« Il ne faut pas sous-estimer Atos malgré son cours actuel en Bourse » (Nourdine Bihmane, DG d'Atos)

GRAND ENTRETIEN. Chute du chiffre d'affaires, dégringolade de 75% du cours de Bourse depuis le début de l'année, valse des dirigeants depuis le départ du très controversé Thierry Breton accusé d'avoir eu la folie des grandeurs pour le groupe... Pour retomber sur ses pieds, l'ancien fleuron technologique français Atos, 112.000 employés dans le monde dont plus de 10.000 en France, a enclenché une réorganisation drastique. Mi-2023, l'entreprise va être scindée en deux. Les activités en croissance -cybersécurité, data, calcul de haute performance et simulateurs quantiques- partiront dans une nouvelle entité, Evidian, tandis qu'Atos ne conservera que son activité historique d'infogérance informatique. Son directeur général, Nourdine Bihmane, 21 ans de maison, confie à La Tribune sa vision du futur d'Atos dans le cloud et l'infogérance, explique son alliance contestée avec Amazon Web Services, et détaille comment il compte redresser l'entreprise dans les cinq prochaines années.
Sylvain Rolland
Nourdine Bihmane, le directeur général d'Atos.
Nourdine Bihmane, le directeur général d'Atos. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Atos traverse depuis deux ans une passe très difficile et va se scinder en deux en 2023. Le nouveau Atos, que vous allez diriger, ne conservera que le cœur d'activité historique, c'est-à-dire l'infogérance informatique. C'est une activité en net déclin depuis que les entreprises migrent massivement vers le cloud public dominé par les Gafam. Comment comptez-vous remonter la pente ?

NOURDINE BIHMANE - Le cloud a complètement révolutionné l'informatique. Au début de ce mouvement, les champions de l'infogérance comme HP, IBM ou Atos, se disaient que les entreprises, les collectivités et les administrations ne renonceraient pas au contrôle de leur parc informatique pour mettre leurs données et leurs infrastructures dans le cloud. C'était une erreur bien sûr. Atos n'a pas pris conscience suffisamment tôt de la pertinence des services délivrés sur le cloud public, ce qui a permis à Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud de dominer ce marché. Les acteurs de l'infogérance ont donc évolué en proposant, en plus de la gestion quotidienne du parc informatique des clients, des plateformes de cloud privé, qui nous ont permis de contenir cette fuite vers les Gafam, tout en faisant bénéficier à nos clients de la souplesse et des nouvelles potentialités du cloud. Mais la bascule vers le cloud public, et particulièrement ceux des Gafam qui captent l'essentiel de la croissance, est inéluctable. C'est ce que veut le marché, on ne peut pas lutter contre ça. Il faut donc s'adapter à cette nouvelle donne, car ce n'est pas parce que les entreprises basculent chez les hyperscalers du cloud qu'elles n'ont pas besoin de services d'infogérance pour les aider à optimiser leurs infrastructures.

Amazon Web Services vient d'annoncer la signature d'un partenariat exclusif avec Atos, qui prévoit que vous proposiez de façon préférentielle les services cloud d'Amazon à vos plus gros clients. Le futur d'Atos, c'est aider Amazon à consolider sa position dominante en France, où il pèse à lui seul 46% du marché ?

C'est un partenariat gagnant-gagnant. La réalité, c'est qu'une partie de nos clients partent dans le cloud public, et beaucoup chez Amazon. Et quand ils le font, non seulement Atos perd des revenus, mais nous nous retrouvons aussi avec des infrastructures sous-utilisées. Le partenariat avec AWS règle ce problème business, car nous conservons la relation client tout en migrant vers le cloud public la gestion d'une partie de ces infrastructures.

L'enjeu des hyperscalers (fournisseurs leaders dans le cloud, Ndlr), c'est qu'il faut des compétences techniques fortes pour maximiser l'utilisation de leurs services. L'accord prévoit donc que AWS forme 3.000 salariés d'Atos à ses dernières technologies. Le partenariat va dans les deux sens : nous proposons leurs services à nos clients qui veulent migrer vers le cloud public, mais nous devenons leur partenaire stratégique en contrepartie.

