Quand des ministres aspirent à une presse sans pluralisme

POLITISCOPE. La dérive sécuritaire du discours et des actes, avec la loi dite de "sécurité globale", inquiète sur la défense des libertés fondamentales. Dont celle de la presse, un contre-pouvoir dont l'Etat devrait éviter de se mêler sauf à ressembler à ces régimes "illibéraux" dont le chef de l'Etat se dit l'antithèse, tout en faisant la même chose. Face à la fronde, le pouvoir semble d'ailleurs renoncer... jusqu'à la prochaine fois ?
(Crédits : GONZALO FUENTES)

La macronie rêve-t-elle de disposer de sa Pravda ? Rappelez-vous ce journal soviétique, la voix du Parti communiste entre 1918 et 1991. Pravda en russe signifie Vérité. Dans les régimes totalitaires, le sens des mots est totalement perverti, souvent utilisé à contre sens. Une situation décrite avec une terrible justesse par le britannique George Orwell dans son roman d'anticipation 1984 qui avait surnommé le ministère de la propagande le Ministère de la Vérité.

Certes, on n'en est pas encore là sous la macronie, quoique... Plusieurs déclarations récentes de ministres devraient inquiéter tout démocrate qui se respecte. Mercredi, devant les sénateurs, le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a ainsi confirmé son intention de vouloir modifier « la loi de 1881 » sur la liberté de la presse, afin d'aboutir à « l'éviction de ceux qui ne sont pas journalistes et qui ne méritent pas de profiter de cette loi [...] et qui viennent s'y lover ». Cette déclaration instaure le soupçon en préambule. Mais surtout : de quel droit l'État aurait-il son mot à dire sur la qualité des journalistes ?

Pour le gouvernement, cette nouvelle affirmation tombe au plus mal alors que les discussions à l'Assemblée de la proposition de loi « sécurité globale » prennent un tour de plus en plus polémique, et notamment l'article 24 qui vise à interdire la diffusion de toute image de policiers ou de tous éléments permettant de les identifier. À tel point que le doute commence à s'immiscer parmi les plus proches soutiens du président de la République. Ainsi, le groupe Modem a d'ores-et-déjà annoncé qu'il voterait contre cet article. À l'inverse, d'autres députés, LR comme LREM, semblent boire les paroles du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, comme celles de son collègue ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, sans aucune prise de distance. Une fois n'est pas coutume, les deux compères jouent donc la même partition.

C'est ainsi qu'on a pu voir la députée LREM Valérie Gomez Bassac présenter sur la Chaine parlementaire cette proposition de loi comme « un service à rendre aux journalistes » : « Il ne faut pas la voir comme une atteinte à la liberté d'informer. C'est une protection, un service, pour les journalistes qui font vraiment leur travail, qui donnent de la vraie information. » Comme Dupond-Moretti, cette députée considère donc qu'il faut trier entre les « bons » et les « mauvais » journalistes. Sur quels critères ? Selon le bon vouloir du pouvoir comme du temps des lettres de cachets sous l'Ancien Régime ? Comme Donald Trump qui présente toute information qui ne lui convient pas de fake news ?

En 2017, la macronie se présentait comme un rempart aux régimes autoritaires. Manifestement, trois ans plus tard, la macronie emprunte sans gêne leurs accents illibéraux. Mercredi, Gérald Darmanin se permettait ainsi d'expliquer qu'il était nécessaire aux journalistes souhaitant couvrir une manifestation de se tourner au préalable vers les autorités : « Je rappelle que si des journalistes couvrent des manifestations, conformément au schéma de maintien de l'ordre, ils doivent se rapprocher des autorités, en l'occurrence du préfet du département (...), pour se signaler, pour être protégés également par les forces de l'ordre, pour pouvoir être distingués, pour pouvoir rendre compte [de leur] travail de journaliste dans ces manifestations ». Quelques instants auparavant, plusieurs journalistes, dont un reporter de France 3 Ile-de-France, venaient d'ailleurs d'être relâchés après plus de douze heures de garde-à-vue dans les commissariats parisiens, pour avoir couvert la manifestation organisée devant l'Assemblée Nationale contre la loi sécurité globale, à l'appel de la Ligue des Droits de l'Homme et de plusieurs syndicats de journalistes.  
Nous assistons donc à une attaque sans précédent du pouvoir politique contre l'autonomie d'une profession pourtant acquise de haute lutte. Il est urgent de se replonger dans les écrits de l'historien Christian Delaporte, spécialiste de la presse, qui a écrit un passionnant ouvrage Les Journalistes en France (1880-1950). Naissance et construction d'une profession, aux éditions du Seuil. En effet, le journalisme en France a toujours été une profession ouverte.

