Les élections européennes à la merci des "fake news" ?

ENQUÊTE. Des solutions existent pour lutter contre le fléau mondial des fausses nouvelles. Mais l’absence d’un cadre législatif au moins européen rend difficile une collaboration efficace entre les États et les plateformes comme Facebook, Google et Twitter. Pour montrer patte blanche, Mark Zuckerberg, Pdg de Facebook, a rencontré à Paris Emmanuel Macron le vendredi 10 mai dans le cadre de sa tournée européenne.
Anaïs Cherif
La législation devrait refléter la réalité des menaces actuelles et définir des standards pour l'ensemble de l'industrie [...] Nous pouvons bannir les acteurs malveillants, mais seuls les gouvernements peuvent créer des sanctions qui découragent les interférences, tribune du 30 mars 2019 de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook.
"La législation devrait refléter la réalité des menaces actuelles et définir des standards pour l'ensemble de l'industrie [...] Nous pouvons bannir les acteurs malveillants, mais seuls les gouvernements peuvent créer des sanctions qui découragent les interférences", tribune du 30 mars 2019 de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. (Crédits : Reuters)

Les fake news vont-elles pourrir les élections européennes du 26 mai en France ? C'est un sujet de crainte alors que la campagne débute. Forcément, l'épineuse question de la régulation de la désinformation sur Internet ressurgit. Et plus de deux ans après les premiers débats sur la question, les États et les plateformes jouent encore une partie de ping-pong, chacun rejetant la responsabilité sur l'autre. Les États exigent plus de transparence de la part des géants du Net, quand ces derniers disent ne plus pouvoir lutter seuls face à un tel fléau mondial. Le serpent se mord la queue.

Pourtant, les théories du complot sont vieilles comme le monde. Mais les fausses nouvelles ont pris une ampleur inédite depuis 2016. Cette année-là, elles ont réussi à influer sur l'issue du vote du Brexit, puis de l'élection présidentielle américaine, avec des conséquences majeures pour l'Europe et le monde. Ces tentatives d'ingérences ont été attribuées à des puissances étrangères, notamment la Russie. « 2016 a constitué un tournant avec l'utilisation de fake news à des fins de propagande politique. Le ciblage publicitaire permis par les plateformes a aggravé leur portée », analyse Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université de Cergy-Pontoise, auteur du livre Désenchantement de l'Internet. Désinformation, rumeur, propagande (éd. FYP).

« La rumeur est un phénomène ancien, très ancré dans les représentations sociales. Il y a une controverse sur le véritable impact des fausses nouvelles sur la manipulation de l'opinion. Bien souvent, les lecteurs qui les partagent n'y croient pas vraiment, mais ils adhèrent au message politique véhiculé par la fake news. »

En novembre dernier, la Commissaire européenne à la justice, Vera Jourova, alertait que le risque de manipulation des élections européennes n'a « jamais été aussi élevé ». En dépit de cet avertissement, l'Europe a axé son plan de lutte anti-fake news, dévoilé en décembre 2018, sur l'autorégulation des plateformes en appelant à plus de « transparence ». « L'autorégulation a eu une efficacité certaine, car les fake news se propagent moins rapidement et en moins grande quantité par rapport à 2016. Pour autant, elles continuent de se diffuser car elles reflètent une crise de confiance démocratique. La défiance à l'égard des médias traditionnels permet aux sources alternatives de prendre le dessus », explique Romain Badouard.

Actuellement, aucun projet de loi ou de directive européenne n'est connu.

« Il y a une difficulté à légiférer car tout le monde tâtonne. Aucun grand pays démocratique n'a encore trouvé la solution juridique pour éradiquer les fake news, estime Benoît Huet, avocat au barreau de Paris spécialisé dans le numérique et enseignant à l'Essec. L'Europe est le bon échelon pour négocier car elle est de taille suffisante au regard de la puissance des plateformes. Beaucoup de pays se sentent démunis face à ces entreprises dont le chiffre d'affaires peut être supérieur à leur PIB. »

Que faire en attendant ? Certains États européens comme l'Allemagne et la France ont dégainé des lois « anti fake news ». La loi française « relative à la lutte contre la manipulation de l'information » est entrée en vigueur le 22 décembre 2018. Elle vise à prévenir toutes ingérences en période électorale pouvant altérer la sincérité d'un scrutin. Ce texte est articulé autour de deux volets : des obligations de transparence et la création d'un référé « anti-fake news ». Ce nouveau recours judiciaire permet de saisir le juge pour exiger le retrait d'une fausse information pouvant influencer l'issue du scrutin, dans un délai de trois mois précédant le premier jour des élections. À la mi-avril, aucune demande n'aurait été enregistrée auprès du TGI de Paris, seule autorité compétente.