Il ne faut pas oublier que le monde du cloud se complexifie. Nos clients sont hybrides, ils veulent du cloud public pour certaines activités afin de profiter de l'avance technologique d'AWS, mais ils gardent aussi du cloud privé. Ils ont besoin d'acteurs capables de comprendre et surtout de maîtriser toute cette complexité, de la sécuriser et de leur offrir un niveau de services que nous sommes les seuls à pouvoir assurer, qui leur permet de maîtriser l'ensemble de leur chaîne de valeur dans le cloud.

Actuellement, les activités à haute valeur ajoutée technologique d'Atos se concentrent dans la cybersécurité, la data, le calcul de haute performance et les simulateurs quantiques.  Ce sont aussi les seules activités en croissance. Mais demain, Atos en sera séparé, puisqu'elles vont se regrouper au sein d'une nouvelle entreprise indépendante, Evidian. Renoncez-vous à l'ADN d'Atos d'être un fleuron technologique français ?

Non car Atos ne va pas devenir un simple vendeur d'Amazon Web Services. Même
après la scission, le nouveau Atos restera le numéro un en Europe des infrastructures et
de l'environnement de travail numérique. Nous restons un groupe de technologies et des investissements sont prévus dans les technologies liées à notre secteur d'activité, comme le cloud ou encore la réalité virtuelle et augmentée, qui va contribuer à l'évolution du travail.

Dans le cloud, Doctolib opère ses systèmes sur AWS, mais Atos sécurise toutes les clés de chiffrement pour Doctolib concernant les données hébergées chez AWS. Dans le cadre du partenariat, nous proposons donc des services additionnels dans lesquels nous apportons notre propre technologie. Certains de nos clients qui sont passés sur des clouds publics ont également vu leur facture exploser car les hyperscalers proposent une énorme quantité de services et une facturation complexe. Des directeurs financiers font donc appel à notre expertise technologique pour les aider à gérer leur facturation et optimiser leurs coûts. Notre valeur vient donc du conseil mais aussi de la maîtrise des technologies des hyperscalers et de la connaissance des enjeux de nos clients, qui nous permettent de proposer des services additionnels.

A l'heure où l'on parle de plus en plus de souveraineté numérique et qu'un écosystème français et européen du cloud tente de s'imposer en alternative crédible à Amazon, Microsoft et Google, n'est-il pas contre-productif qu'un acteur français, Atos, aide le leader mondial dominant du secteur à renforcer ses positions en France ?

L'avenir sera avec les hyperscalers, c'est la réalité du marché. A partir du moment où nos clients nous disent "on va partir chez un hyperscaler", notre rôle n'est pas de leur dire d'aller plutôt chez un Français mais de continuer à les accompagner et d'assurer la sécurisation de leurs données. Pour l'instant, la souveraineté technologique est illusoire en Europe, tant qu'on ne peut pas maîtriser le code source il n'y a pas de vraie souveraineté. L'enjeu devient plutôt la sécurité des données et des infrastructures. Un écosystème européen vraiment souverain du cloud est souhaitable, mais on ne peut pas aujourd'hui faire sans les acteurs Américains. Si on veut s'en extraire, alors on perdra nos clients. Ceci dit, nous ne travaillons pas exclusivement avec AWS, mais aussi avec OVHCloud par exemple.

Atos est-il en train de développer un « cloud de confiance » avec Amazon Web Services, sur le modèle de Bleu (Microsoft Azure avec Orange et Capgemini) et de S3ns (Google Cloud avec Thales), comme des rumeurs l'ont évoqué le mois dernier ?

Nous ne commentons pas les rumeurs.

Quelles sont les autres activités du nouveau Atos en plus de l'infogérance ?

