A Tallinn, un écosystème international au service de l’innovation urbaine

Nous retrouvons cette semaine la première chronique du Pr. Carlos Moreno. Il revient sur sa participation au 38ème Congrès annuel de l’Association internationale pour le développement urbain (INTA) à Tallinn, ville pionnière en matière d'innovation...
Professeur des Universités, Carlos Moreno est spécialiste du contrôle intelligent des systèmes complexes.

Le 38e congrès annuel de l'Association internationale pour le développement urbain (INTA), qui s'est tenu dans la capitale d'Estonie, à Tallinn, a réuni 169 personnes venant de 25 pays différents. Son fil conducteur était la construction d'une ville de demain qui soit plus vivable, plus équitable et plus inclusive. Cette vision reposait sur trois axes :


- La technologie, et notamment les solutions qu'apportent les Smart Cities au développement urbain, afin de le rendre plus durable et intelligent.
- Le social, et plus particulièrement la place qu'occupe le citoyen dans sa ville, non pas seulement en tant que client ou consommateur mais aussi en tant qu'acteur et coproducteur de l'avenir de sa ville.
- Le territorial qui porte sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales ainsi que sur les relations qu'entretiennent les villes entre elles. La métropolisation croissante du territoire et les enjeux de gouvernance furent également traités.

Un modèle urbain inédit

Nul doute que Tallinn est une capitale exceptionnelle qui mérite d'être visitée par tous ceux qui s'intéressent à la ville de demain. L'ensemble de la communauté internationale a salué Tallinn pour sa démarche innovante qui associe développement urbain, protection de l'environnement et progrès technologique. Le tout au service du citoyen. Récompensée par de nombreux prix, Tallinn a été capitale européenne da la culture en 2011. La ville est également à l'origine du prix de la capitale verte de l'Europe qui est décerné chaque année par la Commission européenne.

Mais ce qui fait la particularité de Tallinn, c'est surtout la mise en place d'un modèle économique d'intelligence urbaine dans le domaine de la mobilité. Suite à un référendum local, la décision fut prise de rendre les transports en commun gratuits pour les habitants de la ville. Deux ans plus tard, le défi a été gagné puisque le nombre d'habitants a augmenté tandis que le nombre de voitures sur les routes a considérablement baissé. Au delà de l'impact immédiat pour l'environnement, cette mesure a également eu des conséquences à plus long terme puisqu'elle a contribué à la revitalisation de l'économie locale et à l'augmentation des espaces verts.


Mettre le digital au service des citoyens

Les innovations qui ont vu le jour à Tallinn s'inscrivent dans une logique de transformation plus large, actuellement mis en oeuvre à l'échelle nationale. L'Estonie, petit pays européen qui fait habituellement peu parler de lui, mise sur un gouvernement d'un genre nouveau : l'e-gouvernement. Il s'agit de mettre le digital au service des citoyens, en l'intégrant dans leur quotidien de manière à leur faciliter certaines tâches administratives. Par exemple, l'Estonie est le seul pays où les automobilistes n'ont plus l'obligation de montrer leur permis de conduire en cas de contrôle. Il leur suffit de fournir leur numéro d'identification électronique aux autorités qui accèdent ainsi à l'ensemble de leur documentation officielle.

L'Estonie est loin d'être un cas isolé. Son développement par l'ubiquité numérique et son utilisation massive des nouvelles technologies sont des caractéristiques propres au XXIe siècle que l'on retrouve dans bon nombre d'autres villes. Ses villes sont devenues des « villes globales » ou « villes mondes » et ne se limitent désormais plus à leurs frontières géographiques. Le poids démographique et socio-économique de certaines métropoles leur permet d'exercer une influence politique et un rayonnement culturel propres. Elles se dissocient ainsi progressivement du territoire national dans lequel elles s'inscrivent.
De plus, la nature des échanges qu'effectuent ces villes a évolué. La majorité de leurs transactions se font avec d'autres villes et non avec l'ensemble du territoire national comme on pourrait le croire. (Ces villes constituent autant de points de développement transfrontaliers.)