Les limites de la loi

« La loi est-elle vraiment le bon outil pour régler le problème des fake news ? D'un côté, elle peut forcer les plateformes à améliorer la transparence de leurs algorithmes. De l'autre, les procédures judiciaires ne peuvent pas répondre à la production de masse des fake news », affirme Benoît Huet.

Selon lui, la loi va vite montrer ses limites. « Non seulement la justice manque de moyens, mais il faut aussi prendre en compte que le temps judiciaire n'est pas celui de l'actualité », poursuit-il. Effectivement, le juge des référés doit se prononcer dans un délai de 48 heures à compter de la saisine... ce qui laisse largement le temps à la fake news de se propager sur Internet.

Dans le cas de la désinformation, la loi peut seulement adresser des cas particuliers - à l'instar du Code des marchés financiers qui prohibe la diffusion de fausses informations sur les sociétés cotées en Bourse. Impossible de poser un cadre général, sauf à risquer des dérives liberticides en matière d'expression. C'est pourtant ce que regrettait Mark Zuckerberg, PDG et cofondateur de Facebook, dans une tribune publiée le 30 mars :

« Certaines lois ne s'appliquent que pendant les élections alors que les campagnes d'influence agissent en permanence. Par ailleurs, d'importantes questions se posent sur la manière dont le ciblage publicitaire et les données sont utilisés pendant les campagnes politiques. La législation devrait refléter la réalité des menaces actuelles et définir des standards pour l'ensemble de l'industrie [...], plaide-t-il, avec l'idée d'établir une gouvernance globale dans l'espoir d'éviter des lois nationales. Nous pouvons bannir les acteurs malveillants, mais seuls les gouvernements peuvent créer des sanctions qui découragent les interférences », met-il en garde.

Pour ne plus être accusés de laxisme, Facebook, Twitter et YouTube ont donc fait cavalier seul pour écrire leurs propres règles depuis 2016. « Facebook définit de manière unilatérale ses normes communautaires, qui sont signées par tous ses utilisateurs lors de l'ouverture d'un compte - soit plus de 2 milliards de personnes. Cela en fait l'un des textes juridiques les plus appliqués au monde, qui détermine ce qui peut être publié », souligne Benoît Huet. Le plus grand réseau social va même plus loin : il a annoncé vouloir créer d'ici la fin de l'année une « cour d'appel indépendante » pour permettre à ses utilisateurs de contester la suppression d'une publication.

« On peut se féliciter que la plateforme souhaite enfin être plus transparente sur la modération des contenus... Mais on ne peut être que particulièrement méfiant sur le fait de confier un droit aussi important que la liberté d'expression à une entreprise privée, sans aucune garantie d'équité », s'inquiète l'avocat.

Faut-il créer un troisième statut ?

La régulation des fake news renvoie au débat sousjacent de la qualification de ces plateformes. En France, leur statut est régi par la loi pour la confiance dans l'économie numérique, adoptée en 2004. À l'époque, Facebook venait juste d'être créé et YouTube et Twitter n'existaient même pas... Depuis, les plateformes ont obtenu la qualification d'hébergeur - sans responsabilité véritable sur le contenu publié via leurs services - au détriment du statut d'éditeur. Même s'ils réfutent cette dernière appellation, « les réseaux sociaux agissent de plus en plus comme des éditeurs en ayant un droit de regard sur la publication des contenus. Il est probable qu'il faille inventer une troisième catégorie juridique, à mi-chemin entre hébergeur et éditeur », avance Benoît Huet.

