Netexplo esquisse le numérique du futur

De BRCK, un cube portatif capable de relier une vingtaine de téléphones à Internet, à SimSensei, un avatar de psy qui sait repérer les signes de détresse psychologique, les innovations proposées par les lauréats du forum Netexplo donnent de nouvelles dimensions à l'économie numérique.
Grand prix Netexplo 2014, l'appli pour iPhone de Wibbitz transforme du texte en diaporama ou vidéo que l'on peut personnaliser avec des commentaires et de la musique. / DR

Qui connaissait Twitter et Shazam en février 2008, hormis un e poignée de geeks surinformés? Réponse : les participants du premier Forum Netexplorateur (devenu Netexplo en 2011). Cet observatoire mondial de l'innovation a pour vocation de « révéler les grandes tendances numériques qui vont impacter la société », via un palmarès des 100 nouveautés les plus prometteuses et 10 lauréats.

Créé par Thierry Happe, publicitaire, et Martine Bidegain, DRH de grands groupes, ce forum est un projet d'origine française, une particularité à souligner dans un univers numérique largement dominé par les États-Unis. Français mais surtout mondial, car l'originalité de Netexplo est son réseau de captation des innovations composé d'une vingtaine d'universités sur tous les continents et d'une quinzaine d'experts, sous le patronage de Joël de Rosnay. Ce caractère global a séduit l'Unesco, dont le siège parisien a accueilli le forum.

Singularité

Les nouveaux usages repérés par l'observatoire ne sont pas uniquement commerciaux ou technologiques. Leur impact sur les sociétés est étudié par le sociologue Bernard Cathelat (inventeur des « sociostyles ») et son équipe, afin de dégager les grandes tendances de notre futur numérique.

Cette année, l'e-santé et l'impression 3D sont à l'honneur, deux domaines qui vont rapidement changer nos vies. S'il bouleverse les usages sociétaux, le digital transforme aussi le business, comme l'ont prouvé l'e-commerce, les réseaux sociaux et désormais les objets connectés. C'est pourquoi près 1.500 décideurs politiques et économiques viennent chaque année découvrir qui seront les Twitter et Shazam de demain. Ils étaient au rendez-vous fin mars à Paris pour ce Netexplo 2014, qui a distingué 10 nouveaux lauréats. Les voici.

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BRCK, la brique libre pour connecter le monde

Le nouveau sésame pour le monde numérique se cache dans une brique en plastique. BRCK est un cube portatif et résistant capable de relier une vingtaine de téléphones à Internet en WiFi 3G et 4G en y insérant une carte SIM. Grâce à sa batterie, la brique sert de relais aux utilisateurs, qui peuvent aussi accéder à un cloud avec des informations de connexion propres à chaque pays ou région. Une initiative bon marché et bienvenue pour les habitants des pays en développement dont les infrastructures de production et de transport de l'électricité sont souvent défaillantes.

Plus de 1,2 milliard de personnes continuent de vivre dans l'obscurité, selon la Banque mondiale. Pas étonnant que ce projet de la start-up Ushahidi (lauréate Netexplo en 2009) soit né au Kenya.

Écrit en open source (n'importe quel développeur peut améliorer le logiciel), BRCK se réclame d'un « numérique frugal ». En cas de guerre, épidémie ou catastrophe naturelle, des événements hélas fréquents dans ces régions, accéder au Net et aux réseaux sociaux peut sauver des vies. Grâce aux fonds levés sur le site de crowdfunding Kickstarter, la première brique d'un « accès égalitaire au village planétaire » est posée.

>> brck.com

Clic and Walk, les marques embauchent leurs clients

Les marques ont trouvé de nouveaux employés : leurs clients. Rémunérés via le réseau de la start-up française Clic and Walk, les consommateurs volontaires reçoivent une mission de la part d'une enseigne ou d'une marque. Par exemple, prendre en photo une PLV (publicité sur le lieu de vente), un rayon ou un packaging avec son smartphone.

Du « merchandising assisté par consommateur », en quelque sorte. Clic and Walk valide ces informations et les restitue à ses clients sous forme de reporting. En retour, les « ClicWalkers » reçoivent de 0,50 à 10 euros pour leurs efforts. Ce genre d'instantanés visuels géolocalisés et en temps réel est précieux pour les enseignes de distribution et les marques de grande consommation.

