Le marché unique numérique prend du retard

La stratégie du marché unique numérique fêtait son premier anniversaire vendredi 6 mai. Pour l’instant, l’exécutif n’a fait qu’effleurer le projet et n’a plus que sept mois pour faire ses propositions législatives. Un article de notre partenaire Euractiv.
En 2010, l'ancien commissaire Neelie Kroes (photo) avait introduit une politique numérique en 101 points, qu'un lobbyiste avait décrit comme « quasiment impossible à suivre ».

Le 6 mai 2015, la Commission a publié le calendrier des mesures prioritaires de sa politique numérique, indiquant qu'elle présenterait au moins six d'entre elles d'ici à la fin de l'année. L'exécutif n'a pas réussi à se tenir à son programme, mais continue de soutenir qu'elle présentera le reste des 16 priorités en 2016.

Nathalie Vandystadt, porte-parole de la Commission a assuré que l'exécutif poursuivait ses efforts et espérait conclure sa stratégie d'ici à la fin de l'année.

Certains lobbyistes de l'industrie technologique sont frustrés par ce contretemps. Deux importants projets de loi sur le droit d'auteur et les télécoms ont été retardés de plusieurs mois et sont désormais attendus pour l'automne.

>> Lire : Kaja Kallas : Le marché unique numérique n'est qu'une question de temps

Kaja Kallas, eurodéputée estonienne ALDE  et auteur du rapport non contraignant sur le marché unique numérique, soutenu par le Parlement européen, a déclaré que la Commission devait accélérer la cadence.

« La principale critique porte sur le timing. Même si le marché unique numérique est une bonne stratégie et que tout le monde l'a accueilli positivement, toutes les propositions spécifiques ont pris beaucoup trop de temps a être présentées par la Commission », a-t-elle commenté à EurActiv.

Lenteur de la Commission

Malgré leur critique sur la lenteur de l'exécutif, plusieurs lobbyistes ont qualifié la stratégie pour le marché unique numérique de « plus ciblée » que celle de la Commission Barroso. En 2010, l'ancien commissaire Neelie Kroes avait introduit une politique numérique en 101 points, qu'un lobbyiste avait décrit comme « quasiment impossible à suivre ».

Deux des grands projets de loi sur les télécoms laissés par Neelis Kroes ont attiré beaucoup d'attention ces derniers mois : la neutralité du Net, et la fin des frais d'itinérance dans l'UE ont toutes deux été approuvées l'été dernier après des années de négociations.

Dans le cadre de sa stratégie, la Commission a jusqu'à présent proposé un projet de loi permettant aux gens d'accéder aux contenus auxquels ils se sont abonnés, tel Netflix, lorsqu'ils voyagent dans un autre pays de l'UE. L'exécutif a également proposé de réformer les contrats en ligne, d'ouvrir la bande de fréquence de 700 MHz pour l'Internet mobile et a exposé des mesures non législatives pour numériser la production industrielle.

Pour Paul Meller, porte-parole de l'association de l'industrie technologique DigitalEurope, les projets de marché unique numérique sont « beaucoup plus ambitieux que ceux de la précédente Commission dans ce domaine ».

Pourtant, des rebondissements sont encore à prévoir : les points que doit aborder la Commission cette année sont les plus controversés de la stratégie.

Plateformes en ligne

Les sociétés d'Internet grincent des dents face aux ambitions de la Commission sur les plateformes en ligne.

Une fuite de la communication de l'exécutif sur les plateformes en ligne suggère que la Commission ne proposera pas -- du moins pour l'instant -- un règlement universel pour toutes les plateformes. L'exécutif a pris Facebook, Google, et Amazon comme exemple de plateformes. Le document indique aussi que la Commission pourrait prendre des mesures dans des domaines spécifiques comme l'utilisation des contenus protégés par le droit d'auteur par les plateformes en ligne.

>> Lire : Une réforme de la directive vie privée prévue en 2017

Jakob Kucharczyk, directeur de CCIA Europe, une association qui représente Google, Facebook et Amazon, trouve qu'il est positif que l'exécutif ne veuille pas introduire une réglementation à l'emporte-pièce sur les plateformes. « Reste à savoir ce que cela signifiera pour les entreprises et pour les consommateurs », a-t-il ajouté.

L'intérêt de la Commission européenne pour les plateformes en ligne a suscité une grande controverse et attisé des accusations selon lesquelles l'exécutif ciblerait de manière injuste les entreprises américaines.