Est journaliste, celle ou celui qui tire principalement ses revenus d'une entreprise de presse. Ce principe d'autonomie financière (grandement menacé aujourd'hui par la précarisation du métier) avait permis dans les années 1920 1930 d'exclure de la profession spéculateurs, financiers, communicants et hauts fonctionnaires, afin d'empêcher toute manipulation de l'intérieur. Manière de faire le ménage après le scandale financier du canal de Panama à la fin du XIXème siècle, dans lequel la presse avait joué un rôle néfaste, et le fameux « bourrage de crâne » de la Grande Guerre de 14-18.

Car l'information n'est pas une marchandise comme une autre. Et le journalisme doit à la fois se battre pour s'autonomiser de tous les pouvoirs, politique, comme économique. Albert Camus, cofondateur du journal Combat après la Seconde guerre mondiale expliquait ainsi que le plus grand danger du journalisme était constitué par les « puissances d'argent ». Soixante-dix ans plus tard, 9 milliardaires contrôlent 90 % de la presse d'information générale. Mais c'est aussi la question de la pression de l'audience et du public : si l'information dite sérieuse est sélectionnée et produite avec la seule obsession de vendre, ce sont alors les mêmes thèmes qui reviennent. L'uniformité s'ajoute à l'effet de répétition et le pluralisme est en péril. La censure (ou l'autocensure) politique n'est donc pas le seul danger pour le journalisme.

Face aux critiques, le gouvernement semble désormais vouloir rétropédaler. Alors que plusieurs organisations appellent à manifester de nouveau ce samedi, l'entourage Gérald Darmanin a annoncé que le ministre allait proposer un amendement « garantissant la liberté de la presse ». Manière de reconnaitre que dans sa formulation actuelle, indépendamment des positions des uns et des autres, l'article 24 pose un réel problème juridique. Quelques heures après, c'est au tour de Matignon de publier un communiqué pour affirmer « la volonté du Gouvernement de préserver l'équilibre du texte et de lever toute ambiguïté sur son intention de garantir le respect des libertés publiques, notamment la liberté de la presse et la liberté d'expression, tout en protégeant mieux celles et ceux, policiers et gendarmes, qui assurent la protection de la population ». Décidément, l'expression du « en même temps » montre une nouvelle fois ses limites.

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Commentaires 23
à écrit le 22/11/2020 à 9:28
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La liberté d’expression ne concerne que la gauche et l’extrême gauche. Les autres tendances sont écartées des médias.

à écrit le 21/11/2020 à 18:19
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Pendant ce temps : Les syndicats lycéens ont dénoncé samedi 21 novembre une « propagande d’état » et une tentative du ministère de l’éducation d’étouffer la contestation des jeunes après de nouvelles accusations visant l’organisation progouverneme...

le 22/11/2020 à 9:33
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Incroyable: un ministre de Macron qui agirait comme Mélenchon, les verts ou le PS? Mais où va-t-on? Si la pratique du mensonge et des contres vérités passes de média part à LREM... On peut dire que c’est une victoire de Plenelle. Ses pratiques auron...

à écrit le 21/11/2020 à 17:39
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Pendant ce temps : Sleeping Giants, collectif citoyen de lutte contre le financement du discours de haine, a annoncé jeudi que Décathlon a retiré ses publicités de CNews pour Noël. La raison? « Parce que l'orientation délétère de CNews ne peut p...

à écrit le 21/11/2020 à 15:02
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Bien sur la France n’est pas la Chine n’est pas Cuba n’est pas la Russie ou la Turquie mais nous nous éloignons de ce qui a fait de la France un pays de liberté de l’expression. La France perd ce droit de pouvoir être « une grande gueule » . La Franc...

le 21/11/2020 à 17:27
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"Oui la France dérive dangereusement vers l’autocratie". Effectivement, je rajouterai aussi la commission Européenne .

le 22/11/2020 à 13:29
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Détrompez vous, la France est bien devenue comme la Russie et la Turquie... prochaine étape la Chine ! Macron et sa clique ont dans les cartons un passeport social "à la française" et, après la fin de la liberté d'information, la liberté de réunion...

