Un véritable show ! Durant près d'une semaine, Carlos Ghosn, l'ancien patron du groupe Renault-Nissan-Mitsubishi, a assuré le spectacle dans les médias après sa rocambolesque évasion. À la télévision française, le dirigeant a enchaîné pas moins de trois interviews, une à LCI et lors de deux émissions d'infotainment, Quotidien sur TMC et C à vous sur France 5. Conseillé notamment par la communicante Anne Méaux, patronne de l'agence Image 7, Ghosn veut se rendre sympathique auprès du grand public. C'était aussi l'objectif de sa grande conférence de presse organisée à Beyrouth, au Liban. Car, s'il a assuré le spectacle, c'est d'abord pour délivrer « sa » vérité, et se défendre aux yeux du monde. Lors de sa conférence de presse, il a ainsi martelé qu'il était la victime d'une guerre économique entre la France et le Japon, dont le groupe Renault-Nissan-Mitsubishi a été le théâtre depuis 2015. Dans les médias français, cette version a parfois été présentée comme celle d'un grand « complot ».
Sous la plume de nombreux commentateurs, ce terme est utilisé pour disqualifier toute analyse allant dans le sens d'une guerre économique entre le Japon et la France sur ce dossier. C'est pourtant une partie de la réalité. Cela n'a quasiment pas été relevé en France, mais l'évadé Ghosn a clairement dénoncé la décision de l'État français en 2015 d'appliquer la loi Florange au groupe automobile, lui permettant de disposer du droit de vote double. À l'époque, ce projet avait été porté par un certain... Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie. Dans sa volonté d'imposer le système de vote double, l'ancien de chez Rothschild avait choisi la méthode blitzkrieg en décidant dans le plus grand secret une montée provisoire de l'État dans le capital de Renault, lui permettant de disposer de la minorité de blocage.
L'amertume de Nissan
Une semaine avant l'assemblée générale du constructeur du 30 avril 2015, Macron ordonne alors à l'Agence des participations de l'État (APE) d'acheter pour quatorze millions d'actions Renault, soit 4,7 % du capital du groupe automobile. « C'est un vrai coup de banquier d'affaires ! », admire, à l'époque, un grand patron. Un coup de maître. Mis devant le fait accompli, Carlos Ghosn le tout-puissant Renault-Nissan, est finalement contraint de battre en retraite... Il n'est pourtant pas le seul à être furieux de cette décision. Car le Japon l'est aussi. Cette décision unilatérale renforce en effet le sentiment des Japonais de subir une alliance déséquilibrée entre Renault et Nissan. À l'époque, leur analyse est la suivante : si Renault a sauvé Nissan de la faillite en 1999, le groupe japonais a largement dépassé en taille son sauveur, avec des ventes de véhicules deux fois supérieures en 2015.
Cette inquiétude japonaise est redoublée par la volonté des Français de procéder à une fusion entre Renault et Nissan pour éviter que la France perde le contrôle du groupe à terme. C'est dans ces eaux particulièrement difficiles que Carlos Ghosn a dû gouverner l'alliance jusqu'à son arrestation à la fin 2018. Emmanuel Macron avait pourtant assuré dans une tribune parue dans Le Monde, le 25 avril 2015, que « ce dispositif de droits de vote double permettra à nos entreprises de se concentrer sur leur avenir et de faire de vrais choix industriels ». Comme l'ont relevé Bloomberg et Reuters, l'ancien patron a souligné, en se gardant de nommer le Président français, que cet épisode de son exil au Liban avait « laissé une grande amertume ».
« Stabilisation de l'alliance »
Non seulement du côté du management de Nissan, mais aussi du côté du gouvernement japonais. Et c'est à partir de là que les problèmes ont commencé. » Ajoutant : « Une sorte de défiance s'est installée du côté de nos collègues japonais, non seulement vis-à-vis de l'alliance, mais également à mon encontre. Certains de nos amis japonais ont pensé que la seule manière de se débarrasser de l'influence de Renault sur Nissan était de se débarrasser de moi. Malheureusement, ils avaient raison. » Au-delà du cas personnel Ghosn, les tensions entre Japonais et Français amènent ainsi, dès décembre 2015, les différentes parties à conclure un accord dit « de stabilisation de l'alliance ».
Si l'État conserve alors le principe de ses futurs droits de vote double, le groupe Renault s'engage à ne pas interférer dans la gouvernance de son partenaire japonais, notamment en matière de nominations à son conseil d'administration ou sur certaines résolutions qui ne seraient pas approuvées par son conseil. En décembre dernier, Jean-Dominique Senard, président de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi et PDG du groupe Renault, a rappelé dans le Journal du Dimanche qu'au terme de ces accords, les 44 % de Renault dans Nissan ne s'accompagnent d'« aucun pouvoir juridique. C'est une situation baroque, mais je fais avec. » D'autant plus baroque que, lorsqu'il était chez Rothschild, Emmanuel Macron avait conseillé le groupe Renault et Carlos Ghosn...
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