Cyberharcèlement : "Le confinement est une opportunité pour les agresseurs"

INTERVIEW. Les appels et signalements d'actes malveillants sur Internet ont bondi depuis le début du confinement, selon l'association e-Enfance, qui opère le numéro vert national Net Ecoute. Ennui des harceleurs, isolement des victimes... Justine Atlan, directrice générale d'e-Enfance, décrypte pour La Tribune cette hausse des cas de cyberharcèlement.
Anaïs Cherif
(Crédits : Pixabay / CC)

Revenge porn, chantages sexuels à la webcam, comptes "ficha"... Depuis le début du confinement en France du à l'épidémie du coronavirus, les appels et les signalements provenant de mineurs pour cause de cyberharcèlement sont en forte hausse, selon e-Enfance, association de protection des mineurs sur Internet qui opère le numéro vert national Net Ecoute. Les appels ont bondi de 20% depuis le début du confinement, soit environ 350 par semaine. Parmi eux, 73% sont réalisés par des jeunes lycéennes d'une moyenne d'âge de 16 ans.

Comme les appels, les signalements réalisés par l'association e-Enfance auprès des réseaux sociaux sont également en hausse - au nombre de 250 déjà passés sur le mois. Traditionnellement, seulement 10% des appels se transforment en signalements, contre 20% en période de confinement.

Pour faire cesser les actes malveillants, e-Enfance collabore avec tous les réseaux sociaux et plateformes présents en France depuis 2010 (Facebook, Instagram, YouTube, Twitter, TikTok, Snapchat...) Leurs signalements sont traités de manière prioritaire par les services de modération des plateformes. Une collaboration est également mise en place avec la "Brigade numérique" de la gendarmerie et la plateforme de signalement "Pharos" de la police nationale.

LA TRIBUNE - Comment expliquer la hausse des actes de cyberharcèlement en période de confinement ?

Justine Atlan, directrice générale d'e-Enfance : Le confinement génère une opportunité pour les harceleurs et escrocs en tout genre - qu'ils soient professionnels ou amateurs - car il y a une forte hausse de la consommation des écrans.

Les adolescents, qui sont traditionnellement très présents sur les réseaux sociaux et Internet, le sont encore plus. La population de victimes potentielles est donc naturellement plus vaste. Habituellement, le temps passé dans l'établissement scolaire est plus ou moins sanctuarisé pour le cyberharcèlement, mais cette barrière s'est effondrée avec le confinement.

Les jeunes sont des proies identifiées comme fragiles et faciles par les délinquants d'Internet. Souvent, les adolescents prennent peur et ont l'impression d'être coupables, surtout si les actes malveillants touchent à la vie affective et sexuelle. Les jeunes n'osent alors pas demander de l'aide à leurs parents, de peur d'être jugé, et donc, ils se retrouvent isolés.

Le profil type du harceleur a-t-il changé en période de confinement ?

Il y a une très forte augmentation des cas où les victimes ne connaissent pas leurs agresseurs - contrairement aux idées reçues, où l'on pense que les violences scolaires se poursuivent sur Internet par exemple. Victimes et harceleurs se rencontrent sur des réseaux sociaux, comme Instagram, ou des forums. Les harceleurs incitent ensuite leurs proies à passer sur des messageries instantanées avec webcam pour amorcer le chantage. Les garçons - des collégiens de 14 ans en moyenne - sont les premières victimes de chantage à la webcam.

Nous avons également vu émerger des escrocs plus amateurs, qui passent à l'acte par ennui. Ils sont généralement plus dangereux. Contrairement aux escrocs professionnels, qui veulent rapidement obtenir de l'argent de la part des victimes sous peine de divulguer des contenus pornographiques, les harceleurs amateurs peuvent diffuser des contenus uniquement pour blesser les victimes.

Parmi toutes les formes de cyberharcèlement, comment expliquer le retour des comptes "ficha" (ndlr : se taper l'affiche en verlan), forme de "revenge porn", sur des réseaux sociaux comme Snapchat ?

Énormément d'actes malveillants sur Internet sont liés à l'affectif et à la vie sexuelle des victimes. 75% des appels que nous traitons sont liés à des comptes "ficha", de la sextorsion et du chantage à la webcam. Les comptes "ficha" existent depuis très longtemps, mais le phénomène s'était calmé depuis deux ans. Nous avons observé un retour de ces pratiques sur l'année scolaire 2019/2020, mais ils ont explosé depuis le confinement.

Le principe est le suivant : tous les jours, l'harceleur incite ses contacts à lui envoyer de façon privée des contenus intimes de victimes potentielles. Le soir, il les diffuse largement et publiquement sur les réseaux sociaux. Généralement, les harceleurs cherchent à nuire à la réputation d'une zone géographique limitée, à l'échelle d'un quartier ou d'une ville par exemple, en dénigrant et insultant la population féminine qui y vit. Bien souvent, ils passent à l'acte là encore par ennui.

Cette hausse d'appels et de signalements de cas de cyberharcèlement s'accompagne-t-elle d'une augmentation des plaintes ?

Pas vraiment, même si nous incitons les victimes à le faire. Le premier réflexe est d'ailleurs de réaliser des captures d'écran pour garder des preuves. Mais généralement, l'urgence pour la victime est de faire cesser l'agression. Malheureusement, la lenteur de la justice et l'immédiateté d'Internet ne sont pas encore corrélée. C'est pourquoi, en cas de cyberharcèlement, il faut immédiatement réaliser un signalement auprès des réseaux sociaux ou via le numéro vert Net Ecoute pour voir les contenus retirés. Il est également conseillé de bloquer les harceleurs sur toutes les plateformes

Le dépôt de plainte peut être réalisé dans un second temps pour permettre d'identifier l'auteur des actes si cela n'est pas immédiatement possible, et de le sanctionner. Il y a une vraie éducation à faire sur le dépôt de plainte - à la fois chez les mineurs et chez les policiers et les gendarmes. En temps normal, les mineurs souhaitent rarement porter plainte car le fait est loin d'être banalisé et ils doivent être accompagnés par un parent. Il y a aussi un travail de sensibilisation à faire chez les policiers et les gendarmes. Nous avons beaucoup de témoignages de victimes nous expliquant que leur plainte n'a pas été acceptée car les infractions en ligne sont encore trop souvent considérées comme moins graves.

Lire aussi : Réseaux sociaux : bientôt une intelligence artificielle pour repérer le cyberharcèlement

Anaïs Cherif

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Commentaire 1
à écrit le 20/04/2020 à 13:38
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Traquer les malades du Covid et les stigmatiser : c’est nul. Protéger les enfants en «  ligne «  c’est utile mais leur apprendre à se protéger et construire une structure neurale sur ces sujets est mieux .

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