Les nouvelles relations économiques entre l’UE et la Chine

OPINION. Face à la montée en puissance de la Chine, l’Union européenne cherche à la fois à ménager ce partenaire majeur et à ne pas le laisser agir totalement à sa guise. Un équilibre difficile. Par Stéphane Aymard, La Rochelle Université (*)
(Crédits : CARLOS GARCIA RAWLINS)

L'Union européenne a récemment adopté son nouveau programme-cadre de recherche et d'innovation, intitulé « Horizon Europe ». Celui-ci prévoit de financer une action stratégique originale : « Upgrading independant knowledge on contemporary China in Europe ». L'objectif est de soutenir des travaux de chercheurs en sciences sociales qui permettront de décrypter la Chine pour permettre des échanges et collaborations sécurisés en matière commerciale entre acteurs du monde socio-économique ; c'est-à-dire des échanges qui ne seront pas victimes de stratégies, traditions ou politiques chinoises méconnues et gênantes en matière commerciale.

La Chine a changé et n'est plus le « pays en développement » parfois décrit dans le passé. En dehors de son importance dans les échanges commerciaux avec l'Europe, elle constitue un acteur avec lequel les relations se sont intensifiées dans les domaines de la recherche et développement ou dans celui des technologies. Pour l'UE, la Chine est à la fois un partenaire et un concurrent économiques, et un rival ou une alternative en matière de système et de gouvernance.

Les objectifs du partenariat

L'objectif premier de l'UE est d'être unie face au géant chinois. En mars 2019, la Commission européenne a publié un plan stratégique vis-à-vis de la Chine comprenant des actions concrètes comme, par exemple :

  • Défendre les objectifs des Nations unies en matière de droits de l'homme, de paix et de sécurité ;

  • S'engager dans la baisse des émissions de CO2 pour le climat (la Chine étant à la fois le premier émetteur, un constructeur de centrales de charbon dans d'autres pays, mais aussi le pays qui investit le plus dans les énergies renouvelables) ;

  • S'entendre avec la Chine pour assurer la paix et la sécurité dans des zones ou pays où Pékin a une influence comme l'Iran, la Corne de l'Afrique, la Corée du Nord ou encore le golfe d'Aden. Les conflits potentiels sont nombreux, y compris en mer de Chine ;

  • Trouver une réciprocité dans les échanges commerciaux en évitant le protectionnisme ou les soutiens excessifs aux industries locales (en passant par le biais de l'OMC), tout comme les difficultés liées à la propriété de l'État sur certaines entreprises ;

  • Tenir compte dans les marchés publics non pas du seul critère du prix, mais aussi de l'environnement de travail ;

  • Renforcer la sécurité liée aux nouvelles technologies (comme la 5G) pour éviter le piratage et l'espionnage.

Le but de ce plan est d'adopter à l'égard de la RPC une approche moins « naïve », plus pragmatique et plus réaliste, sans pour autant céder à la surenchère, l'escalade ou la guerre commerciale. L'équilibre est donc difficile à trouver. Mais il est vrai que sur chacun des points ci-dessus, les exemples abondent d'échecs européens. Globalement, la Chine a capté de nombreux marchés en adoptant des règles de fonctionnement qui lui ont permis d'exercer une « concurrence déloyale ». Pour maintenir ses échanges avec Pékin, l'Union européenne doit donc adopter une stratégie plus offensive.

Les leçons du passé

Historiquement, les premières relations diplomatiques se sont établies en 1975. Un premier plan de partenariat stratégique a été adopté en 2003. D'autres ont suivi, jusqu'au récent plan « EU-China 2020 Strategic Agenda for Cooperation », adopté en 2013.

Celui-ci, aujourd'hui remplacé par de nouveaux objectifs, restait très politique et peu économique. Les domaines traités portaient sur la paix, sécurité, l'information, l'urbanisation, le climat, le progrès social, la culture, l'éducation... Certes, les grands secteurs comme le transport, l'aéronautique, l'énergie, l'agriculture et plus généralement la science et l'innovation étaient aussi abordés, mais souvent de façon succincte pour indiquer que les deux entités coopéreront et développeront des « initiatives conjointes » (laboratoires conjoints, échanges de données, etc.).

Finalement, il semble au bout de quelques années que cela se soit fait au profit de la Chine. L'exemple du développement de l'aéronautique ou des biotechnologies en Chine montre que les pays occidentaux ont plus perdu que gagné, aussi bien en termes de parts de marché que de transfert technologique.

Au début des années 2000, la France a par exemple vendu des centaines d'Airbus A320 lors de contrats signés pendant des visites officielles, avec comme contrepartie la production et l'assemblage en Chine avec transfert de connaissances. Aujourd'hui, la China Commercial Aircraft Corporation est capable de produire un nouvel avion C919, qui sera directement concurrent de l'Airbus A320. Le certificat de navigabilité pourrait arriver cette année et près d'un millier de commandes ont déjà été passées.

Les relations et instruments d'aujourd'hui

Par ailleurs, malgré ces plans stratégiques, les relations économiques restent tributaires des événements liés à l'actualité.