Une autre option pourrait s'avérer radicale pour limiter drastiquement les fake news : couper les vannes publicitaires. L'industrialisation de la production de fake news par des acteurs malveillants est guidée par l'appât du gain, offert par le duopole Google-Facebook qui domine le marché de la publicité en ligne. En 2016, lors de la campagne présidentielle américaine, le site de fake news Liberty Writers News disait générer entre 10.000 à 40.000 dollars de revenus publicitaires par mois, rapportait à l'époque le Guardian.

Environ 95% de son audience provenait alors de Facebook, selon l'un des co-fondateurs.

« Les artisans de la désinformation sont capables de gagner de l'argent grâce à la publication de contenus trompeurs, qui génèrent des revenus tout en respectant les règles des régies publicitaires de Google et Facebook, souligne Romain Badouard. Le modèle économique des fake news est le point aveugle de toutes les récentes lois qui ont été adoptées. Or, la régulation et la transparence du marché publicitaire doivent être posées afin que les acteurs mal intentionnés ne puissent plus gagner d'argent via ce biais. »

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ZOOM

Le CSA, le nouvel arbitre des fausses nouvelles pendant les élections

Mieux vaut tard que jamais. Le 25 avril, un mois avant les élections européennes, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a adopté une série de recommandations à destination des plateformes en ligne comme Google, Facebook, Twitter ou encore Snapchat. Une dizaine de propositions, soumises à débat « avec les parties prenantes » jusqu'au 10 mai, parmi lesquelles la mise en place d'un « dispositif de signalement accessible et lisible » pour les fausses nouvelles, la « transparence des algorithmes », la promotion des contenus journalistiques, « la lutte contre les comptes propageant des fake news », ou encore « l'information des utilisateurs » sur l'origine, la nature et les modalités de diffusion des contenus d'information.

Le CSA exerce ici un nouveau droit issu de la loi « anti fake news » du 22 décembre 2018. Voici le régulateur de l'audiovisuel promu arbitre des fake news, interlocuteur privilégié entre des plateformes et trait d'union avec les exigences de l'État. Les plateformes devront d'ailleurs transmettre aux CSA une « déclaration annuelle » où elles devront « détailler les modalités de mise en œuvre de chacune des mesures » et aussi « les difficultés rencontrées ». Elles doivent aussi désigner un représentant légal exerçant les fonctions d'interlocuteur référent en France pour l'application de ces dispositions. En revanche, l'œil du CSA sur les plateformes est provisoire : la loi prévoit uniquement l'exercice de ce pouvoir pour les périodes électorales. Il devrait être étendu avec la prochaine loi sur la haine en ligne, dite loi Avia, et la future loi audiovisuelle, prévue pour l'été prochain

Sylvain Rolland

Anaïs Cherif

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Commentaires 8
à écrit le 13/05/2019 à 20:59
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Les fakes news sont apparues seulement quand le pouvoir a voulue en faire la chasse!

à écrit le 13/05/2019 à 13:23
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Les écolos et la scientologie même combat !

à écrit le 13/05/2019 à 13:20
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Moi je préfère un internet libre à des fake news d' état. Pour exemple et contrairement à ce que nous ressasse la propagande européiste, l' UE ne nous enrichit pas mais nous coûte "un pognon de dingue" à la France et en fait un dindo...

le 13/05/2019 à 18:51
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@Bourguida Pour lutter contre les fake news d' état il faut commencer par respecter et présenter la vraie pluralité d' opinion et pas les opposants pour rire qui prétendent changer l' UE à 27, offrir une vraie parité de ...

à écrit le 13/05/2019 à 9:05
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"Des solutions existent pour lutter contre le fléau mondial des fausses nouvelles. " Interdire les médias de masse déjà et avant tout, ce rien absolu qu'ils nous proposent n'étant qu'une incitation aux éberlués de toutes sortes de faire n'importe...

le 13/05/2019 à 16:24
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les mensonges de nos dignitaires !

le 13/05/2019 à 17:22
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Attention quand même, les mensonges sont rares au sein des médias de masse mais par contre les non dits, les euphémismes, extrapolations et interprétations de toutes sortes elles y sont pléthores. C'est bien fait malgré tout hein c'est que ça nou...

à écrit le 13/05/2019 à 6:45
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Fesse bouc est une calamite. La montagne de sucre devrait etre eliminee.

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