Quelques heures après l'annonce du reconfinement national par le président Macron, un vent de panique a semblé s'emparer du pays. En région parisienne, dès jeudi après midi, plus de 700 km de bouchons se sont formés. Même scénario dans la plupart des grandes métropoles françaises. Les heureux Français disposant d'une maison secondaire n'ont pas hésité une seule seconde, comme les étudiants qui ont préféré rentrer dans leurs familles respectives. Les gares, également, étaient prises d'assaut. Dans les rues de Paris, les accrochages entre automobilistes, motards, cyclistes et piétons se sont multipliés. L'ambiance semblait comme irréelle, mais c'était pourtant bien la réalité. « C'est l'exode », écrivent alors plusieurs twittos.
Devant une telle « chienlit », les images de films catastrophes nous reviennent en mémoire. On pense aussi à la série d'anticipation britannique coproduite par HBO "Years and years", qui dépeint un Royaume-Uni dans un contexte post Brexit, confronté au populisme, aux bouleversements technologiques et climatiques. Une dystopie qui raisonne étrangement avec ce qui se déroule dans le monde entier depuis le début 2020. Pour ne rien arranger, le terrorisme ne cesse de frapper durement la France... Un cauchemar éveillé.
La semaine dernière, le gouvernement se voulait pourtant encore rassurant. Les autorités ont même encouragé les Français à prendre leurs vacances de la Toussaint. Le mantra du pouvoir depuis juin dernier était d'ailleurs d'éviter tout nouveau reconfinement. Emmanuel Macron espérait il y a encore quelques semaines « le retour des jours heureux ». Lors de sa dernière allocution, le chef de l'Etat persiste à souhaiter la perspective d'une « résilience » pour les Français face aux « épreuves ». On en est loin. Pour les Français, notamment les commerçants et les entrepreneurs, ce nouveau confinement est une douche froide, une véritable catastrophe. Malgré toutes les aides et autres dispositifs d'urgence annoncés par le gouvernement, qui en appelle à la mansuétude des banques, ils sont nombreux à ne tenir qu'à un fil. Les trésoreries ont déjà énormément souffert lors du premier confinement, avec le risque que les défaillances d'entreprises se multiplient dans les prochains mois.
Car avec ce nouveau confinement, comment se projeter dans l'avenir, retrouver la confiance si nécessaire ? Ce qui frappe dans cette décision, c'est aussi son impréparation. Comme si le président s'était retrouvé acculé une nouvelle fois face à la « brutalité » de l'épidémie. De nombreux épidémiologistes et infectiologues avaient pourtant alerté les pouvoirs publics ces dernières semaines devant le risque d'une reprise exponentielle de l'épidémie de Covid. Fin septembre, les prix Nobel d'économie 2019 Abhijit Banerjee et Esther Duflo recommandaient la mise en place d'un confinement de tout le territoire du 1er au 20 décembre, pour permettre aux Français de retrouver leur famille lors des fêtes de fin d'année. A l'époque, cette proposition fut reçue dans une certaine incrédulité générale.
Il faudra attendre mardi dernier pour que le ton politique et médiatique sur l'épidémie ne change. En quelques heures, on est ainsi passé de la perspective d'un simple élargissement du couvre-feu à un reconfinement national et généralisé. Une précipitation soudaine qui n'est pas sans rappeler celle que l'on a déjà connue en mars dernier. Résultat, au sein même de la majorité, ils étaient peu nombreux à être dans la confidence de la décision présidentielle : « C'est le secret le mieux gardé de toute la République », nous répondait un macroniste, désemparé quelques heures avant l'intervention présidentielle. Les chaînes d'info commençaient pourtant à préparer l'opinion en évoquant les différents scénarios envisagés par l'Elysée.
Dans son intervention, pour justifier sa décision, le président a évoqué le risque de « 400.000 morts », un chiffre utilisé pour faire peur : « Nous pourrions - certains le préconisent - ne rien faire, assumer de laisser le virus circuler. C'est ce qu'on appelle la recherche de "l'immunité collective" c'est-à-dire lorsque 50, 60% de la population a été contaminée [et que la circulation du virus commence à ralentir, ndlr]. Le Conseil scientifique a évalué les conséquences d'une telle option. Elles sont implacables : à très court terme cela signifie le tri entre les patients à l'hôpital. Et d'ici quelques mois c'est au moins 400.000 morts supplémentaires à déplorer. Jamais la France n'adoptera cette stratégie. Jamais nous ne laisserons mourir des centaines de milliers de nos citoyens, ce ne sont pas nos valeurs, ça n'est pas non plus notre intérêt ». Malgré ces paroles présidentielles, les forces économiques, et leurs représentants, ont plutôt l'impression que le gouvernement renvoie dos à dos santé et économie en guise de stratégie.
À la décharge du pouvoir, la responsabilité de cette défaite face au virus est collective. Depuis le dernier confinement, l'insouciance a prévalu chez nombre de Français. Les gestes barrières sont trop souvent restés facultatifs. Les mariages, fêtes, réunions de famille se sont multipliés durant tout l'été. Le soir même du dernier jour avant confinement, les Parisiens essayaient de profiter encore pour quelques heures des terrasses de la capitale... Reste que dans le même temps, nos structures hospitalières n'ont toujours pas la capacité de résister à toute nouvelle vague de la covid19. Et on parle déjà d'une troisième vague au printemps... La dystopie est devenue réalité.
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