Le nouveau Atos totalise 52.000 employés dans le monde, soit un peu moins de la moitié des effectifs globaux du groupe pré-scission. La plupart sont aux Etats-Unis, notre premier marché. L'infogérance pesait 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2021 [sur 10,8 milliards pour le groupe au total, Ndlr], dont la moitié dans les datacenters. L'autre moitié est essentiellement dominée par nos activités dans le «digital workplace », c'est-à-dire les services de gestion externalisée de l'environnement de travail numérique des entreprises. Gartner nous présente dans son rapport annuel Magic Quadrant de février 2022 parmi les quatre leaders mondiaux de ce marché, pour la sixième année consécutive.

Nous déployons des environnements de travail hybrides, sécurisés et performants, qui sont devenus essentiels pour les entreprises dans le monde post-Covid. Nos services sont variés : support à distance des utilisateurs finaux, prise en charge de leurs équipements, provisionnement de PC physiques ou virtuels, multiples services d'automatisation et de collaboration reposant sur l'intelligence artificielle pour améliorer l'engagement et la performance des employés... Cette activité nous permet d'avoir 5 millions d'utilisateurs dans le monde. Nous avons également une activité de services professionnels, essentiellement en Europe, que nous cherchons à déployer aux Etats-Unis. La très grande majorité de ces activités seront conservées dans le nouveau Atos.

Comment Atos en est-il arrivé à cette situation d'extrême fragilité ? Les revenus 2021 ont baissé par rapport à 2020, le cours de Bourse a dégringolé de 75% depuis janvier et l'entreprise va être scindée en deux...

C'est une combinaison d'erreurs stratégiques et d'évolutions du marché, notamment dans l'infogérance. Atos est une entreprise fabuleuse mais qui a beaucoup grossi à coups d'acquisitions sous Thierry Breton dans les années 2010. Quand j'ai rejoint Atos, il y a 21 ans, nous étions 5.000 employés, désormais nous sommes 112.000 dans le monde. Les grosses acquisitions nous ont donné la stature d'un grand groupe mondial, elles ont créé du volume d'affaires et d'importantes bases de clients, mais elles ont aussi complexifié notre portefeuille. Certaines acquisitions n'ont pas été des succès, nous n'avons pas eu le temps d'intégrer certaines équipes et certains produits. La complexité de l'ensemble ne fonctionne plus et ne génère pas assez de valeur.

La réorganisation à l'œuvre depuis un an, décidée par le Conseil d'administration
présidé par Bertrand Meunier, devrait assainir tout ceci. Le travail que nous menons
avec Philippe Oliva et Diane Galbe devrait permettre au nouveau Atos d'un côté, et à Evidian de l'autre, de repartir du bon pied. La scission des activités en deux branches est cohérente car la multiplication des activités au sein d'une seule entreprise créé de la confusion et de la désorganisation. Il est plus sain qu'il y ait deux entreprises performantes opérant sur leur marché respectif, qu'une seule qui ne serait pas assez focalisée.

Quelle est votre stratégie pour retrouver la croissance avec les activités historiques d'Atos, alors que vous ne récupérez que les activités en déclin ?

Atos a pâti d'un manque d'investissement et d'un manque de focus et de clarté dans sa vision. Ma stratégie s'articule en trois phases. La première est le recentrage, avec l'objectif de rationnaliser le portefeuille. Atos a essayé d'être partout, mais s'est perdu en chemin. Atos est un fournisseur de services, c'est un marché nécessaire et qui a un avenir. Nous allons arrêter certains contrats et activités qui ne sont plus stratégiques et recentrer les investissements.

La deuxième phase sera celle du redressement. Nous avons souffert de l'impact des pure players indiens qui sont arrivés sur notre marché de l'infogérance avec des prix très compétitifs. Nos prix ont donc baissé, mais les coûts n'ont pas été rationnalisés en Europe continentale. Notre plan de transformation prévoit donc d'injecter 850 millions d'euros sur cinq ans, dont 80% dans les deux prochaines années, pour réorganiser cette activité.