Et bien moins coûteux qu'une étude de marché. Opportunité commerciale ou microjob de crise, le débat est ouvert.

>> clicandwalk.com

Digital Lollipop, une sucette goût numérique

Des cinq sens, le goût est sans doute le moins compatible avec la sphère numérique. Digital Lollipop, dispositif imaginé par l'université nationale de Singapour, pourrait changer la donne. Pour l'instant, il s'agit d'électrodes placées sur la langue et reliées à un ordinateur.

Demain, ce sera une sorte de Chupa Chups électronique capable de simuler quatre types de goûts : salé, sucré, amer et aigre. Les applications possibles : rééduquer ou sevrer les personnes en surpoids en créant une sensation virtuelle de goût sucré, mais sans les calories.

Ou stimuler le goût dans le cadre de certaines maladies et handicaps. Sans oublier l'aspect éducatif pour les jeunes générations, qui pourraient redécouvrir des saveurs oubliées. Après la cigarette sans tabac, la sucette sans sucre : le virtuel gagne du terrain dans le monde sensoriel.

>> nimesha.info

Jelly, des photos pour s'entraider

L'échange de photos a fait le succès d'Instagram et de Snapchat. Jelly est un nouveau réseau social d'entraide qui utilise les images plutôt que les mots pour poser des questions à son réseau. Un moteur de recherche humain affranchi des algorithmes et des propositions commerciales, dans l'esprit du Web 2.0 de Wikipédia ou de TripAdvisor.

Mais peut-être aussi un nouveau pas vers la prééminence de l'image sur le texte. Au risque d'affaiblir un peu plus l'orthographe et la grammaire des digital natives. La limite de 140 signes a d'ailleurs fait le succès de Twitter, cofondé par Biz Stone, le créateur de Jelly. Et les tweets avec photos sont deux fois plus partagés.

Lancé en janvier dernier, Jelly est disponible gratuitement sur Android et iOS. L'accès se fait via un compte Twitter ou Facebook.

>> jelly.co

Mobile 3D Scanner, l'artisanat 2.0

L'impression 3D est une tendance forte du numérique. Certains prédisent même une seconde révolution industrielle dans laquelle la production de masse ferait place à une fabrication domestique et décentralisée des objets du quotidien.

L'application Mobile 3D Scanner, élaborée par des chercheurs suisses de l'Institut fédéral de technologie de Zurich, marie réalité augmentée et impression 3D. Via son smartphone, on prend une série de photos d'un objet en tournant autour plusieurs fois et l'appli engendre une image 3D. Plus besoin de savoir manipuler un logiciel de modélisation compliqué. L'application utilise également l'accéléromètre du smartphone pour déterminer l'angle de vue et la position de la photo, ou la mise à l'échelle nécessaire. Il faut bien sûr posséder une imprimante 3D pour matérialiser l'objet.

Le prix de ces machines est encore élevé, autour de 2000 euros pour de petits objets d'environ quinze centimètres, mais il baisse régulièrement. La réalité augmentée couplée à l'impression 3D pourrait donner naissance à un artisanat 2.0.

>> cvg.ethz.ch/mobile/

Shodan, tous hackers demain ?

Les objets connectés sont la nouvelle frontière du Net. Un réseau bien réel composé d'objets de toute nature communiquant avec nous et entre eux (M2M, ou machine to machine). De la domotique au quantified self - des coachs numériques qui scrutent notre activité physique voire cérébrale -, sans oublier les Google Glass, l'Internet des objets, lancé en France dès 2005 par Rafi Haladjian avec le lapin Nabaztag, se développe rapidement. La sécurité, elle, ne suit pas.

Shodan, moteur de recherche d'objets connectés américain, prouve qu'un grand nombre de ces objets « intelligents » ne le sont pas vraiment. Et qu'il est assez simple d'en prendre le contrôle. Webcam, feu rouge, ordinateur et même accélérateur de particules : Shodan met à nu la vulnérabilité de ce nouveau monde interconnecté. Des internautes lambda dotés du pouvoir des hackers, l'image est plutôt angoissante. Ce scénario digne de Die Hard pourrait devenir réalité avec cette application. Institutions, entreprises et particuliers seraient bien inspirés d'adopter rapidement des technologies plus sécurisées, comme la biométrie.

