le premier problème concerne l'imprécision de nombreuses dispositions. Comme dans tous les projets législatifs, qu'ils soient nationaux ou européens, certaines dispositions peuvent paraitre imprécises et laisser la place à une interprétation jurisprudentielle. Mais dans le cas du DMA, ces dispositions apparaissent nombreuses pour un texte qui, étant un règlement européen, est d'application directe et immédiate, sans nécessiter une transposition législative nationale contrairement à une directive.

Or, si les acteurs du numérique choisissent une interprétation qui n'est pas celle de la Commission européenne, ils risquent de maintenir une pratique en la considérant conforme au droit, tandis que la Commission l'aura jugée non conforme et par conséquent la condamnera. Pour éviter ces différences d'interprétation, le projet de règlement devrait prévoir un mécanisme de dialogue entre la Commission et les acteurs du numérique qui permettrait d'échanger sur l'interprétation des dispositions trop générales.

Le traitement concurrentiel des entreprises

Le second problème réside dans le traitement concurrentiel des entreprises en fonction de leur taille. Le DMA met en place une régulation asymétrique, ce qui est assez courant pour favoriser l'émergence de nouveaux acteurs sur un marché, mais en la fondant sur l'idée que la taille des acteurs constitue un problème en soi qui appelle une régulation ex ante, c'est-à-dire avant même l'éventualité d'un problème concurrentiel. Il s'agit de proposer des conditions avantageuses aux acteurs non visés par la régulation, ici les entreprises numériques n'atteignant pas les seuils pour être rangées dans la catégorie des « gatekeepers » (points d'accès).

La mise en place de seuils vise à pénaliser les entreprises qui sont déjà trop grosses, sous-entendu les entreprises américaines. Mais par un effet pervers, cette disposition va également pénaliser l'innovation européenne puisque les entreprises auront intérêt à rester en deçà des seuils et par conséquent ne pourront  rivaliser avec les GAFA, ce qu'appellent pourtant de leurs vœux les responsables européens. Il y a donc un vrai débat stratégique à avoir sur ce sujet, si l'on souhaite favoriser l'émergence de champions numériques européens de taille mondiale.

Création d'un mécanisme de dialogue

Le projet de règlement du DMA entre désormais dans une phase active. La Commission a transmis le projet de texte au Parlement européen qui s'apprête à l'examiner. Ce dernier pourrait probablement peser sur les deux principales questions soulevées, à savoir l'imprécision de certaines dispositions et la nécessité de ne pas « obstruer » la création de champions numériques européens. De ce point de vue, la création d'un mécanisme de dialogue entre les entreprises numériques et la Commission européenne serait judicieuse pour améliorer sur le fond le projet de texte, puis sa mise en œuvre.

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Commentaires 2
à écrit le 17/06/2021 à 13:03
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Quand on cherche a affaiblir, on parle de décentralisation des responsabilités tout en centralisant les moyens!

à écrit le 17/06/2021 à 11:17
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Quand les GAFAM se vengeront de ce traitement inéquitable ça fera très mal.

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