La troisième phase sera celle du rebond, avec des investissements dans de nouvelles sources de valeurs : le cloud souverain, l'edge computing, la réalité augmentée notamment. Le but est de stabiliser le chiffre d'affaires et de redevenir
rentable d'ici à 2025.

Y'aura-t-il un plan social ?

Il n'y aura pas de plan social en France, où le nouveau Atos emploierait 5.700 personnes. En revanche, nous avons démarré un processus d'information et de consultation des instances représentatives du personnel au niveau européen, en vue d'adapter notre organisation.

Evidian, la branche des activités technologiques en croissance d'Atos, semble assez courtisée. Plusieurs acteurs ont manifesté leur intérêt pour un rachat. Qu'en est-il pour le nouveau Atos ?

Nous avons reçu des manifestations d'intérêt pour un rachat également. Toute demande sera étudiée et fera l'objet d'une réponse du conseil d'administration. Dès lors que nos activités stratégiques au sens de la souveraineté numérique de la France seront déplacées dans une autre entreprise, Atos pourra également s'ouvrir à d'autres investisseurs, y compris étrangers. Nous sommes en train de mener un véritable redressement : l'an dernier l'activité infogérance a baissé de 12%, mais on rattrape plus vite que prévu, nous étions à -2,6% au deuxième trimestre 2022 et déjà à +0,3% au troisième trimestre.

Atos a été un peu malmené ces dernières années, mais nous menons une restructuration profonde qui est pertinente et qui génère de l'intérêt, à la fois commercial et pour une potentielle acquisition. Au niveau commercial, nous venons de signer quelques heures avant de vous parler [l'interview a été réalisée mercredi 7 décembre après-midi, Ndlr] un important contrat avec l'UEFA pour être le partenaire officiel de la transformation numérique des 55 ligues de football nationales, pendant huit ans. Nous allons leur fournir de nombreux services de digital workplace et d'expérience client, comme nous le faisons pour Paris 2024. Il ne faut pas sous-estimer Atos malgré son cours actuel en Bourse.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

Sylvain Rolland

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Commentaires 8
à écrit le 12/12/2022 à 18:13
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Atos le bébé de Breton, faut pas s'étonner.

le 13/12/2022 à 11:27
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Oh oui, lumière céleste, montre-nous la voie du bon goût et du raffinement dont tu es l'ambassadeur universel.

à écrit le 12/12/2022 à 9:28
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Les médias de masse sont ce qu'ils sont. Ils pourraient effectivement être différents mais alors ce ne serait pas pareils. Quant à l'énergie qui pourrait être économisée, cela n'est pas évident car nombreux ont des capteurs solaires dans leur rédacti...

à écrit le 12/12/2022 à 9:21
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Bonjour, Le dtoit d'expression pour les intellos s'est le droit du plus grand nombres de fermer leur bouche , et leur laissaient nous vendre leur connerie enroulée dans de grands discours humaniste ... Bien sur ils ne faut pas le dire.. Nous somme tr...

le 12/12/2022 à 9:30
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Parce qu'il n'y pas de corruption aux mondes des sovjets?

le 12/12/2022 à 9:51
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Ces frenchies qui pensent que leur pays existe encore ! Meme la Coree du Sud vous a depasse, ( voir les contrats en cours pour la fourniture de tanks et missilles made in Korea pour le compte de la pologne) vous etes pathetiques et orgueuilleux, c'es...

à écrit le 12/12/2022 à 9:20
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Pourquoi essayer de récupérer des déchets ?! Il y a tant de magasins qui offrent des prix attractifs... et puis vous risquez d'attraper le tétanos.

à écrit le 12/12/2022 à 8:17
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c'est assez étonnant que les démocrates ( de nom) aient une vision de la démocratie à géométrie variable. Un parti d'extrême droite , quand il touche de l'argent c'est pas bien mais les autres partis ? La notion de cordon sanitaire , ça veut dire quo...

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