Sycomore AM lance un fonds dédié à la tech responsable : "impact-washing" ou moralisation de la finance ?

La société de gestion lance un nouveau fonds global actions intitulé Sycomore Sustainable Tech, dédié à l'investissement dans des entreprises tech cotées qui ont un impact positif sur la société et l'environnement. Pour mesurer cet impact, l'entreprise a mis au point une charte d'investissement qui a vocation à devenir un standard dans le secteur. Une cinquantaine de valeurs, sur les 1090 entreprises tech cotées, sont éligibles... dont Apple et Google, malgré toutes les polémiques qui les entourent.
Sylvain Rolland
Sycomore Sustainable Tech se conçoit comme un guide visant à trier le bon grain de l'ivraie dans les entreprises tech cotées.
Sycomore Sustainable Tech se conçoit comme un guide visant à trier le bon grain de l'ivraie dans les entreprises tech cotées. (Crédits : DR)

Comment mesurer l'impact sociétal et environnemental d'une entreprise ? Cette question s'apparente à un vrai casse-tête pour ceux qui souhaitent faire de l'impact un critère d'investissement à part entière. Sur quelles données s'appuyer en l'absence d'un référentiel commun précis et objectif ? Et comment trancher en prenant en compte les impacts positifs et négatifs d'une même entreprise ?

C'est à cette problématique épineuse que se frotte la société de gestion française Sycomore AM (pour "asset management"). Sentant l'intérêt des investisseurs particuliers et institutionnels pour la tech à impact, l'entreprise lance un nouveau fonds ISR [investissement socialement responsable, ndlr], intitulé Sycomore Sustainable Tech. Sa particularité ? Etre dédié à l'investissement coté dans les entreprises tech à impact positif sur la société et l'environnement.

Lire aussi : "Le monde de l'impact et celui du capital-risque ne sont plus antinomiques !" (Audrey Soussan, Ventech et Alliance for Impact)

Charte d'investissement avec des critères d'impact clairs

"Donner du sens à l'investissement est de plus en plus important pour nos investisseurs, c'est pourquoi ce fonds sélectionne pour eux les entreprises tech cotées les plus vertueuses dans l'utilisation des technologies et dans l'usage qui en est fait", explique Gilles Sitbon, le cogérant de Sycomore Sustainable Tech.

A l'heure où la technologie s'est immiscée partout -dans nos téléphones, nos voitures, nos villes, nos usines, nos champs, nos écoles ou encore nos loisirs-, Sycomore Sustainable Tech se conçoit comme un guide visant à trier le bon grain de l'ivraie.

L'idée est donc d'éviter le plus possible d'investir dans des entreprises avec des impacts négatifs avérés, qu'il s'agisse de destructions d'emplois, de violations des droits humains (censure de la liberté d'expression, sécurité et protection des données personnelles), de problèmes de santé publique comme l'addition ou l'exposition à des radiations, de menaces sur la démocratie (fake news, haine en ligne...) ou encore de destruction de l'environnement.

Ainsi, sur les 1090 entreprises tech cotés actuellement, seules 300 passeraient les filtres habituels d'investissement de Sycomore AM. Et sur ces 300, seules "entre 40 et 60 valeurs" sont éligibles au nouveau fonds. Cet écrémage est le fruit d'une nouvelle charte d'investissement, co-écrite avec le fonds de growth equity Gaia Capital Partners. Collaborative, cette charte vise à devenir "une référence pour l'ensemble des acteurs de l'investissement responsable".

Concrètement, pour qu'une entreprise soit éligible au fonds Sycomore Sustainable Tech, il faut qu'elle remplisse deux des trois critères d'investissements retenus. Le premier est celui de "tech for good" : l'impact sociétal et environnemental fait-il partie des motivations principales de l'entreprise ? Le deuxième est la notion de "good in tech" : l'entreprise utilise-t-elle la technologie de manière responsable pour réduire les externalités négatives sur les personnes et l'environnement ? Enfin, le troisième critère est celui de la volonté d'amélioration ou "Improvement enablers" : les entreprises sont-elles engagées à progresser sur les deux dimensions précédentes ?

Apple et Google passent les filtres, la performance économique avant l'impact ?

Pour déterminer si l'entreprise remplit les conditions d'investissement, Sycomore AM s'appuie principalement sur les données fournies par les entreprises elles-mêmes. "Nous regardons aussi les analyses de la société civile et des médias, que nous intégrons à notre réflexion", ajoute Sabrina Ritossa Fernandez, autre cogérante de Sycomore Sustainable Tech.

Mais si les critères paraissent stricts au premier abord, Sycomore Sustainable Tech fait en réalité preuve d'une grande souplesse. Rares sont les "big tech" qui n'entrent pas dans les critères du nouveau fonds... Seules Tik Tok (censure et non respect de la vie privée des enfants), Hikvision (surveillance), ou encore Tencent, Amazon et Facebook -pour des raisons de sécurité et de protection des données principalement- sont ouvertement "blacklistées" par le fonds. Et encore : pour les trois dernières, cette décision est "réversible" si ces entreprises montraient "une réelle volonté de changer leurs pratiques".

Ainsi, l'impact de Apple et de Google, notamment, est jugé "globalement positif" par l'entreprise... Le fait que les deux géants fassent déjà partie des plus grosses participations de Sycomore, et qu'il s'agisse d'investissements très rentables, a-t-il joué dans la balance ?

"Tous les géants de la tech ont des zones d'ombre. Mais on considère que globalement, Google est plutôt une force de progrès parce que sa mission est la dissémination du savoir et de l'information dans le monde, et que l'entreprise a, entre autres, un engagement fort pour réduire son empreinte carbone", se justifie Gilles Sitbon.

Quant à Apple, Sycomore AM considère que l'entreprise de Tim Cook est "un bon élève sur la gestion de la vie privée des utilisateurs ou encore la démarche de recyclage de ses produits".

Lire aussi : Démantèlement, limitation des acquisitions... : les solutions radicales -mais impossibles ?- du Congrès américain contre les Gafa

Quid des impacts, largement documentés, de Google sur la démocratie avec prolifération des fake news et des contenus haineux, les nombreuses enquêtes des régulateurs sur ses abus de position dominante dans la recherche en ligne ou son magasin applicatif Google Play Store...? Quid de l'utilisation par Apple de métaux rares qui abîment l'environnement et qui sont extraits par des enfants exploités en Afrique, des conditions de travail problématiques dans sa chaîne de production en Asie, des enquêtes des régulateurs sur ses abus sur son magasin applicatif et son système de paiement Apple Pay... ?

Cette étrange façon de placer le curseur entre les externalités positives et négatives d'une même entreprise, montre toute la difficulté de l'investissement dit responsable. Surtout quand les investisseurs souhaitent, comme c'est le cas de Sycomore Sustainable Tech, "concilier l'impact et la performance économique".

Sylvain Rolland

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