Une ville d'un genre nouveau en Equateur

Lors du congrès, les témoignages des représentants de certaines villes sont venus appuyer ces observations. C'est notamment le cas de Tallin, Helsinki et Malmö, trois villes du nord de l'Europe qui ont mis en place des mesures de coopération et d'e-coopération. A Tel Aviv, la Startup City représente à elle seule 54% du PIB de l'Etat d'Israël et entretient des relations privilégiées avec la ville de San Francisco. C'est aussi le cas de l'Equateur, qui souhaite appliquer de nouveaux modèles socio-économiques à son territoire. Sa volonté était de puiser dans sa culture traditionnelle indienne et d'intégrer les principes de l'économie circulaire à son développement urbain. Cette vision de la ville a été baptisée « Buen Vivir » (« Bien Vivre » en français) et a donné lieu à la création d'une ville d'une genre nouveau. Il s'agit de Yachay, une ville entièrement conçue par des urbanistes, qui ambitionne de devenir une référence en matière d'urbanisme pour le reste de l'Amérique Latine.

La Présidente du développement urbain, de l'environnement et de l'écologie de Puebla, au Mexique est intervenu au cours du congrès pour parler du développement de sa propre ville en puisant dans son histoire ainsi que dans ses caractéristiques culturelles, socio-économiques et comportementales. Les inégalités qui y régnaient ont poussé la ville de Puebla à chercher de nouvelles voies. Elle a ainsi conçu une vision de la Smart City qui lui était propre. D'ailleurs, Puebla accueillera la prochaine Smart City Expo Congress d'Amérique Latine en février 2016.


Les conséquences néfastes d'un développement trop rapide

L'Afrique représente un défi important pour l'humanité. Son rapide développement démographique et urbain nous rappelle qu'avant d'être source d'innovations techniques et technologiques, l'intelligence urbaine devrait se donner pour mission de résoudre certains grands enjeux sociaux. Les témoignages qui nous viennent de ce continent renforcent le besoin d'accorder la priorité à ces quatre lignes d'action :
- privilégier la qualité de la vie au cœur du projet urbain en mettant l'homme au centre,
- réduire la consommation de ressources naturelles et intégrer cette démarche dans les différentes fonctions urbaines
- développer une réelle gouvernance territoriale, démocratique, ouverte et transparente
- développer des processus adaptés aux cultures et aux contextes locaux

Les villes d'Asie et du Pacifique montrent qu'un développement urbain à un rythme trop accéléré peut avoir des conséquences néfastes, notamment en ce qui concerne les infrastructures. C'est le cas de l'Indonésie, de la Malaisie, de Singapour, de la Thaïlande, de Taiwan, de la Chine, de la Corée et surtout du Japon. Les autorités des villes d'Asie doivent ainsi faire face un défi d'envergure : il ne s'agit pas seulement de lutter contre la congestion et la pollution mais également de s'interroger sur les valeurs qui dirigent ce développement urbain.

Y a-t-il d'autres modèles économiques alternatifs pour la ville ? La question est encore ouverte. Même s'il n'existe pas de réponse définitive, le fait d'en discuter comme cela a été fait lors du Conseil Mondial du Développement Urbain et dans le cadre d'INTA38 est déjà un bon début.

Enfin, l'analyse apportée lors de l'INTA38 sur la dimension spatiale de 30 villes européennes montre que l'utilisation intensive des espaces publics (espaces verts, zones d'eau, zones pédestres, cyclables et protégées, etc.) impacte directement la qualité de vie des citadins. Nous allons également vers une hybridation de la ville. En effet, les frontières entre espaces réels et espaces virtuels s'estompent.

En guise de conclusion, il me semble clair qu'il faut continuer à remettre en question les idées conventionnelles que nous possédons sur notre environnement urbain, sur les services qui lui sont associés, sur sa croissance économique et sur la place qu'occupe la propriété en son sein. Si nous voulons que nos villes changent, nous devons nous même devenir acteurs de ce changement.

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