Les « quotas » de genre au sein de la gouvernance des entreprises : la sinueuse marche vers l'égalité

OPINION. La proposition de loi « visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle », adoptée en première lecture le 23 mai 2021 et qui doit prochainement être examinée au Sénat, contient, entre autres, une disposition visant la gouvernance des sociétés en matière d'égalité femmes-hommes. Cette dernière prévoit un objectif chiffré de 40% minimum de représentation de chaque genre au sein des comités qui assistent la direction générale (ComEx, CoDir). (*) Par Sophie Blégent-Delapille, Managing Partner de Deloitte | Taj, et Arnaud Raynouard, professeur des Universités à l'Université Paris Dauphine-PSL et responsable du Comité scientifique juridique de Deloitte |Taj.
(Crédits : DR)

La persistance des inégalités salariales et d'occupation des postes de direction entre hommes et femmes, bien que non homogène selon les secteurs, les niveaux de qualification et le public ou privé, amène régulièrement de nouveaux textes.

Si le débat sur la parité, souvent vif, agite les cercles politiques, associatifs et universitaires, il ne s'intéresse qu'exceptionnellement aux méthodes efficaces et utiles pour atteindre une possible égalité. La loi en discussion au parlement visant « à accélérer l'égalité économique et professionnelle » ne déroge pas à cette habitude, adoptant un nouveau dispositif chiffré sans réelle interrogation sur l'efficacité des méthodes.

Il est vrai que la lenteur d'évolution des pratiques peut désespérer, de sorte que le recours à des mécanismes contraignants apparait comme l'unique moyen d'avancer. Cela révèle également, en creux, les limitations de la règle de droit pour changer la société.

La loi Copé-Zimmermann : jusqu'ici un bilan en demi-teinte

Sur le versant optimiste de l'histoire récente, relevons que la loi Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011 aura tout de même permis à la France de prendre la première place en Europe, et la seconde dans le monde, en matière de représentation des femmes dans les organes de direction (conseils d'administration et conseils de surveillance des sociétés cotés). Ainsi, dans son rapport « Accès des femmes aux responsabilité et rôle levier des financements publics », le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes évalue à 44% la part des femmes dans les instances dirigeantes des grandes entreprises.

Le fait n'est pas négligeable, il reste cependant révélateur d'une inégalité persistante puisque cela ne concerne que les seules sociétés cotées (une minorité) et le résultat n'est, mathématiquement, pas paritaire. A y regarder de plus près, on observe également que cette évolution ne vise que les seuls conseils d'administration et les conseils de surveillance. La situation des comités de direction est quant à elle très différente. Ces derniers, distincts des comités rattachés au conseil d'administration, jouent pourtant un rôle fondamental en matière de gouvernance des sociétés. Et, selon le Haut conseil, les ComEx (comités exécutifs) ou CoDir (comité de direction) affichent des taux de présence des femmes de seulement 19% en 2019 et 22% en 2020.

Une égalité forcée par la loi

Considérant que ni la future mise en œuvre de l'index égalité professionnel par les entreprises ; ni les principes affirmés de « à travail égal, salaire égal », « non-discrimination à l'embauche » ; ni l'encadrement des effets d'une maternité sur la carrière des femmes et la promotion de l'implication des hommes dans la maternité (impliquant donc leur carrière), ne sont suffisants, le Parlement, poussé en ce sens par le milieu associatif, retient l'argument de l'égalité imposé par un texte. Que l'on soit convaincu ou non, on ne peut que constater le besoin de mécanismes contraignants... encore aujourd'hui !

La nouvelle loi cherche donc à forcer la mixité, vers la parité, dans les instances dirigeantes, c'est-à-dire non seulement les organes de direction mais également les ComEx et CoDir. L'objectif est clair : renforcer la présence des femmes à tous les postes de direction au sein des entreprises privées.

Le texte voté en première lecture prévoit donc que « dans les entreprises d'au moins mille salariés, l'employeur publie chaque année un indicateur relatif aux écarts de représentation entre les femmes et les hommes aux postes à plus forte responsabilités mentionnés à la deuxième phrase du 2° de l'article L22-10-10 » du code de commerce.

Et cet « indicateur décrit les actions mises en œuvre pour permettre une représentation minimale de 30% de chaque sexe, selon des modalités et une méthodologie définie par décret ». Etant précisé que le projet de loi prévoit le remplacement du chiffre de 30% par celui de 40%.

La sanction, qui serait encourue lorsque les résultats de l'entreprise sont inférieurs à un seuil à définir, est prévue en deux temps : un délai de deux ans pour « se mettre en conformité », au terme duquel, à défaut d'avoir atteint le seuil de référence, l'entreprise serait passible d'une amende administrative s'élevant « au maximum à 1% des rémunérations et gains ».

Quels impacts pour les entreprises ?

La difficulté d'application pour les entreprises réside dans l'identification des « instances dirigeantes », terme que la loi n'emploie pas mais qui est présent dans le débat public. La loi vise les « postes à plus forte responsabilité » et renvoie à la notion, précise, des organes de direction visés par le code de commerce. Par renvoi au code de commerce, en l'état de sa rédaction, l'obligation nouvelle ne vise que « le comité mis en place, le cas échéant, par la direction générale en vue de l'assister régulièrement dans l'exercice de ses missions générales ».

Les sociétés concernées sont donc les sociétés à conseil d'administration ainsi que celles à directoire et conseil de surveillance, puisqu'est visé « le comité » mis en place par la direction générale, sans rattachement de celui-ci au conseil d'administration (alors que la disposition du code de commerce visée n'est relative qu'au seul conseil d'administration d'une société cotée).

On remarquera le singulier employé.

On remarquera aussi que l'instance visée est celle qui assiste la direction « dans l'exercice de ses missions générales ». Concrètement, ce ne sont donc que les seuls ComEx et CoDir qui sont soumis à cette obligation de représentation paritaire à 40 % des femmes et des hommes.

Si seules les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises sont concernées, cela ne se limite pas aux sociétés cotées. Le critère est en effet celui du nombre de salariés : plus de 1.000.

L'articulation de ce futur texte peut receler des subtilités : ainsi, pour les sociétés cotées, il est prévu que si elles n'appliquent pas de politique de mixité dans de tels comités. Elles doivent fournir une « explication des raisons le justifiant » (art. L20-10-10, 2°, code de commerce). Cette exception n'est pas compatible avec l'obligation prévue par le texte en cours de discussion au parlement, qui n'offre pourtant aucune solution d'articulation.

Au regard de ces évolutions, on revient sur le constat suivant : la méthode législative est un art délicat et la voie de la parité demeure sinueuse. On peut néanmoins se prendre à rêver d'une égalité mise en œuvre avec simplicité, garant de son efficacité.

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Commentaire 1
à écrit le 08/10/2021 à 16:00
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Non la véritable égalité serait que ce soient les femmes qui gouvernent pendant plusieurs siècles le temps que les hommes ont gouverné, qu'elles aient tous les postes de pouvoir comme les ont eu les hommes durant tout ce temps et ensuite si c'est aus...

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