Comment le Brexit a challengé la logistique des Hauts-de-France

Incontestablement, les Hauts-de-France possèdent un savoir-faire historique dans le trafic transmanche, Calais et Douvres étant le plus court chemin pour relier l'Ile et le continent. Reste que le Brexit a sérieusement challengé la région, sa logistique, ses chargeurs et ses transporteurs. Bilan à neuf mois d'une année pas comme les autres.
L'Angleterre « importe désormais pour la première fois davantage de biens de pays hors UE qu'en provenance du marché unique européen », selon une étude du pôle d'excellence Euralogistic.
L'Angleterre « importe désormais pour la première fois davantage de biens de pays hors UE qu'en provenance du marché unique européen », selon une étude du pôle d'excellence Euralogistic. (Crédits : Fédération Norlink)

« En tant qu'acteur proposant une liaison avec le Royaume-Uni, l'actualité du Brexit nous a donné un bon exercice », s'est amusé Benoit Rochet, directeur général du Port de Calais-Boulogne, lors d'un afterwork de la fédération Norlink, qui a réuni les acteurs de la supply chain nordiste dans le puits de Sangatte, cœur historique du tunnel sous la Manche.

Un exercice grandeur nature qui a été noté en direct par les entreprises utilisatrices. Les chargeurs des Hauts-de-France, interrogés par le Pôle d'excellence Euralogistic, n'ont évidemment pas tous été touchés de la même manière. Par exemple, Doublet, fabricant de textile industriel spécialisé notamment dans les drapeaux, a eu du mal à trouver un acheminement de petits colis à prix abordables : ses charges fixes de transport vers le Royaume-Uni ont augmenté en moyenne de 110 euros sur des factures de 500 à 1.000 euros.

Difficultés multiples

De son côté, TRB, fabricant de solutions réfractaires implanté à Nesles dans le Pas-de-Calais, n'a tout simplement pas trouvé de transporteur pour livrer à temps une commande et avec le bon document ! Manque de transporteurs, hausse des coûts d'acheminement, allongement dramatique des délais de livraison, formalités administratives et douanières chronophages : le bilan à chaud des entreprises ne fait pas rêver.

Sans oublier qu'il faut compter avec les changements à venir en matière de réglementations des produits chimiques et les frais de douanes et de TVA, appliqués dans le cadre de la future législation européenne pour les produits à faible valeur ajoutée entrant dans l'Union européenne...

A l'annonce du Brexit, les Hauts-de-France n'étaient pas pour autant restés les bras croisés. Près de 700 agents avaient été embauchés par les douanes dans l'optique de conserver une circulation fluide entre le Royaume-Uni et la France. Au total, 40 millions d'euros ont été investis dans les infrastructures des ports de Dunkerque et Calais. Un système de frontière intelligente a été mis en place, permettant aux services français de réaliser leurs contrôles sur la base d'une analyse de risques ciblée.

Pour quels résultats aujourd'hui ? Les effets du Brexit ont été flagrants dès le premier mois de son entrée en vigueur : -41% pour les exportations du Royaume-Uni vers l'Union européenne et -29% pour les achats britanniques de produits européens en janvier 2021, selon l'Office for National Statistics (ONS). Voilà pour la photographie de départ.

Phénomène inédit

Une étude du pôle d'excellence Euralogistic souligne que depuis janvier, en moyenne, « on dénombre 40% de retours à vide en transport de marchandises au départ du Royaume-Uni ». Surtout, l'Angleterre « importe désormais pour la première fois davantage de biens de pays hors UE (53,2 milliards de livres sterlings) qu'en provenance du marché unique européen (50,6 milliards de livres sterlings) ». Un phénomène inédit depuis la première publication de ces données en 1997.

Face à cette nouvelle donne, la concurrence belge est sur le pont. Le port d'Anvers a depuis quadrillé le terrain en renforçant ses liaisons maritimes avec tous les principaux ports du Royaume-Uni et de l'Irlande. Le port flamand a un avantage de taille : avoir toujours accueilli du fret venu des quatre coins du monde. Dès les prémices du Brexit, il a embauché près de 400 personnes pour faciliter les formalités douanières. Il travaille actuellement à la mise en place d'un guichet Brexit où les entreprises pourront accomplir toutes les formalités en un seul endroit.

Il faut dire que la part de gâteau du trafic du "détroit" a toujours été jalousée. Avant la crise, 70% des échanges commerciaux entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne passaient par ce détroit du Pas-de-Calais, sorte de "triangle d'or" entre le port de Calais, Dunkerque et le Tunnel sous la Manche.

Les opérateurs investissent

Cet avantage au "transit time" le plus court perdurera-t-il dans la durée ? Impossible de le savoir tant la conjoncture implique de multiples facteurs, comme la hausse du prix des matières premières, le repositionnement des supply chain lointaines, la rareté de certains produits manufacturés...