>> shodanhq.com/

Simsensei, mon psy est un avatar

Rendez-vous dans cinq minutes avec le psy : il est temps d'allumer l'ordinateur. SimSensei (« professeur », « maître », en japonais) est un système d'entretien avec un avatar (humain virtuel) mis au point par l'université de Californie du Sud pour les technologies créatives.

Équipé du dispositif de détection des mouvements Kinect de Microsoft, le logiciel peut analyser en temps réel les expressions du visage, les gestes des mains, les postures du corps et même la façon de s'exprimer de l'e-patient. Le programme sait aussi adapter ses questions à l'humain qui l'interroge.

Objectif de SimSensei : repérer des signes d'angoisse, de détresse psychologique et de dépression potentielle. Un système nettement moins coûteux et moins long qu'une véritable analyse. Détecté très tôt, un état dépressif est plus facile à traiter, et donc moins cher pour le système de santé. Reste à déterminer jusqu'où un tel « maître psy en 3D » peut se substituer à un véritable professionnel des thérapies mentales. Encore à l'état de prototype, le logiciel n'a pas été testé en milieu médical.

>> ict.usc.edu/prototypes/simsensei/

Skinprint, de la peau humaine en 3D

Au carrefour de l'impression 3D et de la médecine digitale, SkinPrint, inventé par des étudiants néerlandais, se propose de produire de la peau humaine à partir d'une biopsie. Les cellules prélevées vont servir d'encre biotechnologique et le patient va fabriquer lui-même son greffon.

Destiné aux personnes brûlées ou souffrant de maladies de peau, SkinPrint permet d'augmenter considérablement les chances de succès d'une greffe, puisqu'il s'agit des propres cellules du patient. C'est aussi une solution possible au manque criant de greffons.

Et peut-être le début d'une réplication d'organes plus sophistiqués (poumon, coeur, foie). Un des vieux rêves (ou cauchemars) de la science-fiction, l'immortalité via le clonage des organes, serait alors à portée de main. SkinPrint, premier prix des Philips Innovation Awards en 2013, est en attente de la certification de l'Agence européenne de médecine pour être utilisé en milieu médical.

>> phia.nl/skinprint/

Soma, l'appli qui anticipe le burn-out

Voix éraillée, fautes de frappe, endormissements au bureau : le burn-out est proche. Avec Soma, une appli mobile mise au point par quatre étudiants allemands, il devient facile de repérer ces signes précurseurs.

L'appli mesure des paramètres factuels (qualité du sommeil, coordination motrice, timbre de la voix, etc.). Des données de tracking psychosomatique, transmises automatiquement et régulièrement sur un cloud, où elles sont analysées par un logiciel de diagnostic psychologique. Alertée, l'entreprise peut aider le salarié à éviter une longue et coûteuse indisponibilité.

Mais encore faut-il accepter d'être surveillé en permanence par son patron. Sans compter les risques d'un licenciement déguisé juste avant que l'employé ne craque complètement. En ces temps d'espionnage généralisé, la start-up munichoise va devoir convaincre les sceptiques de l'innocuité de sa trouvaille.

>> soma-analytics.de/

Wibbitz et le texte devient une vidéo

« Un petit dessin vaut mieux qu'un long discours », aurait dit Napoléon.

Une vidéo vaut mieux qu'un article, ajoute Wibbitz, startup israélienne. Son appli iPhone convertit du texte web en vidéo. Les images utilisées sont libres de droits, issues de la photothèque de Wibbitz ou trouvées dans les bases de données d'agences de presse partenaires. Les vidéos de soixante à cent vingt secondes peuvent être accompagnées de commentaires.

Et personnalisées en changeant la musique. Des vidéos partagées ensuite sur les réseaux sociaux. Wibbitz utilise le traitement du langage naturel issu de la recherche sur l'intelligence artificielle. Cette technologie repère les points importants du texte, les résume en quelques phrases clés et ajoute une voix de synthèse pour les lire. Un résumé enrichi par une infographie.

Le Web produit une telle quantité de contenus rédactionnels qu'il semble illusoire de pouvoir tout ingurgiter. Une transformation en diaporama fait gagner du temps. Encore une manifestation de la perte d'influence de la chose écrite dans une culture numérique obsédée par l'image.

>> wibbitz.com/

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