Le financement du système de santé, un sujet tabou ?

OPINION. Dans ce contexte sanitaire particulier, les soignants occupent un triple espace : professionnel, médiatique et politique. Pour lutter efficacement contre la pandémie de la Covid, mais aussi avoir une vision à plus long terme du système de santé, il faut s'intéresser à une question qui sort totalement du champ des discussions : le financement. Et si la question de la rémunération reste taboue dans le pays, elle ne peut plus être écartée des débats ! (*) Par Thomas Gendron, CEO de Medelse.
(Crédits : DR)

En France, quand il va chez le médecin, qu'il fait un test Covid ou qu'il subit une opération, le patient n'a souvent aucune conscience des coûts engendrés derrière. La part restant à la charge des ménages diminue à 6,9% en 2019, 11,3% de la richesse nationale de l'Etat est consacrée à la santé. La France est donc le pays de l'OCDE où les ménages sont le moins mis à contribution financièrement. Mais le coût de la santé reste élevé pour les caisses de l'Etat.

Une paupérisation des soignants

Par ailleurs, le social est perçu dans le pays comme un bénévolat permanent qui ne doit pas être rémunérateur. Or, la vocation des soignants ne doit pas cacher le fait qu'un médecin commence à gagner sa vie vers 30 ans, que ses études sont loin de lui apporter un confort financier suffisant et qu'il prendra sa retraite en moyenne bien plus tard que la majorité de la population (à 67 ans contre 62 ans et 1 mois en France). Quant aux infirmiers, on sous-estime grandement leur polyvalence et leur disponibilité. Quoi qu'il en soit, on ne bâtit pas un système de santé à long terme sur la paupérisation des soignants !

D'autant que dès leurs premiers choix d'exercice, les soignants sont soumis à un vrai dilemme entre "exercer dans le public", souvent bien plus intéressant en termes de pratiques, d'apprentissage et de tâches, et l'écart de salaire manifeste entre les grilles publiques et le privé. Ce dilemme pousse de plus en plus de soignants à pratiquer l'exercice mixte : sur 226.859 médecins, 12% exercent une activité mixte (libéral et salariat), sachant que 45% exercent exclusivement en libéral et 30% en salariat à l'hôpital. Les derniers chiffres de la Drees-Asip Santé montrent clairement une appétence de plus en plus forte vers l'exercice mixte.

Certains parlent de "mercenaires", mais c'est surtout l'escalade due à la tension besoins/ressources qui explique ce phénomène. Il faut bien différencier les soignants qui tordent le système pour gagner leur vie décemment (1) et les soignants qui ont fini par profiter d'un système, en pratiquant totalement en vacation à des tarifs que sont obligées d'accepter les structures pour maintenir un service à flot. Les cas de soignants préférant se faire bien mieux rémunérer en contrats ponctuels qu'en contrats longue durée auraient dû depuis longtemps attirer l'attention des pouvoirs publics.

Rappelons par ailleurs que l'écart de rémunération entre installé libéral et CDI en structure est important (2). Il soulève une autre interrogation pour le système de santé... La rentabilité d'un soignant.

Ainsi, pour qu'un hôpital propose un service de soins, par exemple l'urologie, il faut assurer la présence d'un médecin spécialiste en permanence, 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Avec les temps de récupération, il faut donc compter au moins 3 médecins pour assurer un tel service. Si la demande de soins n'est pas suffisante, le dilemme grandit : le financement public étant limité, quelle dépense devrait cesser en premier ? Cette logique de sous-investissement est fortement préjudiciable à la prise en charge des patients.

Garantir une rentabilité légitime aux structures privées

À l'inverse, la rentabilité est plus essentielle dans les structures privées, car ces entreprises doivent penser "rentabilité". Ici, rentabilité et raison d'être s'opposent : plus il y a de malades plus l'entreprise est rentable, mais l'entreprise a été créée justement pour qu'il y ait moins de malades.

