La saison de remplissage des stocks de gaz 2023-2024 a déjà (mal) commencé

OPINION. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) publie un rapport (*) très alarmiste sur la capacité de l'Europe à reconstituer des stocks suffisants de gaz naturel pour le prochain hiver. L'agence a calculé qu'il pourrait manquer jusqu'à 30 milliards de m3. Analyse. Par Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles
Aux Pays-Bas, le champ gazier de Groningue, limité à 2,8 milliards de m3 pour 2022-2023, est en déclin.
Aux Pays-Bas, le champ gazier de Groningue, limité à 2,8 milliards de m3 pour 2022-2023, est en déclin. (Crédits : Reuters)

C'est un rapport alarmiste que nous livre l'Agence internationale pour l'énergie (AIE) : pour l'hiver 2023-2024 et pour le gaz, c'est simple, on n'y arrivera pas ! Notre salut, pour l'Europe entière, viendra d'un déploiement massif d'alternatives, pompes à chaleur, efficacité énergétique, déploiement accéléré d'énergie renouvelables, migration vers d'autres types de combustibles dans l'industrie et changement dans nos comportements. Tout cela n'est-il pas illusoire en 12 mois à part changer notre comportement et imposer des sacrifices difficiles à nos entreprises ?

Pourquoi l'AIE est-elle si pessimiste ? Elle s'est livrée à des calculs et les a comparés aux scénarios les plus probables. On a eu de la chance pour cet hiver et cette chance nous aveugle, prévient l'AIE.

Les températures froides n'ont pas encore pointé le bout de leur nez, l'Europe a pu détourner à son profit les marchés GNL, la Russie n'a diminué ses livraisons de gaz que sur la deuxième moitié de 2022 et les gazoducs en provenance d'autres pays ont pu augmenter leur livraisons mais cela en fait pas la différence: l'Azerbaïdjan(+50 %, 3 milliards de m3), la Norvège (+5% ou 5 milliards de m3), l'Algérie (+10 % ou 3 milliards de m3) avaient encore des capacités de livraison en plus qu'elles ont désormais utilisées. Ces pays sont à leur capacité maximale de livraison et, de toute façon, cela reste peu par rapport à la diminution du gaz russe qui nous est parvenue sur 2022, de l'ordre de - 60 milliards de m3. C'est surtout la réduction de notre consommation de 40 milliards de m3 (Europe et Royaume-Uni) qui nous a sauvés mais à quel prix puisque cela inclut l'arrêt de la production dans plusieurs secteurs de l'industrie (même si la demande résidentielle et commerciale a diminué avec, heureusement, des changements de comportements qui y ont beaucoup contribué). On a tout de même eu chaud pour 2022-2023 car, en même temps, nos capacités de production d'énergie à base d'hydraulique et nucléaire ont été au plus bas, (sécheresse et soucis sur le parc nucléaire obligent). On a cependant pu capter une part importante de gaz liquéfié (GNL, + 23 milliards de m3) mais au détriment de la Chine qui a moins consommé (mais pas pour nos beaux yeux, à cause de leur situation économique en berne). Ce pays a moins acheté sur les marchés spot mais il a sécurisé son approvisionnement sur plusieurs années avec des contrats long terme. Notre soif de GNL a pu être satisfaite, dit l'AIE, au détriment des pays d'Asie du Sud plus sensibles aux prix du marché.

Des stocks remplis comme jamais cette année

Oui, c'est vrai, cette année, nous avons pu remplir comme jamais nos réserves de gaz. L'injection de gaz dans les stocks a été supérieure de 22 % (13 milliards de m3), comparé à la moyenne des 5 années précédentes. Grâce au mois d'octobre particulièrement chaud, la demande de gaz sur les réseaux de distribution qui concentrent les centres commerciaux et des foyers a diminué de 30 %. Or, à ce moment-là, les méthaniers étaient déjà en route vers l'Europe et n'avaient que peu de flexibilité pour changer de destination (les rotations sont fixées plusieurs semaines à l'avance). Les prix à un mois sur le marché TTF ont diminué jusqu'à 100 euros/MWh fin octobre (ce qui reste de plusieurs ordres de grandeur plus élevés que la moyenne sur 2016 à 2020). Quant au prix pour livraison à un jour, les prix ont encore plus diminué vers les 30 euros/MWh. On a même vu les prix à l'heure devenir négatifs, le 24 octobre dernier !

Mais il ne faut pas croire que nous sommes sauvés. La première pointe de froid cet hiver nous rappellera aussi que l'hiver 2023-2024 sera le plus difficile à gérer. Selon les scénarios, nos stocks de gaz, en Europe, à la fin de cet hiver vont varier de 5 % à 35 %, selon beaucoup de variables : les prix, le temps et la politique énergétique suivie par l'Europe à partir de maintenant. En fait, dit l'AIE, la saison pour remplir les stocks à l'hiver 2023 -2024 a déjà commencé.

Tout est à refaire pour 2023-2024

Car en 2023-2024 il n'y aura non seulement plus une goutte ( si on peut dire) de gaz russe (c'est donc 60 milliards de m3 encore livrés en 2022 qu'il faut compenser) mais la Chine qui a des contrats long terme pourra capter vers elle la production de gaz GNL mondiale. On peut encore espérer de la Russie, si elle maintient ses livraisons actuelles en 2023, 25 milliards de m3. Il n'y a plus de marge de manœuvre : tous les autres gazoducs sont remplis. La fourniture de GNL va augmenter de 20 milliards de m3 en 2021 grâce à l'augmentation de capacité d'un terminal gazier aux Etats-Unis et un autre au Mozambique, et grâce au retour sur le marché d'un autre terminal aux Etats-Unis. Mais cette augmentation de capacité ne suffira pas. La production de gaz domestique en Europe est négligeable : aux Pays-Bas, le champ de Groningue, limité à 2,8 milliards de m3 pour 2022-2023, est en déclin. Le Danemark va relancer l'exploitation d'un champ gazier mais seulement à l'hiver 2023-204, et au Royaume-Uni, c'est déjà relancé. Si la Chine redémarre économiquement, ce qui arrivera dès la fin des confinements Covid-19 qu'on annonce , elle va, dit l'AIE, récupérer 85 % de l'augmentation de la production de gaz GNL. En 2021, la Chine avait importé 108 milliards de m3 de gaz GNL, c'est énorme. C'est simple aussi : les autorités chinoises ont déjà demandé à leur secteur gazier de ne plus revendre du gaz aux Européens et aux autres pays d'Asie en prévision de leur reprise économique

Pour achever ce sombre tableau, il y a les exportations à mener à bien vers l'Ukraine : leurs stocks de 14 milliards de m3 sont quasi vides.

Pour l'AIE, l'Europe manquera, par la porte ou par la fenêtre, pour l'hiver 2023-2023 de 30 milliards de m3 de gaz. Si on arrive à restaurer nos capacités de production d'énergie par les barrages et le nucléaire, le déficit reste encore de 22 milliards de m3. Tous les Etats membres doivent désormais relâcher les vannes (administratives) pour installer ou maintenir toute ce qui est possible d'énergie alternative. Elles doivent aussi jouer le jeu de la solidarité : autant le rappeler pendant que le chancelier allemand est en visite, seul, en Chine.

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(*) Pour en savoir plus : Never Too Early to Prepare for Next Winter: Europe's Gas Balance for 2023-2024, AIE, Nov 2022

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