Les enjeux publics de la propriété des données de mobilité

Depuis 2016, les collectivités locales sont contraintes de partager leurs données de mobilité. Les acteurs privés déploient des services, et se révèlent avares à partager leurs renseignements. Un rééquilibrage s'impose.
François Manens
Les informations que vous livrez aux VTC constituent un stock d'habitudes utilisé par les entreprises.
Les informations que vous livrez aux VTC constituent un stock d'habitudes utilisé par les entreprises. (Crédits : iStock)

Si vous faites appel à un service de VTC comme Uber ou Kapten, vous fournissez et générez une foultitude de données. Déjà, à votre inscription, la plateforme vous fait renseigner votre état civil (nom, prénom, date de naissance), ainsi qu'une adresse email. Ensuite, à chaque trajet, l'application enregistre, entre autres, plusieurs données horaires et de localisation. Grâce à cette collecte, les entreprises peuvent faire émerger des habitudes d'usage ou comparer les données de plusieurs utilisateurs pour optimiser les trajets en fonction de l'heure.

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Des données publiques utilisées par le privé

Les données de mobilité, essentielles au développement de ces services, Jacques Priol, président du cabinet de conseil Civiteo, les sépare en trois catégories, selon leurs origines : les données publiques, issues des opérateurs publics, directement pilotées par les collectivités ; les « données d'intérêt général », produites par les opérateurs privés qui ont emporté une délégation de service public (comme Keolis ou la RATP) ; et enfin, celles des opérateurs privés qui agissent dans l'espace public, comme Uber, BlaBlaCar, Waze ou encore les taxis. Ces dernières ne sont pas partagées en accès libre, à l'inverse des deux premières catégories. Les entreprises privées qui les produisent se retrouvent donc dans une situation d'asymétrie d'information à leur avantage.

« Le danger, c'est qu'avec ces renseignements, les opérateurs privés connaissent mieux les besoins des usagers que les opérateurs publics, prévient Jacques Priol. Or, ce n'est pas le même travail d'optimiser les transports pour tous que de les optimiser au mieux pour chacun. »

Pour justifier la non-transmission des données, les entreprises brandissent leur statut privé, mais le consultant conteste : « Elles agissent sur la chose publique, avec des vrais effets sur le trafic. »

Début 2019, New York a décidé de palier ce déséquilibre des forces. La ville a joué des muscles pour obtenir les données d'Uber, Lyft et autre : heure, lieu de dépôts, plaques d'immatriculation, distance du trajet, itinéraire... Désormais, tout est transféré à la New York City Taxi and Limousine Commission (TLC). En cas de refus, cette autorité de régulation interdit aux VTC de circuler, tout simplement. La municipalité va encore plus loin : elle donne accès à ces informations, gratuitement et à qui veut, sur son portail d'open data.

Cette mainmise sur les données vise notamment à maîtriser les problèmes de congestion du trafic. D'après une étude indépendante, les taxis et les VTC comptent pour plus de 50 % du trafic de Manhattan, l'arrondissement le plus peuplé de la ville. Six mois après s'être approprié ces informations, la municipalité a donc établi à 31 % le temps de circulation maximal que ces véhicules peuvent passer sans passager. Au-delà, ils doivent s'arrêter, sous peine d'amende.

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De l'autre côté de l'Atlantique, les collectivités, comme la municipalité de Paris, ne se battent pas avec les mêmes armes. Pour l'heure, la situation autour des données s'inscrit dans un cadre extralégal. Et la nouvelle loi LOM ne devrait pas y changer grand-chose : son article 9 sur l'ouverture des données des services de transport n'inclut ni les VTC ni le covoiturage. Justification : sans horaires et tarifs fixes, ils ne rentreraient pas dans le cadre. « Nous n'avons pas de données, et c'est un problème, car nous ne pouvons pas mesurer l'impact de l'activité de ces entreprises privées sur la congestion du trafic. Or, avec des indicateurs, nous pourrions justifier la mise en place de politiques de régulation... ce qui explique en partie pourquoi les entreprises ne nous les donnent pas », regrette Pierre Musseau, conseiller de Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, chargé de l'urbanisme, de l'architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l'attractivité. En attendant d'être dotée de plus de leviers par le législateur, la Ville de Paris se défend comme elle peut.

Un accord ponctuel mais pas global

Compétente sur la gestion de la voirie, la mairie de Paris a pu forcer les entreprises de trottinettes en free floating à concéder certaines données, lors de la signature d'une charte de bonne conduite. Pour cela, elle a dû aller jusqu'à faire appel à la fourrière pour retirer les véhicules de la voirie. « Les données de localisation nous permettent d'identifier les zones de dépôt des trottinettes et d'envisager des zones de stationnement », développe Pierre Musseau. Pour continuer dans ce sens, le conseiller plaide pour l'installation de « péages digitaux »,des dispositifs que la collectivité mettrait en place, sous condition du partage de données. Comme par exemple, une zone à trafic limité, soumise à enregistrement. En somme, il souhaite contractualiser le partage de données, pour plusieurs cas isolés, à défaut de pouvoir le faire à l'échelle globale. Autant de bras de fer que la collectivité tentera d'emporter...

François Manens

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