Prix du gaz : un plafond dynamico-statique ou un plafond statico-dynamique  ?

OPINION. On connait le mécanisme que la Commission européenne propose pour plafonner le prix du gaz sans vraiment le plafonner. C'est le grand écart : à la fois dissuader la spéculation mais ne pas provoquer de pénurie. Comment ? Accrochez-vous ! Par Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, Ecole Polytechnique de Bruxelles et Université de Bruxelles.
(Crédits : DADO RUVIC)

Le plafond du prix du gaz est bel et bien statique mais il peut être allégrement franchi malgré tout ! Si vous ne comprenez pas, c'est normal à ce stade.

Le plafond ne sera activé que si les prix en Europe sont très hauts en absolu et, aussi, par rapport aux prix mondiaux. Quel niveau ? Le « non-paper » de la Commission (« Outline of a gas market correction mechanism ») ne le précise pas mais évoque les prix dingues d'août 2022 (350 euros le MWh contre 110 euros le MWh aujourd'hui) comme guidance. La Commission européenne veille ainsi à sécuriser l'approvisionnement de l'Europe en gaz, quoiqu'il en coûte. De toute façon, reconnaissons-le, si les prix mondiaux se stabilisent au niveau des prix de gros en Europe d'août 2022, ce sera la révolution.

Un plafond sur les prix du gaz à un mois

Le plafond s'applique pour les prix du gaz à terme à un mois sur le marché TTF car c'est le prix de référence sur le marché de gros. Il ne s'applique ni aux prix spot ni aux prix à un jour. L'imposer sur ces prix au jour le jour, c'est risquer de créer des problèmes d'approvisionnement et de liquidité sur la fourniture de gaz. Mais la Commission ne dit pas comment elle évitera que de la spéculation ne se reporte vers les marchés spot et à un jour laissés libres.

Le plafond s'activera automatiquement quand les deux conditions d'activation sont réunies. On évite la lourdeur de passer par une décision politique ou technique, ce qui laisserait tout le temps voulu aux spéculateurs de profiter du no man's land. Le mécanisme doit pouvoir être suspendu à tout moment s'il génère des perturbations sur le fonctionnement du marché. Il se désactivera aussi dès que les critères d'activation ne sont plus rencontrés, et ce, lors d'un examen mensuel. C'est donc bien la sécurité d'approvisionnement qui compte avant les prix.

Les marchés de gré à gré exemptés

Ce mécanisme ne s'appliquera pas aux marchés de gré à gré car, dit la Commission, on ne peut les monitorer aussi facilement que des prix publics et publiés sur une bourse du gaz comme le marché TTF. Et puis, dit la Commission, c'est une soupape de sécurité, un canal supplémentaire d'approvisionnement de gaz en cas de pénurie (sauf que le marché de gré à gré risque de devenir un marché secondaire comparable à ceux qu'on voit dans les pays qui imposent sur leur monnaie un taux de change officiel, ce qui mène à un marché au noir, souvent pour acquérir des dollars). Le marché de gré à gré peut même siphonner tous les volumes du marché officiel.

En d'autres termes, la Commission passe un peu sous silence le risque de voir ce marché de gré à gré ouvert à des variations de prix intenses qui mettront en difficulté  les sociétés qui y agissent.

Le mécanisme de plafond ne s'appliquera que durant 1 an, sur la base des traités européens qui ne permettent pas de faire autrement. Un an ? C'est un peu court quand on sait que les tensions sur l'approvisionnement s'étendront sur deux ou trois ans. Rien n'est dit sur son éventuelle prolongation. Des fournisseurs ou des producteurs auraient beau jeu d'attendre un an avant de recommencer à fournir du gaz aux marchés européens.

La Commission espère - en annonçant ce mécanisme - briser l'idée que se fait le marché que l'Europe, sous le poids de l'Allemagne qui le clame haut et fort, est prête à payer n'importe quel prix pour avoir du gaz. Les prix corridors sont oubliés : ils auraient établi une fourchette de variation du prix autour d'une valeur de référence qui aurait pu évoluer en fonction des marchés mondiaux. C'eût été si simple.

L'arme de dernier recours

Il faut voir ce mécanisme de plafond comme l'arme de dernier recours qu'on ne veut pas utiliser : si tous les critères sont présents pour l'activer, c'est qu'on est loin et mal. C'est qu'on n'aura pas réussi à sécuriser notre approvisionnement, que notre consommation ne s'est pas réduite, qu'aucune mesure structurelle  - qui prend de toute façon plus d'un an à se mettre en place - n'a marché pour se passer du gaz (utiliser d'autres combustibles pour l'industrie, le fuel-switch, ou avoir échoué à inciter les citoyens européens à s'équiper d'alternatives au gaz, comme les panneaux solaires et les pompes à chaleur...)

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