à écrit le 21/11/2020 à 13:46
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réponse à matins calmes : vous avez voté et il me semble que le pire est à l'oeuvre... politique ultralibérale et violences sociales, lois liberticides what's more ? la rue, la rue, la rue, nous n'étions que 300 ce matin à limoges mais où étaient l...

à écrit le 21/11/2020 à 8:29
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Pendant ce temps : « Donc il y a deux solutions, ou vous partez, ou je vous interpelle », s'exclame un policier devant la caméra du reporter indépendant Clément Lanot. La scène se déroule le 17 novembre, lors de la dispersion sous tension d'une ma...

à écrit le 20/11/2020 à 13:44
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le voyage des ministres a travers la france n'est pas essentiel c'est aussi le moment de faire des economies remplacer ces voyages quasi quotidien par le tele travail et la Visio conference mais je craint que c'est personnes qui nous ordonne le c...

le 21/11/2020 à 10:31
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Vu le nombre de bétises qu'ils sortent et comme l'un annonce a 8h quelque chose et le second 5 minutes après le contraire, le plus simple serait de tous les licencier, ils servent à rien a part coûter de l'argent publique inutilement...

à écrit le 20/11/2020 à 13:44
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le voyage des ministres a travers la france n'est pas essentiel c'est aussi le moment de faire des economies remplacer ces voyages quasi quotidien par le tele travail et la Visio conference mais je craint que c'est personnes qui nous ordonne le c...

à écrit le 20/11/2020 à 12:55
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C'est simple LREM veut contrôler le pays par le biais de ce virus .Jamais ,on a eu autant d'atteinte à notre liberté sous couvert de nous protéger ,bien sur.

à écrit le 20/11/2020 à 12:02
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La liberté de la presse n'est pas discutable. Ce qui est discutable c'est tout ce qui se s'agglutine sous le label presse, ces intervenants dont on ne sait d'où ils surgissent dont on ne connaît pas leur légitimité à parler d'un sujet, enfin des ...

à écrit le 20/11/2020 à 10:17
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La liberté d'expression, c'est uniquement eux qui savent l'utiliser. Il faut que les gueux se repentent et sachent rester à leur place : celle où ils doivent applaudir et agiter de petits drapeaux frénétiquement...

à écrit le 20/11/2020 à 10:04
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"Quand des ministres aspirent à une presse sans pluralisme". C'est l'espoir de tous les pays totalitaires. Notons tout de même que tous les groupes de médias sont privés, soumis à la publicité ou sous l'influence du pouvoir.

à écrit le 20/11/2020 à 9:56
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La macronie marche décidément sur la tête. Heurter, les médias qu'ils l'ont porter au pouvoir ? C'est le signe d'avoir d'autres relais pour conserver ce pouvoir.

à écrit le 20/11/2020 à 9:50
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On préfère agir sur les conséquences que sur les causes, et une des causes c'est la perte de crédibilité des médias dit classique, ainsi que la mort sociale et médiatique des gens qui sont contre le discours dominant, quand ce n'est pas les condamnat...

à écrit le 20/11/2020 à 9:20
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Pas grave, pendant ce temps ,les chaînes de télé ,ce sont concerté et on décidé de nous occuper avec le procès sur le couple daval ,ça c'est important .

à écrit le 20/11/2020 à 8:39
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le pen ou macron : même politique, aucune raison d'aller voter à l'avenir, avenir vert de gris.

le 21/11/2020 à 3:41
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Si tous les citoyens refusent d'aller voter, vous aurez droit au pire. Avec 20% micron en est un exemple. Faudra pas vous plaindre. En 22 votez mieux.

le 21/11/2020 à 15:08
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Cst qui mieux une autre étoile qui voit la lumière au bout du tunnel, un autre autocrate. En campagne tout est beau au palais tout n'est plus que mensonges.

à écrit le 20/11/2020 à 8:36
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Merci beaucoup pour le fou rire du matin ! Associer pluralisme et journalisme, il faut l'oser quand même hein ! :D A moins bien sûr que vous ne parliez de journaux du style "L'age de faire" ou bien "Fakir"mais ça m'étonnerait je suis tranquil...

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