La « Grande Aquitaine » face au défi de préserver la proximité

[ #Regionales 2015 ] La future plus grande région de France va-t-elle se noyer dans des kilomètres carrés en trop ? Peut-elle réussir à préserver la décentralisation ? Au-delà de la compatibilité entre des régions agricoles, ces questions sont parmi celles qui mobilisent les états-majors sortants.
« Il est vrai que Bordeaux Métropole peut imaginer son avenir sans les autres, car c'est une grande métropole. » jauge Jean-François Macaire, président de la Région Poitou-Charentes.

La fusion Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes va accoucher de la plus grande région de France, qui, avec une superficie de 84 060 km2, sera plus étendue que l'Autriche (83.878 km2), pays avec lequel on la compare souvent.

En attendant qu'elle ait un nom, cette future région a été administrativement siglée ALPC. Plus sobre et de meilleur goût que le « Apoil » (Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin) qui a circulé un temps sur les réseaux sociaux. La vitesse à laquelle va s'appliquer la réforme territoriale et l'ampleur de la fusion mettent sous tension le Ceser (Conseil  économique et social régional) d'Aquitaine.

Luc Pabœuf, président de l'assemblée consultative, dénonce ainsi une mécanique qui pourrait réduire en charpie la représentation des socioprofessionnels auprès des exécutifs régionaux.

« Au fond, ce n'est pas notre existence de Ceser qui est menacée... C'est la société civile organisée, en tant qu'acteur de la politique régionale, qui l'est », a-t-il ainsi averti.

Une région riche, superpuissance agricole

Un pessimisme qui n'est pas celui des présidents des trois régions qui, conscients de l'énormité des enjeux, ont lancé une sorte de procédure d'urgence matérialisée en juin par l'adoption d'une plateforme d'action commune. Rapprochement des outils des services d'appui, comme l'informatique, harmonisation des procédures... les sujets à préparer sont nombreux.

« Il faut que tout soit harmonisé au 1er janvier 2016, il est important que les régions qui fusionnent puissent continuer à travailler », souligne Alain Rousset, président de la Région Aquitaine et de l'Association des Régions de France (ARF).

Avec un produit intérieur brut de 158,3 milliards d'euros, ALPC va s'imposer comme la troisième région la plus riche du pays, derrière l'Île-de-France et Auvergne Rhône-Alpes, malgré certains territoires appauvris.

Grand écart

Délimitée du nord au sud par Les Pays de la Loire, Centre, Auvergne Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées, et à l'ouest par l'océan Atlantique, la future région va faire le grand écart entre la Garonne au sud et le Marais poitevin au nord, les Pyrénées et le Massif central. L'ALPC, que certains élus se plaisent à qualifier de Grande Aquitaine, sera une superpuissance agricole, en tant que premier producteur national de maïs, melons, huîtres, moules, palmipèdes à foie gras (canards et oies), caprins, vin blanc (pour le cognac) et vin rouge de qualité.

Mais avec des distances dépassant 500 km entre ses points les plus éloignés, elle n'aura pas la partie facile.

 « Si on avait eu le choix, il aurait fallu faire entrer les deux Charentes et le Gers en Aquitaine, et là on était bien », regrette un élu aquitain.

Cette grande taille ne risque pas simplement de poser des problèmes de mobilité aux habitants, mais aussi de compliquer la projection des pôles de compétitivité dans ce nouvel espace.

Des pôles très étirés, des distances dissuasives ?

Les élus veulent croire que les pôles de compétitivité comme Aerospace Valley (aérospatial et défense) ou Agri Sud-Ouest Innovation (agriculture, agroalimentaire) ne seront pas affectés par une réforme qui va pourtant éloigner les deux régions dont ils dépendent : Aquitaine et Midi-Pyrénées. En début d'année, Agnès Paillard, présidente (aquitaine) d'Aerospace Valley, interrogée à ce sujet, ne cachait pas qu'il y aurait sûrement des difficultés, en évoquant le pôle aéronautique Aéroteam en Poitou-Charentes.

« À terme, Aéroteam pourrait sans doute rejoindre Aerospace Valley mais il y a un problème de taille. Si l'on perd le contact physique avec ses interlocuteurs, cela ne fonctionne plus, et la distance à parcourir entre le nord de Poitou-Charentes et le sud de Midi-Pyrénées est dissuasive », estimait-elle alors.

L'autre inconnue concerne la trajectoire que suivront les super-métropoles créées par la loi de Modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam).