Certains lobbyistes ont reproché à la Commission de les laisser dans l'ignorance. Alors que les sociétés d'Internet sont de plus en plus inquiètes d'une possible réglementation, l'exécutif ne précise pas quelles entreprises et quels services tomberont sous le coup de la définition des plateformes en ligne.

Agustín Reyna, qui dirige le travail du bureau européen des consommateurs sur le marché unique numérique, a qualifié la consultation publique de la Commission sur les plateformes, à l'automne dernier, de « désordonnée ».

« On ne savait pas de quoi elle parlait ou quels étaient les objectifs. C'est comme si on demandait aux parties prenantes 'que pensez-vous d'Internet ?', c'est très abstrait », a-t-elle estimé.

Conflit sur les droits d'auteur

Le retard des projets de loi sur le droit d'auteur et le règlement des télécoms a créé de fortes tensions.

Günther Oettinger, commissaire en charge du numérique, a indiqué qu'il intègrerait probablement la loi sur les droits d'auteur et les droits apparentés, dite « taxe Google » dans la proposition sur le droit d'auteur. L'Allemagne et l'Espagne ont déjà adopté cette loi controversée qui permet aux éditeurs de presse de faire payer les moteurs de recherche lorsque ces derniers veulent faire apparaître leur contenu.

>> Lire : Bruxelles envisage la création d'une taxe Google européenne

Joe McNamee, directeur de l'ONG European Digital Rights, a qualifié la volonté du commissaire de vouloir mettre en place la « taxe Google » de « déconcertante » car pour lui, cela ne ferait que « rendre la loi sur le droit d'auteur encore plus chaotique ».

En plus de la loi sur les droits d'auteur et les droits apparentés, le géoblocage, la pratique permettant de bloquer les contenus protégés par le droit d'auteur dans d'autres pays, est un autre point sensible du programme de la Commission. Le vice-président de l'exécutif, Andrus Ansip, s'est attiré la sympathie et le soutien des groupes de la société civile et des défenseurs de la liberté d'accès lorsqu'il a assuré l'année dernière qu'il détestait le géoblocage.

De leur côté, les entreprises de l'industrie audiovisuelle craignent que supprimer le géoblocage et les forcer à diffuser leur contenu à travers l'UE ne ruine leurs activités.

Et enfin...la réglementation sur les télécoms

Plusieurs lobbyistes des télécommunications ont assuré à EurActiv qu'il était encore trop tôt pour juger comment le marché unique numérique influencerait les résultats de l'industrie.

La Commission européenne a relégué deux projets de réglementation du secteur et la directive sur la vie privée en ligne à la fin de son plan en 16 points. Récemment, l'exécutif a changé d'avis sur le calendrier de modification de la directive, qui a déjà sept ans. Cette directive a mis en place des règles sur la protection des données spécifiques aux opérateurs de télécommunication. Un fonctionnaire de la Commission avait indiqué que la proposition verrait le jour en 2017, mais cette date a été ramenée à l'automne 2016.

« Nous soutenons la présentation rapide des propositions législatives, surtout celles qui concernent l'investissement dans la connectivité et les règles de protection des données », a assuré Lise Fuhr, directrice d'ETNO, qui représente plusieurs opérateurs importants.

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CONTEXTE

Le 16 décembre 2014, Jean-Claude Juncker a annoncé que la mise en place du marché unique numérique serait l'une des priorités de son premier mandat en tant que président de la Commission.

La Commission a présenté sa stratégie sur le marché unique numérique le 6 mai 2015 et promis d'introduire des mesures sur 16 sujets clés d'ici la fin de 2016. Cette stratégie est centrée sur la confiance entre les acteurs, la suppression des entraves, l'accès au numérique et la connexion dans l'UE, la mise en place de l'économie numérique, la promotion de l'e-société et l'investissement dans la recherche dans le domaine des technologies de l'information.

En ce qui concerne les politiques, la stratégie européenne est coordonnée par Andrus Ansip, vice-président de la Commission, et sera mise en application par la DG CONNECT, le département de la Commission chargé des technologies, des contenu et des réseaux de communication.

La première proposition a été présentée en décembre 2015.

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PROCHAINES ETAPES

  • 6 mai 2015 : La Commission européenne a présenté sa stratégie, tant attendue, pour le marché unique numérique.
  • Fin 2016 : La Commission entend avoir présenté toutes les mesures de sa stratégie sur le marché unique numérique.

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Par Catherine Stupp, EurActiv.com (Traduit par Marion Candau)

(Article publié le vendredi 6 mai 2016)

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