En tout cas, les opérateurs de transport maritime continuent de croire dans les capacités de développement du transmanche. A Calais, P&O Ferries a mis en place un cinquième navire pour la liaison vers Douvres. « En 2021, nous avons augmenté notre flotte passant de 3 à 5 navires », soulignait Peter Hebblethwaite, manager des navires mixtes (fret et passagers), lors de l'inauguration des nouvelles infrastructures du Port de Calais, permettant d'accueillir de plus gros navires.

Arrivée en 2012 à Calais, la compagnie maritime DFDS est, elle aussi, passée de 15 à 34 départs quotidiens du port de Calais. Avec trois bateaux dont un nouveau capable d'emporter 130 unités de fret (contre 85 auparavant). Dans le cadre de l'essor du marché du fret non-accompagné lié notamment à la crise sanitaire, DFDS a également lancé officiellement en juillet dernier l'ouverture de la ligne Calais-Sheerness, pour rallier le nord du Kent en Angleterre.

Une nouvelle compagnie, Irish Ferries, est même arrivée en juin à Calais pour exploiter les liaisons vers le Royaume-Uni mais surtout l'Irlande (permettant pour l'instant de contourner toutes les démarches administratives en bénéficiant du « pont terrestre » avec le Royaume-Uni). Le port de Dunkerque a, lui, inauguré une nouvelle connexion avec Rosslare, pour débarquer dans le Sud de l'Irlande.

Toujours à Calais, une nouvelle compagnie calaisienne, baptisée Blue Channel Line, dédiée au fret non-accompagné, a annoncé une nouvelle ligne maritime bas carbone (économisant de moins 20 à 50%) vers Tilbury, à l'embouchure de la Tamise.

Fédération Norlink

Tous ces acteurs ont désormais vocation à adopter une stratégie collective avec les chargeurs et les gestionnaires d'infrastructures et de transports, sous l'égide du mouvement Norlink, impulsé dès 2017 par la CCI Hauts-de-France. Devenu une fédération en 2019, le mouvement rassemble aujourd'hui les ports (dont intérieurs), le fret ferroviaire, l'offre fluviale, la logistique via le pôle d'excellence Euralogistic et même la plaisance.

« Grâce à notre centaine d'adhérents, nous devons désormais passer à la vitesse supérieure, en apportant plus de services pour faire de cette région un hub portuaire et logistique de premier plan sur le range Nord pour les années à venir », a résumé Philippe Hourdain, président de la CCI Hauts-de-France, lors de l'afterwork annuel de la fédération Norlink.

Pour ne pas laisser filer l'opportunité Brexit, la Fédération Norlink a justement lancé une réflexion sur la création de nouvelles offres de service, avec la mise en place d'un observatoire des flux transmanches, au service d'une stratégie commune régionale. Norlink veut également promouvoir le transport ferré massifié, via une nouvelle solution d'accompagnement baptisée « SOS Multimodal ».

Le port de Calais peut en effet compter sur ses trois autoroutes ferroviaires, avec l'opérateur VIIA, arrivé en 2015, qui propose des liaisons vers Perpignan, l'Italie et l'Est de la France. En juin dernier, le spécialiste allemand du transport combiné, CargoBeamer, a mis en service son nouveau terminal, pour également relier Perpignan mais aussi Ashford dans le sud de l'Angleterre, les Alpes italiennes et dans un avenir proche l'Allemagne et les routes de la soie vers la Chine. Un appel à manifestation d'intérêt a même été lancé pour relier Sète à Calais et mettre en place le dénommé train des primeurs.

Bataille de l'hinterland

Surtout, la région Hauts-de-France s'est mise en marche pour tenter de gagner la stratégique bataille de l'hinterland (mot désignant la zone de l'arrière-pays pouvant être desservi d'un point de vue logistique). Elle attend notamment un énorme effet de levier du Canal Seine Nord, dont le chantier vient tout juste de démarrer. « Nous sommes une région ferroviaire, historiquement très bien maillée. Nous possédons donc aujourd'hui beaucoup d'atouts pour conquérir cet hinterland », a conclu Michel Boudoussier, directeur général adjoint de Getlink (Eurotunnel) et président de Norlink Ferroviaire.

Si le transport de marchandises par voie ferrée ne pèse aujourd'hui que pour une infime partie dans les flux totaux, la réponse qu'il apporte à la décarbonation de l'économie mais également à la pénurie de conducteurs routiers pourra s'avérer salvatrice. Reste à réussir correctement ce nouvel exercice.

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Commentaires 2
à écrit le 11/10/2021 à 8:16
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Ben les remises en question font toujours du bien, je ne vous dis pas avec un frexit ce qu'on y gagnerait !

à écrit le 09/10/2021 à 7:58
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'a challengé '. Erreur, cela s'écrit chat-langé, ou chaland G ou châle en G, ou défié. Je préfère le dernier. C'est plus court est moins ringard.

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