Le maintien des entreprises françaises en Russie constitue-t-il un soutien à l'effort de guerre de Poutine  ?

OPINION. En restant en Russie, les entreprises étrangères n'appuient pas financièrement Poutine et la guerre en Ukraine. Mais si les entreprises françaises et étrangères quittaient précipitamment la Russie, au contraire , elles enrichiraient l'état russe. Par Michel Noiry, PDG d'Origa Consulting, cabinet de conseil en stratégie, finance et développement international
(Crédits : DADO RUVIC)

Ce qui caractérise la situation actuelle des entreprises françaises présentes en Russie, c'est, d'une part, un incroyable succès économique qui, du fait de l'importance de leurs investissements, place nos entreprises dans une situation particulièrement inconfortable et, d'autre part , l'incurie économique de notre classe politique qui multiplie les injonctions et les appels à quitter la Russie sans mesurer la faisabilité ni les conséquences de ce qu'elle préconise.

La France en première ligne des investisseurs étrangers en Russie

De manière inattendue, lorsqu'on connait l'aversion jusqu'à une période récente des entreprises françaises pour l'international, la crise ukrainienne a mis en évidence que la France, qui n'est qu'une puissance économique moyenne, est le troisième investisseur étranger en Russie. C'est même, depuis longtemps, le premier employeur étranger du pays.

Selon le ministère de l'Économie, plus de 500 grandes entreprises françaises (dont 35 groupes du CAC 40) opèrent en Russie. En 2020, malgré le Covid, les exportations françaises vers la Russie ont atteint 5,2 milliards d'euros, faisant de la Russie le septième marché extérieur de la France, hors Union européenne.

Parmi les grands noms de l'économie française présents en Russie, on note des groupes comme Auchan (39 000 employés, 277 magasins), Leroy Merlin (35.000 employés, 107 magasins, 1,3 milliard d'euros d'investissements), Danone (9.000 employés, 15 usines, 2,5 milliards d'euros d'investissements), Saint-Gobain (1.500 employés, 9 sites de production, 0,5 milliard d'euros d'investissement), LVMH (4.000 employés, 140 magasins), Société Générale (2,1 milliards d'euros d'investissement, une filiale, Rosbank, dont les activités représentent, en 2021, 2,8% du produit net bancaire et 2,7% du résultat net de la banque), Schneider Electric (8.000 employés, 5 usines, 1 milliard d'euros d'investissements) et TotalEnergies (9 milliards d'euros d'investissements, 1 usine de production et plusieurs participations dans de grands projets d'infrastructure).

Une attitude bien française extrêmement critique envers les entreprises

L'héroïque Président ukrainien, poursuivant sa tournée des capitales occidentales, est dans son rôle lorsqu'il réclame, le 23 mars, devant le Parlement français que « les entreprises françaises quittent le marché russe » et cessent de « financer les meurtres de femmes et d'enfants ».

Inversement, nos leaders politiques, qui ne sont pas sous le feu des bombes, paraissent moins justifiés à utiliser des termes aussi peu nuancés sans mettre en perspective la réalité économique. Ainsi, le candidat écologiste à la présidentielle, Yannick Jadot, accuse TotalEnergies de « complicité de crimes de guerre » en Ukraine tandis qu'Anne Hidalgo, candidate socialiste, demande « que toutes les entreprises françaises s'engagent » et quittent le pays sans attendre. On peut, à cet égard, s'étonner que le même débat n'ait pas lieu en Allemagne ni en Grande-Bretagne, pays qui ont également investi massivement en Russie. Ainsi, malgré la réaction énergique de l'Allemagne face à la guerre, près de la moitié des 40 entreprises du DAX ont indiqué qu'elles n'avaient pas l'intention de se retirer de Russie ou gardent le silence sur leurs activités dans ce pays.

Un tsunami comptable et financier

En effet, la sortie des sociétés françaises qui sont présentes en Russie depuis des décennies n'apparaît pas comme une chose aisée. Elle risque de prendre du temps et aurait un coût extrêmement élevé. Si pour une société qui commercialise ses produits au travers d'un réseau de distributeurs, les choses semblent relativement simples - le coût se « limitant » à la perte de chiffre d'affaires et de marge, éventuellement à la liquidation d'un stock -, le même mouvement de retrait est complexe, voire impossible et très coûteux, pour ceux qui ont investi en Russie afin de constituer des filiales de droit local dont il est, en outre, juridiquement impossible d'arrêter l'exploitation du jour au lendemain.

Le total des investissements occidentaux qui est de l'ordre de 440 milliards de dollars est inscrit aux bilans des maisons mères. En cas de retraite précipitée, cette somme devrait être mise à zéro, sans compter les engagements hors bilan (prêts, garantis, etc.). La sortie se ferait donc au prix d'une casse monumentale provoquant un tsunami comptable et financier sur les comptes des entreprises françaises. Le gouvernement peut se préparer à un nouveau plan de soutien, sous peine, sinon, de voir disparaître des acteurs de premier plan, devenus des proies sans défense face aux prédateurs sur les marchés financiers.

Quitter précipitamment la Russie plongerait 140.000 personnes au chômage et enrichirait l'état russe

On peut, par ailleurs, ergoter sur le soutien financier indirect qu'apporterait les entreprises françaises présentes en Russie via les impôts qu'elles paient mais il faut être raisonnable. Cette contribution, même significative, parait dérisoire face aux 20 milliards de dollars par jour que coûte le conflit à la Russie. En revanche, la fermeture de ces entreprises aurait un triple impact à court terme. Elle affecterait directement les quelques 140.000 salariés de ces sociétés qui ne sont en rien responsables de l'agression militaire et se retrouveraient durablement au chômage.

Par ailleurs, elle pourrait même, de manière involontaire, contribuer à un enrichissement de l'état russe, celui-ci devenant propriétaire d'actifs industriels qu'il pourrait revendre à bon compte pour financer sa guerre. Ainsi, Adeo, la holding de Leroy Merlin, indique que « fermer l'entreprise du jour au lendemain, fermer nos magasins, serait tout simplement un abandon considéré comme une faillite préméditée, donc illégale ouvrant la voie à une expropriation, qui renforcerait les moyens financiers de la Russie ». Enfin, les salariés ainsi licenciés se sentant lésés injustement pourraient devenir des adversaires de l'occident.

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Commentaire 1
à écrit le 04/04/2022 à 19:33
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"En restant en Russie, les entreprises étrangères n'appuient pas financièrement Poutine et la guerre en Ukraine." Mais bien sûr il est de notoriété publique que les fililales russes des multinationales ne paient pas d'impôts ni de salaires russe...

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