Le retour du malthusianisme français

OPINION. Rapprocher la responsabilité politique de la réalité opérationnelle devrait conduire à privilégier une programmation régionale et même, une déclinaison régionale de la politique du logement. L'émergence de filières régionales dédiées au complexe aménagement / habitat pourrait constituer un enjeu de reconfiguration justifiant une impulsion nationale, par exemple à travers le déploiement de nouveaux outils dédiés à la mise en œuvre d'une politique foncière véritablement structurante. Par André Yché (*), président du conseil de surveillance de CDC Habitat et conseiller auprès du directeur général de la Caisse des Dépôts pour l'habitat et l'aménagement.
"Les échéances électorales qui se rapprochent incitent à penser à l'horizon de l'été 2022. Il est évident que dans le champ de l'habitat et de l'urbanisme, la conjoncture sera marquée par une crise de l'offre, très différente du « passage à vide » de la demande observée en 2020", relève le président du conseil de surveillance de CDC Habitat et conseiller auprès du directeur général de la Caisse des Dépôts pour l'habitat et l'aménagement, André Yché.

C'est au cœur de la crise, quand tous les regards sont attirés sur le quotidien et l'immédiat, qu'il est plus nécessaire que jamais de penser l'avenir à partir du tableau d'ensemble que tout observateur avisé se doit de recomposer. Ainsi, Marcel Dassault, détenu en Allemagne pendant la guerre, préparait-il la renaissance de l'aéronautique nationale en dessinant les plans du premier chasseur à réaction français, l'Ouragan, ancêtre des Mirages, et du Rafale.

Ce tableau d'ensemble quel est-il aujourd'hui, tel qu'il se dessine à travers le prisme de l'habitat ? C'est celui d'un pays, à l'image de l'Europe occidentale, menacé par une vague de malthusianisme dont les prémisses sont multiples : effritement démographique, renoncement aux grands projets d'aménagement du territoire... Pour ne rien dire du triplement de volume du code de l'habitat, en quelques années. Au-delà même de la prise de conscience écologique, le principe de précaution et l'obsession de la préservation de l'existant caractérisent une société qui tend à se refermer sur une multitude de « petites patries » que de nouvelles solidarités, conjuguées à la résurgence des anciennes frontières, rend de plus en plus exiguës. D'accord pour le changement, mais not in my backyard !

L'intérêt national est devenu fort lointain, peu perceptible

C'est ainsi qu'en matière d'urbanisme et d'habitat, le « gel » de milliers de permis de construire, le report de maintes opérations d'aménagement, la réduction drastique du volume d'opérations pourtant entérinées prend à contre-pied l'Etat central en fragilisant la dynamique de relance. Et le large éventail des sensibilités sur la quasi-totalité des territoires concernés démontre qu'au-delà de positionnements politiques d'opportunité, c'est bien d'un large courant d'opinion qu'il s'agit : face à un avenir pour le moins incertain, la priorité est de fermer les écoutilles ! Les analystes financiers s'en féliciteront : en l'absence de nouveaux développements, la valeur des actifs récemment acquis s'en trouve confortée !

Les échéances électorales qui se rapprochent incitent à penser à l'horizon de l'été 2022. Il est évident que dans le champ de l'habitat et de l'urbanisme, la conjoncture sera marquée par une crise de l'offre, très différente du « passage à vide » de la demande observée en 2020. Et dès lors, les ressorts de l'action publique sont au plus près du terrain, l'Etat central ne sachant réellement subjuguer que les crises de demande, en libérant des financements supplémentaires.

Dès lors, quelles conclusions en tirer ? Que les seuls enjeux susceptibles de peser dans les décisions des acteurs locaux sont, précisément, de nature locale : il s'agit de rénover tel quartier, tel centre-ville, de répondre aux besoins de tel équipement public, de tel hôpital ou d'un commissariat, de permettre l'implantation de telle entreprise. L'intérêt national est devenu fort lointain, peu perceptible.

Privilégier une déclinaison régionale de la politique du logement

Dans ce contexte, la question fondamentale porte sur le caractère conjoncturel ou structurel de la crise d'offre qui se fait jour. Au-delà des effets du confinement sanitaire ou des échéances électorales, tout laisse à penser que le courant malthusien qui traverse l'opinion lui confère une dimension structurelle, c'est-à-dire durable. Quelles conséquences en découlent ?

Puisque les leviers du contrôle sont locaux, il est permis de s'interroger sur la pertinence d'une programmation nationale. Rapprocher la responsabilité politique de la réalité opérationnelle devrait conduire à privilégier une programmation régionale et même, une déclinaison régionale de la politique du logement.

C'est en effet au niveau régional que la cohérence stratégique entre l'habitat, les mobilités, la formation et l'emploi pourraient être réalisée, la densité des relations et des intérêts croisés entre la Région et les collectivités de premier rang (communes et agglomérations) étant suffisante pour permettre une contractualisation plus réaliste qu'au niveau national.

A l'Etat la transformation des métropoles vers un modèle polycentrique

Dans cette perspective, quels champs d'action et quels leviers demeurent à l'Etat central ? Sans doute l'hébergement et l'habitat spécifique, ainsi que les grands enjeux justifiant la mise en place d'opérations d'intérêt national, au-delà de l'exemple parlant des Jeux Olympiques ; la transformation des métropoles vers un modèle polycentrique pourrait offrir quelques opportunités d'intervention de l'Etat central, tout comme Paul Delouvrier avait-il assumé le programme, assez comparable, des villes nouvelles.

Par ailleurs, dans une perspective de long terme et au-delà de la loi Élan, l'émergence de filières régionales dédiées au complexe aménagement / habitat pourrait constituer un enjeu de reconfiguration justifiant une impulsion nationale, par exemple à travers le déploiement de nouveaux outils dédiés à la mise en œuvre d'une politique foncière véritablement structurante.

L'ultime question qui se pose, en lien avec le malthusianisme qui travaille l'opinion en profondeur, est de savoir si l'habitat et l'urbanisme peuvent constituer des enjeux majeurs en vue des prochaines échéances électorales. D'après les dernières campagnes présidentielles et en dépit de l'enjeu de la relance économique, il est permis d'en douter.

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