L'éternel retour de l'ogre bordelais

Dans la future région ALPC, Bordeaux est la seule métropole de ce type.

« Demain, il est vrai que Bordeaux Métropole peut imaginer son avenir sans les autres, car c'est une grande métropole. Jusqu'ici la Région Aquitaine a répondu à ce risque par une politique d'équilibre entre les territoires », jauge Jean-François Macaire, président de la Région Poitou-Charentes.

S'il oublie le rôle de bouclier des territoires ruraux face à Bordeaux revendiqué pendant des décennies par le Conseil général de la Gironde, c'est qu'il n'a pas encore pris la mesure de la crainte qu'inspire aux Girondins des campagnes l'hégémonisme de Bordeaux.

Au point qu'il a fallu que le gouvernement exerce une forte pression financière au printemps dernier, puis fasse promulguer le décret du 8 juillet, qui élimine du jeu les CCI de moins de 10 .000 ressortissants, pour contraindre les patrons de Libourne, après des années de guerre larvée, à fusionner leur chambre de commerce et d'industrie avec celle de Bordeaux, située à une trentaine de kilomètres... Acte solennel voté en assemblée générale le 8 octobre dernier.

Si ce nouveau risque de centralisation est plus réel que jamais, le thème de la menace bordelaise reste aussi un plat traditionnel très prisé en Aquitaine.

Aquitaine

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« La capitale thématique d'une grande région »

Une grande région économiquement plus puissante, avec des capitales thématiques, c'est un rêve fédérateur en Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes.

La course à la taille critique des régions est justifiée par de nombreux élus, qui prennent pour exemple les länder allemands, États constituant la République fédérale d'Allemagne. Une sensibilité politique partagée par Alain Rousset, président

de la Région Aquitaine, de l'Association des Régions de France (ARF), et tête de liste PS aux Régionales. Le fédéralisme serait-il devenu à la mode dans l'Hexagone ?

« La mise à l'échelle cohérente de la région est un grand pas en avant pour l'efficacité des politiques économiques. Mais si je fais régulièrement référence aux länder allemands, ce n'est pas pour revendiquer une fédéralisation de la République française, mais bien pour mettre en exergue leur capacité d'intervention dans le champ économique. Les Länder investissent sept fois plus que les régions françaises dans leurs économies et leurs entreprises » éclaire Alain Rousset.

Si les élus de Charente et Charente-Maritime ont fait des pieds et des mains, en Poitou-Charentes, pour rejoindre l'Aquitaine, les Deux-Sèvres et la Vienne ont suivi le mouvement. Car pour lancer cette nouvelle machine territoriale, il va falloir couper des têtes, priver Limoges et Poitiers de leur statut de capitale régionale.


« Pour conserver l'attractivité de Poitiers, il faut que ce soit un pôle de compétence administrative. Nous avons conservé trois domaines clés : l'environnement, avec le siège de la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) — dans l'attente de la confirmation de l'arrivée de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) —, puis l'aménagement du territoire, avec l'Institut national des statistiques et d'études économiques (Insee), et l'éducation, avec en particulier le Cned (Centre national d'éducation à distance). Nous étions la capitale administrative d'une petite région, nous allons devenir la capitale thématique d'une grande région » revendique Jean-François Macaire, président (PS) de la Région Poitou-Charentes.

Cette conservation de compétences administratives suffisamment fortes s'est soldée par de sérieux accrochages entre les élus limougeauds et l'État, lors de l'installation de la future Draaf (Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt).

Finalement le calme est revenu.

« Il était inimaginable que nous n'ayons pas la direction de la Draaf. Il ne faut pas croire non plus que les services de l'État vont disparaître de Limoges et du Limousin. Nous parlons bien des états-majors de ces services, et seulement de cela », souligne Gérard Vandenbroucke, président (PS) de la Région Limousin, qui attend l'arrivée du centre de traitement des amendes, avec plusieurs centaines d'agents, entre 2016 et  2018.

La question qui obsède Alain Rousset, celle des moyens financiers dont disposeront les nouveaux exécutifs régionaux, reste posée.

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Commentaire 1
à écrit le 19/10/2015 à 14:45
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Poser la question: "La future plus grande région de France va-t-elle se noyer dans des kilomètres carrés en trop" c'est y répondre! On nous annonce qu'il faut créer des grandes régions pour exister en Europe en réalité c'est un moyen de plus pour l'E...

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