Les produits de luxe, histoire d'une démocratisation

En plein coeur du XIXe siècle, certaines découvertes et le développement économique ont permis de donner naissance à l'industrie du luxe. Par Emma Duncan, rédactrice en chef de 1843, nouvelle publication premium de The Economist
Emma Duncan

Pour le titre de son nouveau magazine dédié aux idées, à la culture et au lifestyle, The Economist a tout simplement choisi 1843. Curieux dites-vous ? Pas si vous pensez à tous les faits marquants de cette année 1843, si riche en innovations. Car c'est aussi l'année où Ada Lovelace, fille du fantasque et sulfureux Lord Byron, a écrit ce qui est aujourd'hui considéré comme le premier programme informatique, pour la machine analytique de Charles Babbage. Elle est également l'année de création de la maison de champagne Krug. D'ailleurs, c'est à cette époque que nombre d'autres marques de luxe aujourd'hui réputées ont vu le jour.

La transition vers l'âge moderne

La révolution industrielle a apporté la prospérité dans tout le monde occidental, en particulier en Angleterre. Durant cette période, les populations migraient vers les villes et les salaires augmentaient, et les professionnels qualifiés étaient de plus en plus nombreux. Grâce à l'augmentation du revenu disponible, les classes moyennes et aisées pouvaient se faire plaisir en achetant de beaux articles. Cette période a réellement marqué la transition vers l'âge moderne.

 « Au Royaume-Uni et aux États-Unis, la révolution industrielle a été synonyme d'exode des populations rurales vers la ville, où les opportunités d'emploi étaient nombreuses », explique Guy Salter, fondateur de la London Craft Week et investisseur dans le secteur du luxe. « Pour la première fois, le marché de la consommation de masse s'ouvraient aux marques. La population qui - il est important de le noter - travaillait beaucoup, devait acheter les articles dont elle avait besoin, car elle n'avait plus le temps de les fabriquer. » Les marques de luxe se devaient donc de proposer des produits qui soient réellement gages de qualité.

L'Angleterre, l'atelier du monde

Alors que l'Angleterre était considérée comme l'« atelier du monde », les États-Unis lui ont rapidement emboîté le pas. « Pour les marques de luxe les plus prestigieuses, l'Amérique s'approvisionnait (et s'approvisionne toujours) en Europe, » poursuit Guy Salter « où le riche héritage artisanal, les boutiques et les compétences se transmettaient de génération en génération. » Le Grand Tour était à la mode : les jeunes des classes aisées sillonnaient l'Europe afin de s'imprégner de l'héritage culturel du Vieux continent. Les bateaux à vapeur favorisaient la mondialisation. La P&O transportait ses premiers passagers à destination, tout d'abord, de l'Espagne et du Portugal, puis de l'Asie. Les voyageurs les plus riches arboraient déjà les bagages luxueux de la marque Louis Vuitton, société fondée en 1854.

Augmentation du pouvoir d'achat

La révolution industrielle n'a pas simplement engendré la prospérité et contribué à l'augmentation du pouvoir d'achat. Elle a également radicalement transformé les processus de production. Auparavant, les marchandises étaient principalement fabriquées dans des ateliers, voire au domicile même des artisans. La mécanisation a ouvert la voie à une production à plus grande échelle, qui s'est traduite par une baisse des prix de marchandises auparavant inaccessibles. L'innovation technique et la possibilité de breveter les produits ont également changé la donne. Louis Vuitton a ainsi déposé des brevets pour les toiles imperméables de ses malles, pour ses serrures inviolables et ses charnières indestructibles. La marque Burberry avait également son arme secrète : la gabardine, un tissu obtenu par tissage de fibres de coton et de laine peignée, préalablement imperméabilisées.

De nombreuses marques de luxe étaient des sociétés familiales. Nombre de ces entrepreneurs étaient des hommes d'affaires opérant à l'international, tout comme les businessmen d'aujourd'hui. Joseph Krug, par exemple, parlait français, anglais, allemand, et avait même quelques notions de russe. Il était donc parfaitement armé pour exploiter les opportunités d'exportation à l'international offertes par les nouveaux moyens de transport qui se développaient à travers l'Europe. L'impact de cette prospérité grandissante se faisait ressentir des deux côtés de l'Atlantique : la marque Tiffany, lancée en 1837 en Amérique, a rapidement troqué son activité de papeterie pour se tourner vers le secteur de la joaillerie, tandis que Cartier ouvrait sa première boutique en 1847.

Retour aux produits personnalisés

Le luxe s'est peu à peu popularisé, même si d'aucuns diraient que ces deux termes sont contradictoires. Guy Salter considère qu'aujourd'hui, nous revenons au point de départ. Selon lui, les consommateurs se détournent des articles de luxe fabriqués à grande échelle pour leur préférer des pièces artisanales, rejetant ainsi les produits standardisés au profit du « sur mesure ». « Certaines marques de luxe sont devenues si omniprésentes que nous assistons, je pense, à un regain d'intérêt pour les petites entreprises spécialisées, pour l'individualité et les produits personnalisés, » explique-t-il. Les marques aiment souligner leur héritage dans leurs supports marketing. Ainsi Burberry, qui était à l'origine une boutique du Hampshire tenue par un drapier et proposait une petite collection de vêtements d'extérieur, est devenue une multinationale qui affiche un bénéfice net avant impôts de plus de 328 millions de livres en 2015. La société a récemment annoncé un nouvel investissement de 50 millions de livres dans de nouveaux locaux basés à Leeds. Illustration éloquente de ce renversement de tendance, le site a été baptisé « Project Artisan ».

« Il est absolument essentiel que notre trench-coat traditionnel soit fabriqué en Grande-Bretagne, » explique M. Bailey. « Cette implantation est la preuve même que nous sommes capables de rester fidèle à notre héritage, à notre histoire dans l'industrie du textile qui a débuté ici, au cœur même de l'Angleterre. Elle témoigne de notre volonté de maintenir cette icône britannique en terres britanniques. »

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