Même si le dernier plan évoque la situation du Xinjiang (région autonome ouïghoure), quelques paroles en conférence de presse peuvent détériorer les relations. Récemment, les sanctions européennes liées au sort des Ouïghours ont provoqué la colère de la Chine, laquelle a réagi par des contre-sanctions qui peuvent aller au-delà de la sphère diplomatique et se solder par la remise en cause d'accords commerciaux et notamment de l'« Accord global sur les investissements ». Or, ces avancées sont cruciales sur le plan économique. Par exemple, les entreprises allemandes (Volkswagen, Siemens, BMW) ou françaises (banques notamment) en attendent beaucoup.

Par ailleurs, la Chine reste très ferme sur sa volonté de mettre en œuvre sa fameuse « Belt and Road Initiative », et les pays d'Europe de l'Est se trouvent sur le chemin. D'ailleurs, les relations avec l'Union européenne sont souvent dénommées « 17+1 » (ou 16+1) en comptant les pays de l'Est comme un seul, ce qui permet à la Chine de négocier directement avec eux.

D'autres différends sur la 5G et Huawei ou sur l'origine du Covid viennent également perturber ces relations. Les Européens Nokia et Ericsson pourraient fournir à l'UE les infrastructures de la 5G, mais Huawei est mieux placé sur le plan qualité/prix. Aussi, au-delà de ces questions économiques, les choix politiques entrent en compte, notamment en ce qui concerne les conditions de sécurité, comme celles liées à la protection des données ou au risque d'espionnage. Avec le langage diplomatique, on indique que l'UE ne s'oppose à aucune entreprise mais doit éviter la dépendance vis-à-vis de fournisseurs à risques... La Chine, elle, y voit un protectionnisme déguisé.

Malgré tout, les échanges commerciaux sont importants : l'UE est la deuxième puissance commerciale et le plus grand exportateur de produits et services. À eux trois, la Chine, l'Europe et les États-Unis représentent 46 % du commerce international de marchandises en 2019. Les échanges de biens (exportations et importations) de l'UE avec le reste du monde représentent environ 15 % du commerce mondial. Pour les biens, les premiers partenaires de l'Europe en matière d'exportation sont les États-Unis (406 milliards) puis la Chine (210 milliards), et en matière d'importation la Chine (394 milliards) puis les États-Unis (267 milliards) d'après Eurostat :

Chine UE.

En matière commerciale, la Commission européenne négocie les accords de libre-échange avec le reste du monde, mais les États membres ont leur mot à dire, à travers le Conseil de l'UE (consulté) et le Parlement (qui dispose d'un droit de veto). L'objectif officiel de l'UE est fixé dans le Traité de Fonctionnement de l'Union européenne qui précise dans son article 206 :

« L'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres. »

De ce fait, la politique économique avec la Chine est tournée, comme pour d'autres zones géographiques (Canada, Japon...) vers des négociations visant le développement des échanges et non le protectionnisme. Néanmoins, l'UE s'est dotée d'outils de défense contre les pratiques déloyales avec un droit de la concurrence très poussé. Les exemples de sanctions contre des firmes américaines (géants du numérique) sont emblématiques de ce pouvoir.

En outre, l'UE a intégré à sa nouvelle stratégie commerciale adoptée en février 2021 appelée « Trade policy review : An open, sustainable and assertive trade policy » le respect des accords de Paris sur le climat et le respect des normes européennes (environnementales par exemple). Sans viser explicitement la Chine, ces règles sont un moyen d'orienter la politique économique.

Elles s'accompagnent d'instruments de défense commerciale cités précédemment. L'antidumping en est l'exemple type. Un produit est considéré comme bénéficiant de dumping lorsque son prix de vente en Europe est inférieur au prix dans le pays exportateur. Cette pratique qui vise à capter des marchés afin de se retrouver en position dominante est souvent reprochée à la Chine. La législation européenne vise donc aujourd'hui à accélérer la prise de décision avant qu'il ne soit trop tard car les marchés et prises de parts évoluent très vite.

Un exemple récent peut être cité avec les chaussures en cuir importées de Chine. En 2006, pour contrer ce dumping, l'UE a pris des mesures radicales en appliquant des droits de douane de 19,4 % aux exportateurs chinois au motif qu'ils bénéficiaient de subventions étatiques contraires aux règles de l'OMC.

Pour conclure, l'UE entend montrer sa force dans ses relations économiques avec la Chine. Pour cela, en plus des discussions bilatérales, elle s'efforce de jouer un rôle moteur au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en donnant un rôle de négociateur à la Commission pour l'ensemble des États membres et s'exprimer d'une seule voix lors de la négociation de traités commerciaux, au lieu de se ranger derrière les États-Unis ou de partir en ordre dispersé.

The Conversation _______

(*) Par Stéphane Aymard, Ingénieur de Recherche, La Rochelle Université

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 3
à écrit le 06/07/2021 à 10:58
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Si la Chine vous intéresse et si vous voulez mieux en connaître les réalités, il faut lire les quatre livres de Jean Tuan publiés chez C.L.C. Editions. Le premier "Mémoires chinoises" évoque la parcours de son père venue en France de Chine en 1929, l...

à écrit le 06/07/2021 à 9:35
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"L'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières doua...

à écrit le 05/07/2021 à 18:23
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noter que l’export de biens/services représente 18,5% du PIB en Chine, contre 43% pour UE/EZ (Banque Mondiale). 16% et 40% respectivement pour l’import. l’Europe est la 1ère destination des investissements étrangers physiques en 2020. elle devance ...

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