Parallèlement, il existe aussi des antagonismes dans les statuts des soignants tels que le contrat hybride dans la santé : salariat + rétrocession. Le salarié est protégé, mais conserve une pression de rentabilité, indépendante de sa volonté puisqu'il n'a pas la possibilité d'agir sur le flux de patients. Dès lors, comment garantir une rentabilité légitime aux structures privées en épargnant les soignants pour qu'ils restent concentrés sur la qualité des soins ?

D'autant que cela soulève un autre point, les tensions en interne entre salariés et vacataires. Ces derniers sont mal vus, car ils sont mieux payés par rapport à leurs confrères salariés. Pourtant, au vu des plannings surchargés, entre absentéisme, congés, turn-over, saisonnalité, les établissements de soins n'ont pas d'autres choix que de recourir à des intermédiaires.

Et recourir à des intermédiaires (ndlr agence d'intérim ou cabinet de recrutement) fait forcément gonfler la note pour les établissements de santé. En fait, il existe peu de solutions facilitant les remplacements de soignants. D'autant que les libéraux ne sont pas suffisamment mis à contribution, et souffrent d'un manque de considération dans ce système qui annexe le tarif à la rentabilité. Ainsi, quand on estime que pour 1 soignant disponible, il y a 5 besoins à combler dans les établissements, ça devient la course à l'attractivité, où l'argument numéro 1 reste la rémunération. Mais ne nous trompons pas, les établissements de santé sont aussi victimes de cette escalade financière.

À la manière de certains acteurs du numérique (3), un meilleur financement du système de santé français passe par un cercle vertueux avec moins d'intermédiaires. In fine, les coûts sont rééquilibrés : la rémunération du soignant est plus juste, l'établissement réduit ses coûts et maîtrise davantage les flux avec moins de pression salariale. Cela permet d'assurer une qualité de soins régulière tout en assurant le niveau de vie des soignants. Et avec des soignants heureux au travail et rémunérés à hauteur de leurs compétences, le système de santé français réussira à satisfaire tout le monde, patients en tête.

___

(1) En posant une disponibilité dans sa propre structure pour faire une vacation ailleurs, mieux rémunérée.

(2) Selon Medelse, la différence pour un médecin généraliste de secteur 1 sur une journée de 8h tourne autour de :

  • en salariat = 250 euros nets
  • en libéral = 370 euros charges déduites
  • en intérim = 500 euros nets

(3) Nomad Health Nomad Travel Nurse Jobs | Nomad Health

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Commentaires 5
à écrit le 20/03/2021 à 11:12
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Pourquoi autant de technostructures ? Agences Régionales Santé, Direction Générale Santé, Haute Autorité Santé, Agence Nationale Santé Publique, Institut national santé et de la recherche médicale, Agence Nationale du médicament, … Leurs personnels...

à écrit le 19/03/2021 à 18:10
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Déjà ce n’est pas un système de financement mais «  un modèle de société  » ! La question «  radicale «  la base des bases serait : «  voulez -vous ce modèle ou préférez vous le modèle Américain » ? Ou un «  autre modèle « ? Pas «  tabou «  ...

à écrit le 19/03/2021 à 14:21
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ce n'est qu'une analyse très partielle: bien sûr il faut augmenter les salaires des personnels soignants. Mais immédiatement analyser pourquoi en Allemagne les personnels sont beaucoup mieux payés quand le système de santé coûte beaucoup moins cher. ...

à écrit le 19/03/2021 à 11:54
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Le monde de la santé ne demande pas a être géré par un monde financier...! Nous avons l'exemple de la solidarité que l’État a abandonné pour la confier à la charité!

à écrit le 19/03/2021 à 10:38
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Tant que la finance internationale sera greffée sur nos caisses publiques nous sommes prisonniers de l'impasse idéologique néolibérale actuelle. Regardez, ils ne veulent même pas écouter la mesure qui aurait été de loin plus intelligente à savoir...

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