Energie  : le tout marché au feu des réalités

OPINION. Les crises économiques font toujours une victime : le libre marché. Car quand la maison brûle, la confiance mise dans le marché et dans sa capacité à s'adapter ne résiste pas. L'État, la puissance publique, ne peuvent rester sans réagir. Ce fut le cas en 2008 avec la crise Lehmann Brothers : le libéralisme américain a été largement mis de côté pour sauver dans l'extrême urgence un système bancaire en détresse. Ce fut le cas en 2020 avec la crise du Covid, quand l'Union européenne (UE) a suspendu en urgence les règles traditionnelles limitant très fortement le recours aux aides d'État. Par Bruno Alomar, économiste, a travaillé au Cabinet du commissaire européen à l'énergie
(Crédits : Darren Staples)

C'est le cas avec la crise ukrainienne, dans le domaine qu'elle impacte le plus évidemment : l'énergie. Au cours des derniers mois, les limites du marché en matière énergétique ont été mises en lumière. Par la France pour critiquer les modalités de fixation du prix. Par le Portugal et l'Espagne qui ont obtenu d'être provisoirement placés hors des mécanismes de marché européens. Par l'UE elle-même, la très libérale la Commissaire à la concurrence ayant reconnu les limites du tout marché, alors même que le conseil de l'UE adoptait le 26 juillet un accord portant sur la réduction coordonnée de la demande de gaz.

Pour autant, si l'on veut bien considérer la question énergétique, le rapport au « tout marché », même si l'on fait abstraction de ces périodes de crise exceptionnelle, est loin d'être un long fleuve tranquille. Le rapport à l'énergie de l'UE tangente parfois la contradiction. Qu'on en juge.

D'un côté, l'UE, en matière énergétique, comme dans beaucoup de matière, place le libre marché et la concurrence au premier plan. Ainsi, au cours des vingt dernières années, l'UE a adopté une série de normes (les « paquets énergie ») qui ont ouvert les marchés et mis fin aux monopoles légaux qui prévalaient jusqu'à lors. La Commission, s'appuyant sur sa très puissante Direction générale de la concurrence, a mené une action résolue visant à développer la concurrence, qu'il s'agisse des interdictions en matière d'aides d'État, des procédures antitrust, ou du contrôle des fusions.

D'un autre côté, la belle cathédrale intellectuelle que constitue la concurrence par les mérites s'est retrouvée confrontée à des limites récurrentes. La plus évidente a été que l'instillation au forceps de la concurrence a eu ses ratés. En France, le développement de la concurrence s'est bien produit : il n'a cependant pas - irritant d'ailleurs une Commission peu désireuse d'admettre qu'un ancien monopole peut aussi s'adapter - eu pour effet une fuite massive des clients vers les nouveaux fournisseurs d'électricité. Il a aussi conduit à l'adoption par la loi NOME de 2010 de l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique), qui permet jusque 2025 aux fournisseurs alternatifs de s'approvisionner auprès de l'opérateur historique aux conditions fixées par l'État. La complexité et les limites de ce système ne sont pas étrangères aux difficultés qui ont conduit aux décisions récentes concernant EDF, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ne craignent pas de déroger au tout-marché.

Alors que l'UE est confrontée à une crise énergétique majeure, elle ne peut plus - et ses membres qui conservent une part essentielle de responsabilités en la matière - se tromper. Certains de ces États-membres ont d'ailleurs réalisé des voltefaces brutales. Ainsi l'Allemagne qui a décidé le 6 septembre de reporter la fermeture de deux centrales nucléaires. Ainsi la Suède, qui a annoncé le 14 octobre relancer la construction de centrales nucléaires. L'UE, pour ce qui la concerne, doit trouver le juste milieu entre les gains réels que la concurrence apporte, et la nécessité de prendre en compte les multiples objectifs et contraintes que la question énergétique recèle et que le marché ne peut à lui seul satisfaire : indépendance énergétique, coût pour les populations et les entreprises, protection de l'environnement. Et veiller à ne pas changer les règles dans deux, trois ou cinq ans, car l'énergie est une question de temps long, et les industriels doivent pouvoir se projeter à suffisamment long terme.

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